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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 29 juillet 2016

La saumonerie de Granville (50)

Après quelques jours au Mont-Saint-Michel, dont j'ai commencé à rendre compte, je suis partie pour un petit périple dans la Manche, pas la mer mais le département, qui est tout de même (et je ne m'en doutais pas) le département où il y a le plus de rivières à saumons.

Néanmoins la Saumonerie Granvillaise est toute jeune, à l'inverse d'entreprises que je visiterai aussi et qui sont implantées depuis plus d'un siècle comme la Fonderie des cloches de Villedieu-les-Poêles.

Elle a été créée il y a douze ans (en 2004) juste en face du Mont, par Rodolphe Belghazi dans la (petite) zone industrielle de Granville parce que c'est la ville où il est né. Sa formation est solide. Il a d'abord été ingénieur en produits de la mer et a fait des études d'aquaculture qui se sont terminées par un stage de fin d'études de six mois dans l'atelier de fumage de poissons de Labeyrie.
Pas question de reproduire à petite échelle les méthodes qu'ils a suivies dans cette maison. Ce qu'il a développé est radicalement différent, en terme de méthode comme de goûts. Il se situe volontairement dans l'artisanat et la haute qualité, en privilégiant la qualité du produit et la relation avec le client.

Il a d'abord travaillé seul, et encore maintenant il peut occuper touts les postes. Avec le temps et le succès il a progressivement choisi de se développer en ouvrant d'autres ateliers, à Dinard, Bayeux, puis Cherbourg, ce qui permet de rester au plus près du client même si la vente en ligne est un des objectifs pour les mois à venir.

Le contact avec la clientèle reste essentiel pour Rodolphe car il permet surtout d'avoir un retour sur la qualité et l'appréciation des produits.


C'est pourquoi on peut venir tous les matins (sauf le samedi) mais aussi et surtout l'après-midi (du mardi au samedi) à l'atelier et on y est bien reçu, même si on n'y passe la tête que pour les fêtes de fin d'année. Le patron tient à maintenir cette position en effectuant 80% des ventes avec les particuliers. Il a calculé qu'il faudrait fabriquer 7 à 8 fois plus afin de pouvoir consentir les 30 % de ristourne exigés par les grandes surfaces. On ne pourrait plus parler de travail artisanal. Il préfère rester dans la fourchette de 7 tonnes par unité.

Les particuliers viennent donc acheter, mais ils peuvent aussi apporter le produit de leur pêche. Des saumons, du bar, des grosse truites, mais aucune viande, parce que la technique de fumage est différente et qu'il faudrait une chambre froide indépendante. Si vous êtes intéressé comptez une semaine de délai (et un coût d'environ 23 €). 
L'atelier est aussi ouvert aux visites. Le hall d’accueil peut accueillir une soixantaine de personnes, scolaires ou adultes, et pendant une bonne heure, on leur expliquera tout. La découpe s'effectue sous les yeux des acheteurs. Il n'y a pas grand chose à cacher, Tout l'art est dans le coup de main et bien entendu aussi dans l'approvisionnement.

On trouve chez lui du saumon de plusieurs provenances. Peu de "sauvage" car Rodolphe Belghazi me confirme ce que m'avait déjà dit chez Barthouil, rien n'empêche le poisson sauvage de nager dans des eaux qui peuvent être polluées et "sauvage" n'est donc pas synonyme de qualité ni de garantie sanitaire, ce qui est surtout le risque avec celui qui provient de la mer Baltique. Il sélectionne quelques saumons sauvages d’Ecosse ou du Pacifique, mais jamais de saumon d’élevage de Norvège, dont la régularité (qualité) est jugée insuffisante.

Le saumon du Pacifique, donc du Canada, serait le plus abordable en terme de prix mais sa texture a tendance à être pâteuse. On peut trouver "local" dans les élevages de Cherbourg ou de la région d'Isigny-sur-Mer qui sont les deux seuls élevages français, et avec qui la Saumonerie Granvillaise travaille.

Mais pour cet artisan le le top viendrait d'Ecosse, en l'occurrence de la ferme Label rouge de Loch Duart, retenue par la table royale de la Reine d'Angleterre. Il est un peu plus rouge et il faudra compter environ 74 € le kilo une fois fumé. Rodolphe me montre une vue aérienne de cette ferme, perdue au bout du bout dans le comté de Sutherland, où il se rend régulièrement.
Si on cherche un produit qualitatif à prix moins élevé, on peut se tourner vers la truite de mer (pas d'eau douce) qui viendra elle aussi de Cherbourg (62 €). Ou carrément le maquereau (26 €) qui fumé lui aussi à froid restera croquant puisque sa chair sera encore crue.

