La double porte de la maison donne sur la route principale d'Olliergues, dans le Parc Naturel du Livradois Forez, au coeur du Massif Central. Le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne paye pas de mine, comme vous pourrez le constater par vous-même sur la dernière photo de cet article.
J'étais là pour photographier le pont médiéval, qui enjambe la Dore en trois arches inégales depuis plus de cinq cents ans.
Comme bien d'autres ponts dans le Sud-Ouest, les deux piles sont munies de becs, aménagés en refuge pour la protection des piétons lors du passage des charrois.
Ce sont les galets blonds de la Dore qui ont servi à faire le revêtement du tablier. Je n'allais pas tarder à découvrir l'usage d'autres ressources locales.
Une cohorte de gamins, brandissant chacun un crayon, pointe en l'air, sortait deux par deux d'une sorte de grange. Je me suis toujours demandée comment on fabriquait ces instruments que les enseignants désignent sous un terme qui a tout du nom de code : outil scripteur. Il me semble opportun de faire la lumière sur cet objet en ce jour de rentrée scolaire.
En usine le crayon de mine est fait en série à partir de deux planchettes de cèdre rainurées dans lesquelles on insère une mine composée d'un mélange de graphite et d'argile cuit au four. Le crayon à papier tel que nous le connaissons aujourd’hui a été inventé par le chimiste français Nicolas-Jacques Conté en 1795. C'est la proportion de graphite qui détermine la dureté. Plus il y en a plus l'objet est tendre. La dureté est notée en HB, qui est l'abréviation de Hard Black, allant du 9H pour la pointe la plus dure (ou sèche) au 9B pour la plus tendre (ou grasse).
Une seconde planchette identique sera encollée et posée en sandwhich sur les précédentes. Le profil hexagonal (adéquat pour ne pas glisser sur le pupitre) sera ensuite découpé en machine. Plusieurs couches de vernis cacheront la trace de fabrication.
Dans son île aux crayons, Patrick procède un par un d'une toute autre manière. De fin novembre à début mars il récolte des branches de noisetier et des touffes d'osier qu'il fait sécher, au moins un an avant de les couper en tronçons d'environ 22 centimètres de longueur avec une scie à ruban.
Les morceaux seront repris un par un pour être forés de manière à glisser la mine à l'intérieur ultérieurement. Il faut environ un diamètre de 4mm pour le crayon de papier, 6 mm pour le crayon de couleur.
Toute l'astuce consiste à employer de la colle à bois, point trop n'en faut de manière à solidifier le crayon. Il n'y aura plus qu'à tailler la pointe.
Raconté comme ça l'affaire semble un jeu d'enfant (même si je ne conseille à personne de forer sans protection comme cet artisan le fait). La réussite est le fruit de mille et un détails que Patrick raconte volontiers. Ne soyez pas pressé lorsque vous lui rendrez visite ...
Il abrite un coeur tendre dans sa carcasse de géant. Il vous parlera sans doute en premier lieu du choix de ses matériaux. Il importe que l'écorce soit belle. Le noisetier est tendre. L'osier décline des jaunes jusqu'aux bruns, du clair au foncé, en passant par les oranges et rouges. Le saule offre une très large gamme de couleurs, du rouge au vert. La peau fine se déchire par endroit. Certains segments sont marqués par la grêle et c'est une aubaine de les récolter. Chaque écorce est unique. En outre ce bois a des fibres longues qui rendent aisée la taille au couteau,
Les paysans sont parfois jaloux de leurs terres et n'acceptent pas qu'on vienne y glaner. Par chance des copains lui ont dédié une bande de terrain en lui demandant d'y planter des osiers. C'est une espèce qui draine l'eau et qui est réputée pour apporter la sérénité et la douceur.
Il emploie la pousse la plus charnue, peu importe si elle est un peu tordue alors que le vannier utilisera la pousse fine. Tous deux cohabitent donc en bonne intelligence dans la même petite ville.
