Fantasma Circus Erotica

Après le succès de leur passage au Théâtre des Variétés au printemps dernier, et la performance particulièrement remarquée de l'un des artistes (Piche) lors de la deuxième saison de Drag Race France et après le lancement de Belle de Nuit, le nouveau show de Manon Savary et Marc Zafutto à Las Vegas, Fantasma Circus Erotica est revenu fêter la nouvelle année avec quatre soirées aux Folies Bergère, du 3 au 6 janvier 2024.

Ce titre de Fantasma Circus Erotica donne parfaitement le ton, ou plutôt les tons du spectacle.

Voilà du cabaret dans la grande tradition parisienne au sein d'une des salles les plus mythiques de la capitale. Et le spectacle commence dans le hall bien avant l'heure annoncée. Plusieurs membres de la troupe y sont présents, en costumes de latex et dans des postures évoquant, dans des halos de lumières bleues et rouges (pendant les photos difficiles) l'univers sado-maso tout en se déroulant dans une ambiance extrêmement chaleureuse, et sans aucune ambiguïté, enfin de mon point de vue.

Il est vrai cependant que ce n'est pas tout à fait "tous publics" mais point n'est besoin d'être queer pour apprécier  l'esthétisme, le niveau de performance, les chorégraphies, les lumières … etc … même si je me suis sentie parfois après l'un ou l'autre numéro "out of the game", ce qui est un paradoxe pour un spectacle qui se veut accepter toutes les formes de sexualité. Il me semble qu'il faudrait y songer dans une version ultérieure.

Plus ennuyeux, j'ai loupé une bonne moitié des performances, dès que les danseurs (qu'on me pardonne de ne pas employer l'écriture inclusive qui rendrait vite cet article illisible) se trouvaient au ras du sol parce que du fait de la pente du plateau la visibilité est extrêmement réduite dès le quatrième rang. Je vous conseille donc très fortement de choisir votre place en corbeille même si cela restreint les possibilités.

A moins que Manon Savary, consciente de ce handicap, n'obtienne du propriétaire de la salle la confection d'une plateforme (qui sera utile à beaucoup d'autres spectacles). En tout cas elle m'a confié qu'il y aurait pour l'été un changement majeur avec l'ajout d'un numéro à la gloire de l'olympisme cet été durant les Jeux Olympiques de Paris 2024. La troupe est déjà constituée de plusieurs sportifs de haut niveau. Comment feront-ils pour présenter encore plus fort ? A vrai dire quand on sait leur acharnement au travail on peut s'attendre à de l'ultra haute performance.

Revenons à la soirée du 3 janvier et à la version "actuelle". Donc, après l'avant-spectacle l'heure précédent le coup d'envoi, nous voilà installés en salle où nous accueille Allanah Starr parfaitement à l'aise dans son rôle de meneuse de revue dans une dialogue avec la salle utilisant le français et l'anglais. It's not a Christmas Show for kids, prévient-elle, mais on le savait déjà. Plus vous ferez de bruit, meilleur sera le show. Pas de doute : elle connait son affaire.

Elle intervient régulièrement en duo avec Piche que l'on a connu au sein de la troupe du Fashion Freak Show de Jean-Paul Gaultier et qui incarne l'inoxydable Dark Bunny avec maitrise, sensualité et humour. 

Le premier numéro joue sur un des ressorts érotiques les plus connus, … le lapin avec six danseurs vêtus d'un costume évoquant l'univers de Playboy. L'animalité sera un des fils rouges de la soirée. Nous suivrons tous les codes du music-hall, du cabaret et du cirque contemporain dans ce qu'ils ont de plus spectaculaire pour mettre les corps en valeur.

Allanah reviendra en Marie-Antoinette sur la musique de God save the queen des Sex Pistols, qu'on pourrait entendre comme God save the queer tant on sait combien il est difficile de ne s'identifier à aucune catégorie relative à son orientation sexuelle et à son identité de genre. La métaphore de la tête coupée est bien trouvée. Tout à l'heure Allanah sera infirmière, puis dominatrice, et toujours avec à propos.

