Ça s’est fait comme ça est un livre magnifique, comme le dit Olivia de Lamberterie (ELLE) en bandeau sur la couverture de la réédition. Gérard Depardieu se livre, avec la sincérité et l'entièreté dont je me souviens.
Il se trouve que j'ai travaillé sur des projets où il était impliqué et j'ai connu un homme que je ne reconnaissais pas dans les critiques que la presse étalait. Les faits étaient sans aucun doute exacts, mais je ne partageais pas l'analyse qu'on en faisait.
Je sentais bien qu'on m'écoutait avec condescendance quand j'allais à l'encontre des critiques. En lisant ce "petit" livre j'ai retrouvé le Gérard Depardieu que j'avais rencontré. Cette lecture devrait être inscrite dans les programmes de l'Education nationale tant elle a valeur d'exemple.
Dit comme ça on va croire que l'homme est donneur de leçons. Pas du tout. Mais son parcours de vie l'est. Et il est essentiel que ce qu'on appelle l'école comprenne les clés de la réussite que certaines personnalités parviennent à gagner sans suivre le chemin classique. Voire même justement, en s'en libérant.
L'acteur explique pourquoi il a quitté l'école (p. 30), parce qu'on l'a accusé d'un vol qu'il n'avait pas commis. Par chance il a juste eu le temps d'apprendre à lire et à écrire.
Il ne prétend jamais être un enfant de choeur et reconnait franchement les écarts de comportement. Il avoue des méfaits qu'il a bel et bien commis. Un banal vol de voiture (un vrai cette fois même si c'est un emprunt pour une soirée dira-t-il) le fait plonger. Trois semaines de prison, pas grand chose, mais cela suffira pour avoir un effet déterminant. A cause d'une rencontre avec le psychologue des lieux qui l'accueille avec bienveillance et lui trouve des mains de sculpteur.
Ce regard fera basculer sa vie. Si cet homme voit en moi un artiste, alors c'est sûrement que je vaux mieux que le voyou dont j'étais en train de revêtir l'habit. (p. 51). Et il ajoute : Voilà c'est ça l'immense beauté de la vie : qu'une seule rencontre puisse t'apporter bien plus que dix années passées sur les bancs de l'école à répéter bêtement ce que dit un professeur.
Il y a dans ce livre de quoi souhaiter que l'Education nationale parvienne à comprendre comment insuffler aux élèves ce même niveau de confiance en soi. Car ce jeune homme a tout à fait les capacités pour apprendre. Il le prouvera sur scène en connaissant son texte (et celui de ses partenaires). Il aura la patience d'aller à l'école, mais à l'école du théâtre, en suivant l'enseignement de Jean Laurent Cochet. Il a 17 ans et suppose que Pyrrhus est un nom de clébard. Il est certes inculte et pourtant il est touché par la grâce des vers de Racine.
De Corneille à shakespeare, de Marivaux à Musset, en passant par George Sand, Bertold Brecht et Peter Handke (...) je me découvre une capacité à assimiler que je ne me soupçonnais pas. (p. 78)
Il se dit aussi vide qu'une page blanche. Alors il se remplit. Il aspire, dans tous les sens du terme. Son aisance à travailler avec des auteurs ou des metteurs en scène aussi exigeants que Marguerite Duras ou Claude Régy devrait nous convaincre qu'il n'y a pas de fatalité là où on croit la voir. On le sait mais ça fait du bien d'avoir la preuve qu'on peut être furieusement intelligent sans être un intellectuel.
Gérard ne rêve pas d'être acteur. Il rêve de survivre, pour s'extirper de l'analphabétisme (p. 111). Voilà une de ses forces. Le secret peut-être de sa réussite c'est de rester à l'affût de la vie (p. 13).
A l'inverse, il est retenu par un déficit d'estime de soi (ce qui est sans rapport avec avoir confiance en soi). J'ai une si mauvaise image de moi, reconnait-il (p. 148). A l'heure des bilans on sent poindre une vraie détresse de n'avoir pas été à la hauteur des espérances de ceux qui m'ont aimé (p. 152. Et puis la vie reprend le dessus : Bon ça me traverse, et puis ça passe.
L'enfant qui a survécu aux aiguilles à tricoter de sa mère semble être doté d'une carapace inoxydable. Il a la chance, car c'en est une, d'être curieux de tout et tout l'élève (p. 180). Tout lui réussit tant qu'il s'agit de faire, de lancer des projets, de produire des idées, de trouver des solutions. Gérard se réalise dans l'action. Toutes les actions, dans tous les domaines.
Les sentiments l'entrainent dans un monde où par contre il ne dispose pas des bonnes clés. Il confie à propos de son fils Guillaume, qu'il ne l'a pas suffisamment habillé pour le mettre à l'abri du feu (p. 119). Je sais dire les mots des autres, mais pour les miens je suis le fils du Dédé (p. 127), de ce père qui marmonnait et qui faute de savoir s'exprimer pouvait raidir un sourire toute une journée.
Publié par XO, l'ouvrage est ressorti au Livre de Poche en conservant la couverture de la première édition. La photographie, en noir et blanc, condense l'essentiel de son tempérament de fauve. Notre regard le dissuade quelques instants de s'élancer. On le sent partagé entre l'envie de se sauver et celle de partager ce destin singulier dont il aimerait que ce soit un modèle, certes parmi d'autres, mais une voie possible.
Il déroule sa vie sans tricher, sans tirer gloire de rien. Son monologue est à la fois si intime, si fragile et si puissant qu'il fait oublier que ce sont des mots de papier. Ses confidences sont bouleversantes, comme le sont les choix de textes de Peter Handke qu'il convoque quand le passé s'interpose entre le présent et le futur, te faisant te sentir lourd, pesant, ecchymosé de toi-même. (p. 171, in Les gens déraisonnables sont en voie de disparition).
Ce livre est à glisser entre toutes les mains. Il a le pouvoir de faire du bien.
Ça s’est fait comme ça de Gérard Depardieu, XO éditions en octobre 2014, et depuis le 9 mars 2016 en Livre de Poche
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