Patrick est un poète qui appuie ses affirmations de références littéraires. Il évoque la fable de La Fontaine, le chêne et le roseau pour convaincre son auditoire. Il trace avec ses crayons des pensées qui couvrent les murs de son atelier. On sent poindre une nostalgie douce-amère dans la plupart des petites phrases :
Patrick a beaucoup bourlingué. Il a travaillé sur des plates-formes pétrolières, s'est installé en Haute-Saône dans une ancienne usine à sécateurs. Il fait des crayons en branches d'arbres depuis 1996. Il est ici depuis 2003. Son installation n'a pas été facile mais il a tout de même pu saisir une formidable opportunité.
Il lui arrive de produire des séries de mille crayons pour des boutiques ou des musées mais il n'est pas près de concéder sa liberté pour gagner des mille et des cents. Rien ne lui fait plus plaisir que transmettre aux enfants et de recueillir leur parole. Il adore répondre à toutes les questions qu'ils lui posent : D'où il vient, ce que je faisais avant et pourquoi il est ici ... Il sourit quand un petit garçon le désigne comme fabricateur et n'hésite pas à garder ce néologisme sur son site.
Tout est beau chez lui. Difficile d'arrêter son choix sur une couleur. Ici le rose n'a pas bonne mine, il est rose éléphant, l'orange est d'Algérie, le rouge s'appelle Dédé, le vert peut être kawasaki, bleu col-vert ou entre-deux. Quant au bleu il est de chauffe ou comme une orange. Le violet est ... violette, tout simplement. Ils portent des noms rigolos : zigotos, bicolos, berlioz, les tutti-colors ... et sont appointés en facettes.
Le monochrome désigne un crayon d'une seule couleur, à choisir parmi 20 coloris différents, plus le Graphite, de grade 3B. Son diamètre est variable, d'environ 0,8 à 2,5 cm. Les Zigotos sont composés de 2 mines D6 de couleurs différentes et leur longueur est plus qu'aléatoire.
Les couleurs du Tutti-color sont toujours rouge, bleu, vert et jaune.
On achète ses crayons, à priori pour leur aspect décoratif. Ils sont faits pour qu'on s'en serve et il ne faut pas se restreindre.
Tailler un crayon est un art. Il ne faut pas que ce soit le crayon qui bouge mais le taille-crayon. Et il importe de le tenir verticalement. C'est le secret pour éviter de casser les mines sans arrêt.
Patrick a un couteau dédié à cela, en toute logique puisque nous sommes près de la région de production de Thiers. On peut prendre un cutter en redoublant de prudence. Le bois est serré dans la main gauche, le couteau dans la droite, si vous êtes droitier. La lame taille le bois de haut en bas en allant vers l'extérieur, dans le sens du fil pour obtenir une pique bien lisse et bien effilée. Toujours d'abord le bois et ensuite la mine que l'on râpe avec le même geste, mais plus doux et plus court, ou avec un papier de verre fin.
Il reproche au petit taille-crayon traditionnel de tourner à l'inverse du sens du fil du bois, et surtout de tailler la mine en même temps que le bois, deux matériaux différents qui ont besoin chacun d'un geste différent.
Il a adhéré à la Route des Métiers, une association de quarante adhérents dont le but est d'ouvrir les ateliers et de communiquer les savoir-faire. Elle se déroule du bas de Vichy au haut du Puy en Velay, en passant par Thiers, la capitale du couteau et par Ambert la capitale du papier et de la fourme, un fromage persillé presque crémeux. Voilà une manière originale de découvrir cette belle région.
Le camping local rend à sa manière hommage à l'artisan avec une sorte de haie de crayons géants.
J'étais là pour photographier le pont médiéval, qui enjambe la Dore en trois arches inégales depuis plus de cinq cents ans.
Comme bien d'autres ponts dans le Sud-Ouest, les deux piles sont munies de becs, aménagés en refuge pour la protection des piétons lors du passage des charrois.
Ce sont les galets blonds de la Dore qui ont servi à faire le revêtement du tablier. Je n'allais pas tarder à découvrir l'usage d'autres ressources locales.
