Je suis perplexe sur la sélection des 68. Quand la production est immense pourquoi privilégier, ou en tout cas offrir encore davantage de visibilité, à des livres qui ont déjà été récompensés comme Le parfum des cendres ou Le Voyant d’Etampes ? Que pouvons-nous leur apporter de plus ? N’est-ce pas une dilution d’énergie alors que des pépites vont rester dans l’ombre ? Chacun sait que les maisons d’édition poubellisent des dizaines de manuscrits de premier roman …
A propos de ce que je dirai de ce livre j’emprunterai la citation que son auteur, Abel Quentin, nous donne comme étant d’Albert Camus (p. 315) : je voudrais d’abord parler de mon empêchement à dire des choses définitives sur ce sujet.
Mais j’avouerai malgré tout d’emblée que je n’ai pas ressenti beaucoup de plaisir à feuilleter son œuvre. J’emploie ce terme de feuilleter car je serais malhonnête de dire que je l’ai lu dans son entièreté, ce qui ne m’a pas empêché de relever un nombre de fois élevé la récurrence de sa marque de voiture, une Toyota Prius. Je l’ai suivi comme on le fait d’un feuilleton dont les épisodes sont somme toute prévisibles, y compris la fin qu’on m’avait promise comme offrant un rebondissement.
La quatrième de couverture est d'habitude une sorte de résumé du sujet. Ici, dans une sorte de mise en abîme, on reprend un extrait imprimé page 125. "J’allais conjurer le sort, le mauvais œil qui me collait le train depuis près de trente ans. Le Voyant d’Étampes serait ma renaissance et le premier jour de ma nouvelle vie. J’allais recaver une dernière fois, me refaire sur un registre plus confidentiel, mais moins dangereux."
Universitaire alcoolique et fraîchement retraité, Jean Roscoff se lance dans l’écriture d’un livre pour se remettre en selle : Le voyant d’Étampes, essai sur un poète américain méconnu qui se tua au volant dans l’Essonne, au début des années 60.
A priori, pas de quoi déchaîner la critique. Mais si son sujet était piégé ?
J’aime croire ce qu’on me raconte. Si on me jure que Robert Willow a existé j’aimerais ne pas en douter, au moins le temps que durera ma lecture. Sinon comment vais-je savourer sa bio, même si elle n’arrive que page 236 ? Pour cela il aurait fallu que la tour Prélude ait été réellement détruite comme le prétend Jean Roscoff, qui estime hideux les bâtiments de la rue Archereau (p. 125). La plus haute tour d’habitation et le cours Florent.alors qu’elle se dresse encore dans le XIX° arrondissement. Il n’aurait pas fallu non plus que la secrétaire de l’université déplore que ce sera "ceinture et bretelles" (p. 159) en faisant un contre sens malheureux puisque cette expression québécoise signifie double sécurité. Rien à voir avec "faire ceinture".
Evidemment Robert Willow, à supposer qu’il ait existé, n’aurait pas pu habiter à Étampes rue de la queue du loup, mais plutôt rue de la queue du renard qui, elle, figure sur le plan de la ville. Certes ce qui est écrit plus loin à propos de SOS Racisme et de Canal + sont très intéressants mais quelle complexité à démêler le vrai du faux.
J’ai éclaté de rire quand le personnage, qui est tout de même censé être un ancien prof d’université, invoque une plâtrée de spaghettis (p. 109). Combien de fois m’a-t-on reprise en m’expliquant qu’il fallait employer "platée" ! Je pourrais pointer d’autres maladresses mais on va me rétorquer que j’agis comme le bloggeur (insignifiant) qui lui fait du tort. Et surtout on me fera observer que Le voyant d’Etampes, qui était aussi en lice pour le Goncourt et le Renaudot, a reçu le prestigieux Prix de Flore, ce qui est bien la preuve que je me fourvoie à le critiquer.
Alors poussons la logique jusqu’à applaudir le choix de la photo de couverture, en espérant que l’éditeur, à l’inverse de celui qui figure dans l’histoire, n’aura pas dépensé des fortunes en droits d’auteur (p. 102). Elle dégage une beauté singulière qui laisse présager l’accident comme celui d’Albert Camus et Michel Gallimard (1960), Roger Nimier (1962), … ou Gonzague Saint Bris (2017).
Et à plébisciter sa sortie le 18 août faisant mentir, encore une fois, l’éditeur en question, qui (p. 115) avait promis qu’une sortie en milieu d’année, en dehors de la grande boucherie de la rentrée littéraire, me permettrait une forme de visibilité. On n’est pas à une contradiction près !
Les diatribes à propos de terrorisme intellectuel (p. 211) ne sont pas inintéressantes mais n’autorisent pas pour autant à crier au génie. N’empêche qu’un auteur qui louange la petite dame d’Auxerre (p. 221) remonte illico dans mon estime. Ce n’est pas si souvent qu’on glisse un hommage à Marie Noël.
Je ne m'appesantirai pas davantage, histoire de ne pas créer l'effet Effet Barbara Streisand que raille Abel Quentin, si ce n'est vous demander s'il possible de consacrer près de 400 pages à un personnage qui n’a pas existé et à un seul sujet fondamental : Pensez-vous qu’il est possible de parler de l’œuvre d’un Noir américain écrite dans les années 1950 sans dire qu’il était noir ? (p. 133)
Sans doute y répond-il lui même au début du roman : C’était mon destin et mon ingrate vocation que d’être Jean Roscoff, la promesse non tenue. Celui dont on énumère les qualités avant d’ajouter à voix basse : quel gâchis. Être une promesse non tenue : c’était mon unique horizon (p. 24).
Et il confirme plus loin : Être Robert Willow était un prétexte que j’utilisais pour obtenir ma propre réhabilitation, pour me faire mousser, moi (p. 116).
Abel Quentin raconte la chute d’un anti-héros romantique et cynique, à l’ère des réseaux sociaux et des dérives identitaires. Et dresse, avec un humour délicieusement acide, le portrait d’une génération. Né en 1985, Abel Quentin est avocat pénaliste. Il est aussi l’auteur d’un premier roman déjà très remarqué, Sœur (sélection prix Goncourt et finaliste du prix Goncourt des lycéens 2019).
Le Voyant d’Étampes d’Abel Quentin, en librairie depuis le 18 août 2021
Prix de Flore 2021
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