On pourra en saison trouver du bar, du mulet, de la dorade. Egalement du thon blanc (pas le rouge qui et protégé), du merlu et bien entendu du haddock et, plus original, la coquille Saint Jacques. Une des dernières spécialités est le saumon flaky, fumé à chaud, dont le goût est plus prononcé et qui a nécessité 6 mois de recherche et développement. Quant aux rillettes de saumon fumé, elles ont beaucoup de succès car elles sont faites avec de la vraie chair.

La fabrication est expliquée en toute transparence :
Le filetage consiste à séparer les deux filets en un tour de main qui s'acquiert au bout d'au moins un an de pratique.

Vient ensuite le salage au sel sec de mer, classique, pendant 3 à 4 heures avant un rinçage à l'eau. Ici pas de trempage en saumure ni de séchage à plat. Le chlorure de sodium pénètre à l'intérieur des cellules pour faire sortir l'eau, ce qui donnera du goût et assèchera un peu les chairs en assurant une meilleure conservation. Mais la conséquence sera de perdre 5% de son poids alors qu'avec la saumure il en gagnerait 10.

Le taux de sel des produits vendus est deux fois moindre en produit fini que ce qu'on trouve en industriel, ce qui a une incidence sur la santé du consommateur.

Le fumage commence après un simple égouttage. Il se pratique "à la ficelle", chaque filet étant suspendu, pour s'égoutter alors que la fumée pénètre par l'eau interstitielle du poisson. Le poisson va s'étirer en longueur sur une dizaine de centimètres.

On se donne juste la peine de l'accrocher ce que l'industrie ne fait pas, se contentant de pousser des chariots mécanisés, fait remarquer Rodolphe avec un soupçon d'ironie. Bien entendu le fumage s'effectue à la sciure de bois alors qu'en usine on peut employer du fumage liquide, ou pire de l'arôme de fumée. Et alors que les anglo-saxons utilisent le bois de chêne, nous préférons le hêtre qui respecte davantage le goût du poisson sans lui donner de l'âcreté. Le débit de fumée, qui peut varier considérablement en fonction de la pression atmosphérique et de l’hygrométrie, est ajusté manuellement en continu.

L'affinage est une opération très importante car elle doit être lente et se poursuivre en chambre froide, aux alentours de 8-10 degrés au moins cinq à six jours pour favoriser la pénétration de la fumée par rapport à l'évaporation, et de manière à ce que le goût soit bien homogène. 

Au moment du tranchage la dextérité et l'expérience sont déterminantes car il ne s'agirait pas de saccager le produit. On enlève le muscle brun qui représente tout de même 5% du poids de la tranche. Un intercalaire est glissé entre les tranches et l'emballage met en valeur la chair du poisson. 

Enfin, dernière étape, et non des moindres, la dégustation. On oubliera le pain de mie grillé au bénéfice d'un pain au levain bien craquant. Rodolphe déconseille la crème et même le citron, si ce n'est à la rigueur 2-3 gouttes. Ses produits sont de qualité, cela se voit au premier coup d'oeil : il n'y a pas de gras ni d'eau qui perle. On gardera le poisson en bouche, et expirera par le nez pour apprécier  tous les arômes par rétro olfaction. Ainsi dégusté l'écossais est léger, moelleux, absolument pas sec et son goût exprime une belle longueur en bouche.
Rodolphe Belghazi a gagné au bout de dix ans d'efforts la labellisation de maître artisan. Puis le trophée des entrepreneurs. Lui qui semblait encore il y a trois ans viser un rêve, peut être fier d'avoir atteint ses objectifs. Il est maintenant en phase de stabilisation de son  développement.

Et surtout il est en passe d'être connu à l'instar du homard bleu de Chausey ou d'un autre enfant du pays, Christian Dior, dont je vous présenterai dans quelques jours la maison familiale et ses jardins.

C'est ce que pouvaient se dire tous ceux qui ont assisté au départ du Tour de France 2016 ... dont le passage dans le Cotentin a fait sensation. La saumonerie figurait parmi les 20 entreprises mises en avant dans le carnet de route du Tour.

La Saumonerie Granvillaise
210, rue du Conillot - ZI du Mesnil - 50400 Granville Tél. 02 33 59 45 07 - info@lesaumonier.fr

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