Une cohorte de gamins, brandissant chacun un crayon, pointe en l'air, sortait deux par deux d'une sorte de grange. Je me suis toujours demandée comment on fabriquait ces instruments que les enseignants désignent sous un terme qui a tout du nom de code : outil scripteur. Il me semble opportun de faire la lumière sur cet objet en ce jour de rentrée scolaire.
En usine le crayon de mine est fait en série à partir de deux planchettes de cèdre rainurées dans lesquelles on insère une mine composée d'un mélange de graphite et d'argile cuit au four. Le crayon à papier tel que nous le connaissons aujourd’hui a été inventé par le chimiste français Nicolas-Jacques Conté en 1795. C'est la proportion de graphite qui détermine la dureté. Plus il y en a plus l'objet est tendre. La dureté est notée en HB, qui est l'abréviation de Hard Black, allant du 9H pour la pointe la plus dure (ou sèche) au 9B pour la plus tendre (ou grasse).
Une seconde planchette identique sera encollée et posée en sandwhich sur les précédentes. Le profil hexagonal (adéquat pour ne pas glisser sur le pupitre) sera ensuite découpé en machine. Plusieurs couches de vernis cacheront la trace de fabrication.
Dans son île aux crayons, Patrick procède un par un d'une toute autre manière. De fin novembre à début mars il récolte des branches de noisetier et des touffes d'osier qu'il fait sécher, au moins un an avant de les couper en tronçons d'environ 22 centimètres de longueur avec une scie à ruban.
Les morceaux seront repris un par un pour être forés de manière à glisser la mine à l'intérieur ultérieurement. Il faut environ un diamètre de 4mm pour le crayon de papier, 6 mm pour le crayon de couleur.
Toute l'astuce consiste à employer de la colle à bois, point trop n'en faut de manière à solidifier le crayon. Il n'y aura plus qu'à tailler la pointe.
Raconté comme ça l'affaire semble un jeu d'enfant (même si je ne conseille à personne de forer sans protection comme cet artisan le fait). La réussite est le fruit de mille et un détails que Patrick raconte volontiers. Ne soyez pas pressé lorsque vous lui rendrez visite ...
Il abrite un coeur tendre dans sa carcasse de géant. Il vous parlera sans doute en premier lieu du choix de ses matériaux. Il importe que l'écorce soit belle. Le noisetier est tendre. L'osier décline des jaunes jusqu'aux bruns, du clair au foncé, en passant par les oranges et rouges. Le saule offre une très large gamme de couleurs, du rouge au vert. La peau fine se déchire par endroit. Certains segments sont marqués par la grêle et c'est une aubaine de les récolter. Chaque écorce est unique. En outre ce bois a des fibres longues qui rendent aisée la taille au couteau,
Les paysans sont parfois jaloux de leurs terres et n'acceptent pas qu'on vienne y glaner. Par chance des copains lui ont dédié une bande de terrain en lui demandant d'y planter des osiers. C'est une espèce qui draine l'eau et qui est réputée pour apporter la sérénité et la douceur.
Il emploie la pousse la plus charnue, peu importe si elle est un peu tordue alors que le vannier utilisera la pousse fine. Tous deux cohabitent donc en bonne intelligence dans la même petite ville.
Patrick est un poète qui appuie ses affirmations de références littéraires. Il évoque la fable de La Fontaine, le chêne et le roseau pour convaincre son auditoire. Il trace avec ses crayons des pensées qui couvrent les murs de son atelier. On sent poindre une nostalgie douce-amère dans la plupart des petites phrases :
Notre passé est terrifiant. Notre passé est préoccupant. Heureusement, on n'a pas d'avenir.
Etre dans le vent, c'est une ambition de feuille morte.
On trouve de tut chez lui, jusqu'à une recette de pains d'épices punaisée sur une poutre.
Il a recours à des astuces pour faire des crayons bicolores en insérant une mine d'un bout, une autre de l'autre. Les couleurs sont obtenues avec un mélange de matériaux d'origine naturelle : du kaolin et du pigment (7%) avec un liant et de l'eau. le tout est malaxé, extrudé, séché, cuit dans la cire (un mélange de suif et de graisse de mouton). Argile, graphite, noir de cheminée, le tout cuit dans un bain-marie de cire, composent les crayons dits "crayons à papier". C'est parce que c'est cuit dans un four que le code APE est le même que celui d'un céramiste.
