L'expression usuelle "A tort ou à raison" signifie que quoiqu'il en soit on est persuadé d'une chose et qu'on ne changera pas d'avis. Ici le titre, A tort et à raison, laisse la porte ouverte et invite le spectateur à prendre parti pour l'une ou l'autre des thèses qui s'affrontent.
C'est précisément le sens du titre du film Taking sides, le cas Furtwängler, présenté en 2002, et qui est l'adaptation de la pièce.
Berlin, février 1946. En zone américaine, le commandant Steve Arnold attend Wilhelm Furtwängler, le chef d’orchestre favori d’Hitler. Malgré tous les témoignages qui se succèdent et qui innocentent le grand artiste, le commandant Arnold est décidé à mettre à jour sa culpabilité, guidé par une voix bien plus forte que les ordres qu’il reçoit.
Ronald Harwood, respectant scrupuleusement la vérité historique nous conduit à travers les contradictions de deux hommes qui au lendemain de la seconde guerre mondiale confrontent leurs convictions sur le sens de l’humanité, la liberté, la justice.
La pièce commence sur l'air de la V° de Beethoven, dirigée bien entendu par Furtwängler. La musique est partiellement couverte par des tirs aériens et des explosions. Le commandant Arnold (Francis Lombrail) s'est endormi sur son bureau, prétendant avec mauvaise foi que le vacarme de cette symphonie est le meilleur des somnifères.
Vous allez dire que je suis de parti pris et je le reconnais d'emblée : cette homme ne me fut pas sympathique. Mais je pense que la volonté de l'auteur y est pour beaucoup. Le "bon" sauveur américain face au "diable" germanique n'aurait pas secoué les consciences.
On est après le gros gibier et c'est moi qui tiens la baguette (...) On va se le piquer sur un bouchon comme un papillon. La supériorité du militaire est écrasante de vulgarité. Son mode opératoire est rodé. Il commence cordialement, oriente la conversation sur l'adhésion au Parti Nazi et recueille les confidences jusqu'à "la question à laquelle le coupable ne peut pas répondre". Il emploie le mot de coupable, jamais celui de suspect, son opinion étant irrévocable.
C'est ce qui interpelle le spectateur et lui permet d'écouter ses victimes au moins avec empathie. Car quelques autres défilent avant le chef d'orchestre, comme Tamara Sachs (Odile Roire). Par chance aussi David Wills, son assistant (Guillaume Bienvenu ), et Emmy Straube, sa secrétaire (Jeanne Cremer), ne sont pas aussi tranchés et leurs positions apportent de la mesure, même si leurs dialogues sont peu marqués.
La joute entre Arnod et Furtwängler (Jean Pol Dubois, admirable de retenue) est déséquilibrée. Le premier joue la supériorité. A l'inverse de "ses collègues de Wiesbaden" il refuse ostensiblement toute marque de respect envers le second, dont il méprise le talent et l'âge, et dont il n'accepte pas qu'il ait été par deux fois blanchi.
Il cherche à le coincer de toutes les manières possibles. Par exemple : vous avez déploré le déclin du niveau musical du fait de la politique raciale, mais vous n'avez pas dénoncé la politique raciale, ni la Gestapo. Vous êtes resté en Allemagne alors que vous auriez pu partir en Suisse.
Il sera insensible aux arguments comme quoi n'étant pas juif, le chef d'orchestre n'avait pas d'urgence à fuir, qu'il aimait son pays, et qu'il fut au contraire bien plus utile aux juifs en y restant puisqu'il a aidé tous ceux qui l'ont sollicité.
Les joutes s'enchaînent entre cour, le domaine de l'américain, et jardin où se tient le "suspect" très droit et très digne.
Furtwängler parviendra-t-il à lui faire admettre que lui comme Strauss (ce qui nous ramène à Collaboration) étaient des pions dans la lutte permanente pour le contrôle de la culture que se livraient Goehring et Goebbels, et qu'il était bien obligé d'employer leur discours ? Pourra-t-il l'ébranler en lui demandant pourquoi Chostakovitch, Prokofiev ou Eisenstein ne sont pas inquiétés ? A lui faire entendre que l'art a plus de sens que la politique ?
Serons-nous à l'inverse sensibles à la rhétorique d'Arnold ironisant qu'il y avait un million d'allemands criant Heil Hiltler et qu'aujourd'hui chacun d'entre eux produit le nom d'un juif caché dans sa cave ou son grenier ? Trouverons-nous loyal qu'il appuie sur la corde sensible de la jalousie par rapport au grand rival autrichien, Herbert von Karajan ? Ou encore qu'il invoque sa vie privée et ses enfants adultérins ?
Remarquerons-nous le manège de Helmuth Rode (Thomas Cousseau), devenu second violon grâce au départ de musiciens plus talentueux, mais juifs ?
A la fin quand Fürtwangler reconnaitra ne pas être meilleur qu'un autre, Arnold révèlera ses motivations profondes, avec les visions d'horreur des camps. Il s'énervera d'une conversation qui tourne autour de la culture, de l'art et de la musique qu'il met dans la balance avec l'odeur des chairs brûlées qui se répandait sur 8 km en lui reprochant d'avoir été "la clé de voute de leur merdier".
Le chef d'orchestre se défend alors plus maladroitement avec un "personne ne savait" qui provoque des hurlements dans la salle. Le dialogue de sourds est à son comble et nous restons, public "averti", face au choix ultime. De qui se sent-on alors le plus proche ? Bien que les années aient passé et que le sujet ait été exploré maintes et maintes fois la question de conscience demeure. D'autant qu'elle ravive d'autres sujets, toujours actuels.
On sait que l'homme est un loup pour l'homme mais on aimerait croire le contraire. Et pour nous inciter à oser prendre position un jeu concours permet à tous ceux qui donnent leur point de vue sur une carte-réponse de participer à un tirage au sort permettant de gagner un voyage à Jérusalem.
Du mardi au samedi à 19 heures, le dimanche à 17 heures.
avec Jean Pol Dubois, Francis Lombrail, Thomas Cousseau, Odile Roire, Jeanne Cremer et Guillaume Bienvenu.
Mise en scène - Odile Roire / Lumieres - Laurent Castaingt
Son - Alexandre Lessertisseur / Costumes - Sylvie Pensa
Traduction Française - Dominique Hollier.
A noter que la non moins excellente pièce, le Journal d'Anne Frank , est à l'affiche actuellement dans ce même théâtre.
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