Faire corps est le second roman de Charlotte Pons et le moins qu’on puisse dire est qu’il est très touchant. Sandra accepte de porter l’enfant de (à moins qu’il ne faille dire pour ?) son ami d’enfance Romain et son compagnon Marc après leur échec dans le parcours si complexe de la GPA (Gestation Pour Autrui) suivi à grands frais aux USA puisqu’elle reste interdite en France.
On pourrait dire qu’elle ne le fait pas par gaité de coeur. Parce qu’elle n’a jamais eu de désir d’enfant. Parce qu’à la quarantaine elle croyait la question résolue. Parce que mettre en route une nouvelle vie la confronte encore plus cruellement à la perte de son frère, décédé tragiquement et dont le souvenir s’imposera régulièrement, avec ce qui l’accompagne de culpabilité. Parce que ses rapports avec sa mère dépressive ne l’ont pas rassurée sur sa capacité à devenir une bonne mère. Parce que jusqu’à présent elle a l’impression de ne vivre à peine que 0,01% de ce que le monde peut offrir (p. 56).
Alors pourquoi se laisse-t-elle convaincre ? Par amitié ? Par empathie ? Pour l’argent ? Par défi ? Le lecteur suivra plusieurs pistes au cours d’un trajet de presque un an qui prend parfois des allures de thriller psychologique. Sandra partage avec nous les bouleversements que subit son corps et qu’elle n’avait pas soupçonnés. Si le sujet a été admirablement, et si pudiquement traité au théâtre par Pauline Bureau à la rentrée dernière avec Pour autrui, je n’avais pas eu l’occasion de le découvrir en littérature. Il faut d’ailleurs souligner que c’est un sujet de société particulièrement sensible et clivant. Car tant que les lois de bioéthique ne seront pas en accord avec la réalité les gens devront se débrouiller.
On a souvent lu des textes fouillant le désir de maternité, que certains qualifie d’instinctif quand d’autres affirme qu’il n’est pas du tout automatique. Des hommes se sont aussi exprimés à propos de la paternité. Mais la parentalité est moins étudiée. Romain, qui a lui aussi quarante ans, vit la situation plus intensément que Marc, âgé de vingt ans de plus, et habitué à y renoncer puisque le combat prioritaire était de faire admettre son homosexualité.
Charlotte Pons n’a pas opté pour une vision romancée de la grossesse. Elle devient ici presque un challenge, au moins un devoir pour celle qui se sent comme une terre grasse et féconde honteusement laissée en jachère. Je me sentais coupable. Et pourtant il n’était pas dit que je puisse (p. 34).
Bien que raconté du point de vue de Sandra, le récit nous permet de suivre indirectement l’évolution du couple d’amis, en particulier de Romain qui, après avoir vu la femme comme un ventre, basculera dans un rapport de domination qui supplantera leur amitié.
Des souvenirs de sa propre enfance et des rapports que Sandra a entretenu surtout après la mort de son frère, avec sa mère, aujourd’hui décédée, vont remonter à la surface, l’inquiéter, voire l’effrayer. Il y a de quoi étant donné la violence de certaines scènes qu’elle nous raconte (p. 214). Alors qu’il n’est a priori pas question qu’elle soit, après la naissance, la maman de cet enfant destiné à d’autres, elle ne peut s’empêcher de se demander quelle mère on peut être quand on a été confrontée à la folie de la sienne.
Sans spoiler la fin j’ai aussi pensé au film de Michel Franco Les Filles d'Avril réalisé en 2017 par Michel Franco avec Emma Suárez et Ana Valeria Becerril qui se déroule au Mexique. On y voit une adolescente débordée par la naissance de l’enfant qu’elle a eu volontairement avec son petit ami alors que sa mère prend un ascendant monstrueux sur elle, son couple et cet enfant. A la fin du film la toute jeune femme a une réaction proche de celle de Sandra.
Charlotte Pons évite les écueils du pathos et de la leçon de morale. Son écriture moderne, souvent nerveuse, n’occulte rien. Les dialogues sont terriblement vivants. Ses réflexions sur le commerce du corps humain (p.60) sont loin de toute naïveté. Elle laisse son personnage chercher sur Internet des réponses à des questions existentielles qu’elle finira par trouver en elle.
Qu’est-ce que ça va changer de porter la vie ? A-t-elle songé à tous les risques d’attachement depuis qu’elle héberge un foetus-clandestin, comme elle le désigne elle-même ? Sandra est régulièrement effarée par le cours de ses pensées. Dans mon coeur, sans même être né, l’enfant avait supplanté mon ami (p.201).
Se serait-elle trompée en affirmant au début du livre : Neuf mois et puis s’en vont, comme on fredonnerait une comptine ? Pourra-t-elle donner la vie sans devenir mère ? C’est si juste qu’on se demande quelle est la part de vécu dans ce qui est malgré tout un roman. L’auteure s’est beaucoup documentée et elle est la mère de deux enfants, ce qui explique aussi la justesse de ton à propos de la grossesse.
Charlotte Pons a passé huit ans au sein de la rédaction parisienne du site web du Point comme journaliste culture où après avoir surtout corrigé l’orthographe et la syntaxe des rédacteurs (comme son héroïne) elle deviendra chef d'édition. Elle a créé en 2016 les ateliers d'écriture Engrenages & Fictions. Elle est aussi l’autrice d’un premier roman, Parmi les miens (Flammarion, 2017) dans lequel elle traitait déjà un sujet concernant la revendication à disposer de son corps à travers la fin de la vie et l’euthanasie.
Faire corps de Charlotte Pons, Flammarion, en librairie depuis le 24 février 2021
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