Une vingtaine de numéros et d'interludes vont se succéder. Offrant sur le plan musical des moments inattendus par exemple avec la Recette pour un cake d'amour de Michel Legrand pour le film Peau d'âne. Des instants évidents avec la musique Strip-tease de Juliette Gréco et Pourvu qu'elles soient douces de Mylène Farmer ou les très rythmés My neck, my back de Khia, ATM de Bree Runway ou encore le célébrissime Hot stuff de Donna Summer. D'autres sollicitant notre mémoire comme Flower Duet interprété par Maria Callas et si souvent utilisé en publicité, notamment par les pâtes Barilla, et bien d'autres car la bande son est très judicieuse.

L'esthétisme est partout, souvent au service de la sensibilité, comme dans Shave Me, où, sur la musique de  Flash for fantasy de Billy Idol un homme (David Pereira) prend conscience de son homosexualité. Le recours à la technologie est sophistiqué par exemple pour Vidéo Show où Jean Biche évolue sur la musique de I want you de Madonna.

Beaucoup de fantasmes sont représentés. Il ne pouvait pas ne pas y avoir celui de s'envoyer en l'air, Fantasma Airlines, avec Julian Ardley, Laure Petrie et Esther sur le fameux Hot Stuff précédemment cité. Ils démontrent qu'on peut (aussi) être érotiques sans se dénuder complètement.

Plusieurs numéros sont époustouflants en terme de prouesse technique, comme ceux de Julie Demont, acrobate aérienne qui effectue un numéro solo de cerceau aérien sans doute périlleux et exigeant beaucoup de concentration. Intitulé Red Shoes Fetish, on devine l'allusion à la marque aux célèbres semelles rouges et il renvoie aux fétiches du talon et de la domination sur la musique de Mary Magdelene de FKA Twigs.

On la retrouve plus tard, en duo dans Car crash avec Mimi, qui est aussi la chorégraphe du Show, sur une voiture accidentée, où elles se défient en acrobaties aériennes.

Sema Tawi est une Alien Superstar qui incarne à la perfection le titre de Beyoncé. Ancien mannequin pour Thierry Mugler elle est depuis longtemps membre de l'iconique House of Ninja et est en quelque sort elle porte-flambeau des femmes noires queer tendis que Stessy qui est à la première place sur Fantasma Strip Club est une représentation d'une femme cisgenre noire.

Les interventions de François Sagat ne passent pas inaperçues. Cet artiste populaire de la culture gay, idole des films pornographiques exhibe un sex-appeal décuplé, symbole de la tentation charnelle. Et il faut aussi citer Jake DuPree qui exprime sur scène son androgynéité. Il est d'ailleurs tout à fait normal que chaque artiste vienne saluer à l'appel de son nom qui s'illumine en lettres manuscrites sur le fond de scène :

Je ne vais pas raconter tout le spectacle. J'espère vous en avoir malgré tout dit suffisamment pour vous convaincre d'aller le voir, quelle que soit vote orientation sexuelle car, même si c'est un spectacle militant, c'est avant tout un show d'une qualité exceptionnelle.

Manon Savary (ci-contre) et Marc Zaffuto avaient-ils fait ce pari militant et politique autour de l'égalité des sexes et de la liberté, allant à l’encontre des standards habituels du cabaret (mais ils ont leurs propres standards) ?Ils montrent une féminité, une masculinité et une sexualité qu’on ne voit pas ou très peu, ou du moins dans des cercles fermés et le défi est amplement gagné, grâce à un énorme travail, une recherche inlassable de la perfection et la maitrise du risque sur les numéros d'acrobatie. Grâce aussi à la finesse du travail de la chorégraphe Mimi.

Les derniers applaudissements ne marquent pas la fin de la soirée. Elle se poursuit autour d'un verre dans le hall des Folies. Les membres de la troupe discutent volontiers avec le public. Allanah ne refuse aucune photo et chacun est d'une grande gentillesse.

Que dire de plus ? Vous l'avez manqué cet hiver, … allez-y cet été !

Fantasma Circus Erotica, création Savary & Zaffuto

Les 3, 4, 5 & 6 Janvier 2024 à 20h00

Puis du 18 juillet au 17 août 2024

Aux Folies Bergère - 32 rue Richer - 75009 Paris.

Avec Allanah Starr, David Pereira, Esther, François Sagat, Jake DuPree, Jean-Biche, Julian Ardley, Julie Demont, Laure Petrie, Mimi, Piche, Sema-Tawi, Stessy. 

Création chorégraphique : Mimi.

Création costumes : Angèle Micaux

Création lumières : Pascal Noël

Création vidéo : Clément Dezelus