Et si la branche est artistiquement tordue il obtient un animal fantastique qui pourra tout de même devenir un crayon. Des sortes d'insectes ou d'araignées en particulier.Patrick a beaucoup bourlingué. Il a travaillé sur des plates-formes pétrolières, s'est installé en Haute-Saône dans une ancienne usine à sécateurs. Il fait des crayons en branches d'arbres depuis 1996. Il est ici depuis 2003. Son installation n'a pas été facile mais il a tout de même pu saisir une formidable opportunité.
Il lui arrive de produire des séries de mille crayons pour des boutiques ou des musées mais il n'est pas près de concéder sa liberté pour gagner des mille et des cents. Rien ne lui fait plus plaisir que transmettre aux enfants et de recueillir leur parole. Il adore répondre à toutes les questions qu'ils lui posent : D'où il vient, ce que je faisais avant et pourquoi il est ici ... Il sourit quand un petit garçon le désigne comme fabricateur et n'hésite pas à garder ce néologisme sur son site.
Tout est beau chez lui. Difficile d'arrêter son choix sur une couleur. Ici le rose n'a pas bonne mine, il est rose éléphant, l'orange est d'Algérie, le rouge s'appelle Dédé, le vert peut être kawasaki, bleu col-vert ou entre-deux. Quant au bleu il est de chauffe ou comme une orange. Le violet est ... violette, tout simplement. Ils portent des noms rigolos : zigotos, bicolos, berlioz, les tutti-colors ... et sont appointés en facettes.
Le monochrome désigne un crayon d'une seule couleur, à choisir parmi 20 coloris différents, plus le Graphite, de grade 3B. Son diamètre est variable, d'environ 0,8 à 2,5 cm. Les Zigotos sont composés de 2 mines D6 de couleurs différentes et leur longueur est plus qu'aléatoire.
Les couleurs du Tutti-color sont toujours rouge, bleu, vert et jaune.
On achète ses crayons, à priori pour leur aspect décoratif. Ils sont faits pour qu'on s'en serve et il ne faut pas se restreindre.
Tailler un crayon est un art. Il ne faut pas que ce soit le crayon qui bouge mais le taille-crayon. Et il importe de le tenir verticalement. C'est le secret pour éviter de casser les mines sans arrêt.
Patrick a un couteau dédié à cela, en toute logique puisque nous sommes près de la région de production de Thiers. On peut prendre un cutter en redoublant de prudence. Le bois est serré dans la main gauche, le couteau dans la droite, si vous êtes droitier. La lame taille le bois de haut en bas en allant vers l'extérieur, dans le sens du fil pour obtenir une pique bien lisse et bien effilée. Toujours d'abord le bois et ensuite la mine que l'on râpe avec le même geste, mais plus doux et plus court, ou avec un papier de verre fin.
Il reproche au petit taille-crayon traditionnel de tourner à l'inverse du sens du fil du bois, et surtout de tailler la mine en même temps que le bois, deux matériaux différents qui ont besoin chacun d'un geste différent.
Il a adhéré à la Route des Métiers, une association de quarante adhérents dont le but est d'ouvrir les ateliers et de communiquer les savoir-faire. Elle se déroule du bas de Vichy au haut du Puy en Velay, en passant par Thiers, la capitale du couteau et par Ambert la capitale du papier et de la fourme, un fromage persillé presque crémeux. Voilà une manière originale de découvrir cette belle région.
Le camping local rend à sa manière hommage à l'artisan avec une sorte de haie de crayons géants.
(en face de l'office de Tourisme)
63880 Olliergues
04 73 72 92 49
E-mail : contact@ileauxcrayons.com
Site : http://www.ileauxcrayons.com
Visites les lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 15 h et à 17 h pour les particuliers lors des grandes vacances scolaires.
Accueil des groupes d'avril à octobre sur réservation seulement pour au moins 10 personnes.
Le prix d'entrée à 4 € donne droit à un crayon de la couleur de son choix à la fin de la visite.
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