Même pour quelqu'un comme moi qui connais l'univers de Yoann Bourgeois (et de Marie Fonte qui conçoit les spectacles avec lui) Celui qui tombe est un choc. Visuel bien entendu, mais pas que. Tous les sens du spectateur sont mobilisés de la première à la dernière seconde.
J'hésite à dire que c'est du cirque, parce que vous allez croire que ce sera difficile d'accès. J'hésite à écrire que c'est de la danse parce que c'est aussi du théâtre, malgré l'absence de dialogues parlés. J'hésite à souligner que c'est de l'opéra parce qu'on va me traiter de menteuse alors que les chants qui sont interprétés en direct sont une prouesse et une occasion de nouvelles émotions.
Tout est remarquable. J'émaille le billet de photos parce que je sais qu'on ne croit que ce qu'on voit, qu'il faut des preuves ... Mais très franchement point n'est besoin d'être spécialiste du monde circassien contemporain pour vivre une soirée d'exception. Il suffit de regarder et de se laisser porter.
Après avoir fait chuter et voler ses acrobates sur L'Art de la fugue de Bach dans un spectacle précédent, Yoann Bourgeois leur demande de se tenir debout, du moins garder l'équilibre quand le sol peut à tout instant se dérober sous leurs pieds. Le geste est radical pour un cirque à la portée existentielle. La scénographie est un sol, un simple plancher de six mètres sur six mobilisé par différents mécanismes (l'équilibre, la force centrifuge, le ballant…) et qui pèse tout de même deux tonnes. La création a eu lieu en septembre 2014 à l'Opéra de Lyon.
Au commencement ce ne sont que quelques craquements dans un noir absolu à peine troublé par un flood. Le plateau semble descendre du ciel, s'incliner lentement tandis que s'égrènent les premières notes du deuxième mouvement de la Septième Symphonie de Beethoven. C'est un Allegretto mais il véhicule une certaine angoisse à mesure que l'on devine les corps luttant contre l'apesanteur dans la pénombre. Ils glissent, se redressent. Le plateau devient un radeau sur des éléments déchainés.
La structure de bois remonte, redescend. La musique s'amplifie à mesure. Comment le bois peut-il souffrir ainsi ? On imagine que la structure se déforme ... La chorégraphie évoque quelque chose d'enfoui dans les souvenirs d'enfance, comme ces parties de 1, 2, 3, soleil que les gosses enchainent avec des séances de "chat glacé" ou de tentative d'imitation de Michael Jackson exécutant sa moon walk.
Tout s'arrête. Le théâtre s'offre à nos yeux sous un plein feu. Difficile d'avoir moins de décors, moins de costumes. et pourtant le dispositif est extrêmement sophistiqué, avec son vérin, ses filins, une motorisation décuplée revue pour s'adapter à la salle du Monfort.
Les six artistes nous dévisagent. A peine on les pense tirés d'affaire que maintenant ça tourne, et ma foi plus vite que le plateau des tasses de thé de Disneyland. Cà continue encore et encore. On en aurait le tournis. Ils partent à l'envers, se cramponnent, penchent dangereusement. Assise au deuxième rang je sens le souffle du déplacement d'air.
Ils se lèvent et ils se bousculent, ... mettant en actes les paroles de Comme d'habitude, le tube planétaire co-écrit en 1968 par Gilles Thibaut et Claude François, repris l'année suivante par Paul Anka, immense succès de Franck Sinatra ... My way. C'est comme une danse. Cela tient du mime et beaucoup d'émotions se lisent sur les visages et dans le jeu des regards. Une vraie prouesse quand on mesure qu'aucun ne peut jamais se reposer une seconde. Ils terminent tous à plat ventre à la fin. Tout s'arrête dans le silence.
On repart à l'envers. Le plateau, les artistes et la musique que l'on peine à reconnaitre. Le disque est rayé, les corps se disloquent. My way redevient audible. Ça recraque. Un son sourd, une vibration, une explosion. Ils tombent.
Piano. Tous solidaires sauf un d'un bateau en dérive ou d'une grande balaçoire. Maria Callas chante la Casta Diva de Bellini. La Norma est entêtante alors qu'ils se regroupent et qu'un seul s'échappe. Chacun au pied du mur en quelque sorte ... rejouant la scène finale au Mount Rushmore de la Mort aux trousses avant de revivre le mythe de Sisyphe en boucle et de nous faire craindre l'écrasement.
Les six artistes nous embarquent dans leur(s) monde(s) dans un corps à corps polysémique avec la structure. Et quand ils chantent a capella, tête en bas on pense qu'il ne sera pas possible de pousser la performance plus loin encore.
On les accompagne jusqu'au bout de leur singulier voyage en oubliant le danger. Et quand il n'en reste plus qu'un, pendant au-dessus du vide et continuant à lutter contre lui-même on se dit qu'il faut inventer des mots nouveaux pour leur signifier notre admiration.
Celui qui tombe cherche inlassablement la limite en lisière des jeux de vertige et des jeux de masques.
