Je suis la maman du bourreau est une phrase de confession prononcée par Gabrielle de Miremont (p. 160) qui ne surprend pas le lecteur puisqu’elle était prévisible dès les premières lignes.
Il n’empêche que le roman de David Lelait-Helo se découvre comme un thriller psychologique. Je ne peux pas revendiquer un « plaisir » de lecture, étant donné la gravité du sujet, mais je peux dire que je l’ai lu sans relâcher mon attention. Avoir tout compris des évènements ne retire en rien à la qualité du récit. Et le parti-pris de donner la parole à la famille, ici la mère, plus encore qu’à la victime (même si elle a toute sa place) fait de ce roman un objet différent de ce qu’on a déjà lu à propos de pédophilie dans le milieu catholique.
La construction est remarquable et je ne suis pas surprise que cette oeuvre soit en lice pour plusieurs prix littéraires.
Le portrait qui nous est fait de cette nonagénaire, figée dans l’austérité de la vieille aristocratie catholique dont elle est l’incarnation, est si parlant qu’on a le sentiment au fil des pages de rencontrer cette femme en chair et en os. On la déteste bien évidemment d’abord pour sa suffisance avant d’éprouver une espèce de compassion, dont on a bien compris qu’elle n’est que le résultat de l’évolution du personnage selon la volonté de l’auteur.
David Lelait-Helo, qui par ailleurs excelle dans la biographie de personnalités célèbres (comme Dalida, Eva Perón, Maria Callas, Barbara et Romy Schneider) nous offre là une trajectoire de femme sur laquelle nos a priori vont vaciller.
Le récit commence avec fermeté. Je sus alors que mon fils serait l’âme de mon âme plutôt que la chair de ma chair. Je sus que Dieu était son père et que mon fils Le servirait. L’ai-je su ou décidé ? Peu importe puisque, au final, cela revient au même. (…) Mes filles dont j’avais oublié l’instant de la conception allaient perdre leur mère puisque j’aurais bientôt un fils. J’ai porté trois enfants. Deux n’ont fait que passer, le troisième est resté en moi, accroché à moi. Deux ont logé dans mon ventre, le dernier dans mon âme. Mon fils. Mon amour, mon Dieu. Ma chute (p. 22).
A la découverte des actes commis par ce fils tant adoré, on pourrait la croire humiliée et arrogante, réfutant ce qu’elle imagine pourtant alors n’être que pure calomnie. Mais non. Elle assumera ce qu’elle estime être sa part de responsabilité. Et elle le fera jusqu’au bout, dans le but de participer à une sorte de justice restauratrice à l’égard de la première victime. J’y ai vu quelque chose de semblable à ce qui est démontré dans le film de Sylvie Audcoeur, Une mère, bien que le thème soit radicalement différent. Il y a néanmoins de part et d’autre une proximité de réflexion sur la maternité.
On suit l’évolution de Gabrielle, qui porte le prénom d’un ange, en assistant à quelque chose qui s’apparente à une révélation, laquelle vient en contrepoint de celle qui a été à l’origine de sa foi. Nos vies sont de bien étranges choses dont on ne sait pas toujours quoi faire.– Hadrien, je ne me suis jamais posé la question du bonheur, encore moins celle du plaisir. J’élevais mes enfants, je faisais honneur à mon mari, j’adorais Dieu. La partition avait été écrite ainsi et je n’ai jamais pensé à faire le bilan de ma vie.– Jusqu’à aujourd’hui ?– Jusqu’à votre aveu, jusqu’à cet effondrement. L’abjection qu’a commise mon fils enlaidit toute mon existence. Plus rien de ce que j’ai construit n’a de sens ni de raison d’être (p. 141).
Cette femme pourra-t-elle se défaire de cette posture interdisant l’expression des émotions ? L’honneur est-il une question de réputation ? Le roman aurait pu s’intituler Une femme d’honneur (si l’expression n’avait pas déjà été utilisée).
Il n’y a guère que la couverture qui ne m’ait pas vraiment séduite. J’aurais plutôt vu un panier de raisins qu’une pomme, dont la signification est très cliché. Reconnaissons que ce n’est qu’un minuscule détail.
Né en 1971 à Orléans, David Lelait-Helo est aussi l’auteur de nombreux romans dont Poussière d’homme. Il vit à Paris. Je l'avais rencontré en Avignon, pendant le festival de juillet 2019, le soir de la Première de la pièce au Théâtre du Chien Qui Fume, Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri, dont j'avais autant apprécié le propos, le texte, la mise en scène de Virginie Lemoine et le jeu de Didier Constant. Il y avait beaucoup d'émotion ce soir là. L'auteur était autant touché que touchant. Nous avions discuté agréablement de son travail et de ses passions.
Lu en version numérique
Première sélection du Prix Orange du Livre 2022
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