J’ai été très troublée d’apprendre la dureté des épreuves que l’auteure a traversées, et sans doute y est-on d’autant plus attentif que la situation politique internationale, avec ce qui se passe en Ukraine, rappelle combien la barbarie peut être au rendez-vous du jour au lendemain pour beaucoup de personnes.
Une soupe à la grenade s'apparente aux romans feel-good mais il ne faut pas s'y tromper. Certains récits sont terribles (p. 95, 130, 230) et leur lecture ne laisse pas planer le doute sur ce que Marsha Mehran a subi.
La disparition inexpliquée de l'auteure qui a été retrouvée morte en 2014 dans des circonstances mystérieuses ajoute de l’effroi et son intention d’insuffler des sentiments joyeux dans son livre nous la rend encore plus touchante. Elle s’est en effet largement inspirée de sa propre histoire familiale pour composer ce roman. Cela étant la tragédie dont elle a été victime me paralyserait pour faire la moindre critique.
Trois jeunes sœurs ayant fui l’Iran au moment de la révolution (1979) trouvent refuge dans un petit village d’Irlande pluvieux et replié sur lui-même. Elles y ouvrent le Babylon Café et bientôt les effluves ensorcelants de la cardamome et de la nigelle, des amandes grillées et du miel chaud bouleversent la tranquillité de Ballinacroagh. Les habitants ne les accueillent pourtant pas à bras ouverts, loin s’en faut. Mais la cuisine persane des trois sœurs, délicate et parfumée, fait germer d’étranges graines chez ceux qui la goûtent. Les délicieux rouleaux de dolmas à l’aneth et les baklavas fondant sur la langue, arrosés d’un thé doré infusant dans son samovar en cuivre, font fleurir leurs rêves et leur donnent envie de transformer leur vie.
La description de la grenade et de ses vertus intervient assez loin (p. 227). J’ai beaucoup apprécié que les références à la cuisine ne soient pas anecdotiques mais toujours contextualisées. On voit, sans surprise, qu’elle agit comme un baume, parce qu’elle est synonyme de partage et parce que les spécialités iraniennes sont extrêmement odorantes. J’ai la chance de disposer d’épices venant de ce pays dans mes placards et je les utilise avec plaisir.
La présence de recettes n’est pas originale en soi. Mais ce qui l’est est que chacune est positionnée en rapport avec l’intrigue. Une soupe à la grenade est l’une d’elles et donne son titre à l’ouvrage. Pas une page qui ne célèbre les sens. On a le sentiment de respirer les parfums de l’Iran et les descriptions des plats font constamment saliver. A nous de vérifier si la magie opérera en tentant de faire aussi bien qu’elle en exécutant ses recettes.
Les emprunts à la culture persane et à la culture celte sont très agréables à suivre. Chaque soeur a sa personnalité et son propre regard sur la situation. Les personnages sont autant hauts en couleur d'un coté que de l'autre, sans oublier Estelle Delmonico, la charmante propriétaire italienne du restaurant.
Certes, tout est bien qui finit bien dans cette histoire dont on devine souvent les péripéties mais s’agissant d’un premier roman il faut saluer le talent de Marsha Mehran dont on aurait tant aimé découvrir plus de livres. Elle avait projeté d’en écrire sept.
Marsha Mehran a connu l’exil dans plusieurs pays : Argentine, États-Unis, Australie, avant de s'installer en Irlande avec son mari. Elle avait 27 ans lorsque parut La Soupe à la grenade, qui connut un succès immédiat. Le roman a été traduit en 15 langues et publié dans 20 pays. Suivront Rosewater and Soda Bread et The Saturday Night School of Beauty, avant qu'elle ne décède en 2014 dans des circonstances mystérieuses.
On peut aussi conseiller dans le même esprit le livre de nouvelles de Zoyâ Pirzäd, Le Goût âpre des kakis, paru chez Zulma en 2009, traduites du persan (Iran) par Christophe Balaÿ.
Une soupe à la grenade de Marsha Mehran, traduit de l’anglais par Santiago Artozqui, éditions Picquier, en librairie depuis août 2021
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