La compagnie est née il y a quatre ans. Cette petite équipe invente inlassablement des esquisses qui parfois deviennent des numéros. Je les avais découvert sautant sur d'époustouflants trampolines devant le château de Sceaux en 2013. J'avais moi-même fait l'expérience de la gravité en participant au spectacle l'année suivante dans le cadre du Festival Solstice. Et je suis devenue fan inconditionnelle de leur talent.
Après avoir fait chuter et voler ses acrobates sur L'Art de la fugue de Bach dans un spectacle précédent, Yoann Bourgeois leur demande de se tenir debout, du moins garder l'équilibre quand le sol peut à tout instant se dérober sous leurs pieds. Le geste est radical pour un cirque à la portée existentielle. La scénographie est un sol, un simple plancher de six mètres sur six mobilisé par différents mécanismes (l'équilibre, la force centrifuge, le ballant…) et qui pèse tout de même deux tonnes. La création a eu lieu en septembre 2014 à l'Opéra de Lyon.
Au commencement ce ne sont que quelques craquements dans un noir absolu à peine troublé par un flood. Le plateau semble descendre du ciel, s'incliner lentement tandis que s'égrènent les premières notes du deuxième mouvement de la Septième Symphonie de Beethoven. C'est un Allegretto mais il véhicule une certaine angoisse à mesure que l'on devine les corps luttant contre l'apesanteur dans la pénombre. Ils glissent, se redressent. Le plateau devient un radeau sur des éléments déchainés.
La structure de bois remonte, redescend. La musique s'amplifie à mesure. Comment le bois peut-il souffrir ainsi ? On imagine que la structure se déforme ... La chorégraphie évoque quelque chose d'enfoui dans les souvenirs d'enfance, comme ces parties de 1, 2, 3, soleil que les gosses enchainent avec des séances de "chat glacé" ou de tentative d'imitation de Michael Jackson exécutant sa moon walk.
Tout s'arrête. Le théâtre s'offre à nos yeux sous un plein feu. Difficile d'avoir moins de décors, moins de costumes. et pourtant le dispositif est extrêmement sophistiqué, avec son vérin, ses filins, une motorisation décuplée revue pour s'adapter à la salle du Monfort.
Les six artistes nous dévisagent. A peine on les pense tirés d'affaire que maintenant ça tourne, et ma foi plus vite que le plateau des tasses de thé de Disneyland. Cà continue encore et encore. On en aurait le tournis. Ils partent à l'envers, se cramponnent, penchent dangereusement. Assise au deuxième rang je sens le souffle du déplacement d'air.
Ils se lèvent et ils se bousculent, ... mettant en actes les paroles de Comme d'habitude, le tube planétaire co-écrit en 1968 par Gilles Thibaut et Claude François, repris l'année suivante par Paul Anka, immense succès de Franck Sinatra ... My way. C'est comme une danse. Cela tient du mime et beaucoup d'émotions se lisent sur les visages et dans le jeu des regards. Une vraie prouesse quand on mesure qu'aucun ne peut jamais se reposer une seconde. Ils terminent tous à plat ventre à la fin. Tout s'arrête dans le silence.
On repart à l'envers. Le plateau, les artistes et la musique que l'on peine à reconnaitre. Le disque est rayé, les corps se disloquent. My way redevient audible. Ça recraque. Un son sourd, une vibration, une explosion. Ils tombent.
Piano. Tous solidaires sauf un d'un bateau en dérive ou d'une grande balaçoire. Maria Callas chante la Casta Diva de Bellini. La Norma est entêtante alors qu'ils se regroupent et qu'un seul s'échappe. Chacun au pied du mur en quelque sorte ... rejouant la scène finale au Mount Rushmore de la Mort aux trousses avant de revivre le mythe de Sisyphe en boucle et de nous faire craindre l'écrasement.
Les six artistes nous embarquent dans leur(s) monde(s) dans un corps à corps polysémique avec la structure. Et quand ils chantent a capella, tête en bas on pense qu'il ne sera pas possible de pousser la performance plus loin encore.
On les accompagne jusqu'au bout de leur singulier voyage en oubliant le danger. Et quand il n'en reste plus qu'un, pendant au-dessus du vide et continuant à lutter contre lui-même on se dit qu'il faut inventer des mots nouveaux pour leur signifier notre admiration.
Celui qui tombe cherche inlassablement la limite en lisière des jeux de vertige et des jeux de masques.
La compagnie est née il y a quatre ans. Cette petite équipe invente inlassablement des esquisses qui parfois deviennent des numéros. Je les avais découvert sautant sur d'époustouflants trampolines devant le château de Sceaux en 2013. J'avais moi-même fait l'expérience de la gravité en participant au spectacle l'année suivante dans le cadre du Festival Solstice. Et je suis devenue fan inconditionnelle de leur talent.
Celui qui tombe
Conception, mise en scène et scénographie
Yoann Bourgeois, assisté de Marie Fonte
Interprètes : Jean-Baptiste André, Mathieu Bleton, Julien Cramillet, Marie Fonte, Elise Legros et Vania Vaneau
Jusqu'au 10 octobre au Monfort, 106 rue Brancion, 75015 Paris puis en tournée en France jusqu'en avril 2016
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Géraldine Aresteanu
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