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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 18 mars 2013

Sur la scène salée d'Omnivore


Il faudra sans doute que je consacre trois billets à Omnivore et pourtant je n'ai passé qu'une journée à la Mutualité mais les rencontres sont si riches que je ne vois pas quoi censurer. Peut-être cet article vous mettra-t-il en appétit pour y venir l'an prochain.

Omnivore est le rendez-vous des becs sucrés ou salés, des artisans d'exception, des producteurs et de quelques viticulteurs. L'an dernier déjà de belles discussions avaient ponctué la journée. Il y en eu de nouvelles en 2013.

C'est toujours Sébastien Demorand qui anime la Scène Salée au sous-sol de la Mutu, construite en 1930, à côté de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, au 24 rue Saint-Victor dans le 5e arrondissement, dans un très pur style arts-déco.

Il annonce trois jours de curiosité et de partage axés sur les territoires. L'auditorium est immense et pourtant c'est très agréable d'y être dans la position intime d'une conversation entre amis, marquée par la convivialité et un certain humour témoignant que le meilleur régime alimentaire est ... bien entendu... omnivore.

Pierre Sang réveille l'assistance en douceur et en saveurs

Une trentaine de chefs et d'artisans se succèderont au cours de la manifestation venant de Paris et "beaucoup plus loin" comme la Tasmanie ou le Perche ... Le premier est Pierre Sang Boyer dont le restaurant Pierre Sang in Oberkampf est une des bonnes adresses de la capitale. C'est un endroit dont on rêve tous parce qu'on y cuisine devant les gens. Pierre a la volonté de démocratiser une forme de "grande" cuisine, en la rendant accessible en terme de prix et en apportant de la joie autour de la table. Il joue la créativité, combine des associations de textures, propose de super petits vins (nous en gouterons un exceptionnel en fin de démonstration).

Sa carte oscille entre 25 et 35 € selon l'ampleur des choix. La formule fait se succéder 6 petits plats qui sont calés 10 minutes à peine avant le début du service pour respecter l'envie de l'instant et l'expression de l'instinct culinaire du chef.

Le finaliste de Top Chef 2011 commence à mandoliner tout en racontant sa manière de cuire l'oeuf rond de Seine, à 65° pendant une demi-heure, alors que des champignons de Paris rôtissent dans une vieille cocotte comme le faisait sa grand-mère, avec des échalotes, et de l'ail compotée. On sentirait presque l'odeur de noisettes rien qu'en l'écoutant évoquer ses plus anciens souvenirs de cuisine, engrangés depuis l'âge de 7 ans par cet auvergnat d'adoption.

La décoration de la table n'est pas fortuite. Il a placé intentionnellement dans de grands verres les légumes et les fruits qu'il va travailler sous nos yeux ... une belle idée toute simple de décoration pour résumer une recette que l'on retrouvera dans son restaurant.

C'est tout en discutant qu'il prépare un thon au sel façon gravlax, en saupoudrant le poisson de sel gris allongé de 10% de sucre pendant 24 heures. L'idée est de déshydrater la chair. On dessalera une douzaine d'heures et on réhydratera avec de l'huile d'olive avant de cuire à 38°. Vous aurez compris que le chef est quelqu'un qui ne fait pas de l'approximation.

Il n'a pas de vrai souvenir de son pays d'origine, la Corée. Mais il s'est marié avec une coréenne qui l'initie (avec sa belle-mère) à des goûts qu'il commence à apprivoiser et à travailler dans son restaurant.
Il fait lui-même les kimchis emblématiques de la cuisine coréenne. Ce sont des légumes fermentés puis pimentés et les plus courants sont les choux et les radis.

A le voir faire cela semble si facile que je pense que je vais bientôt me lancer dans cette opération qui n'est pas si éloignée que ça de nos coutumes françaises, quand on tuait le cochon en Auvergne et qu'on frottait ensuite le jambon avec un mélange d'épices et de poivres.
Il mélange la sauce de son choix avec des crevettes, de l'échalote et surtout de l'ail dont les coréens raffolent. Il ouvre un chou chinois pour appliquer cette préparation avec un pinceau (n'oublions pas que Pierre est un virtuose du pinceau !) sur chaque feuille. Après avoir resserré le légume il sera abandonné 3 jours au frais, le temps de macérer.

On nous dit 3 jours, mais les kimchis sont comme les vins en France ... pouvant dater de plusieurs mois, voire un an. Il faudra gouter régulièrement et  cuisiner au moment adéquat. On peut en inclure dans une sauce béarnaise pour la relever. sa,s oublier l'estragon et le cerfeuil, prouvant ainsi que la cuisine traditionnelle française peut s'accorder avec la cuisine coréenne.

Pierre Sang allie les techniques. Il adore tremper des cubes de fromage de tête dans une tempura pour les faire griller et les servir avec des kimchis. Malheureusement sa femme sera la seule à ne jamais gouter une telle association.

Il a pleinement conscience de la responsabilité des chefs à sensibiliser les gens au gaspillage. C'est en quelque sorte à eux de donner l'exemple. Dans cet esprit il prépare sa pâte de tempura avec du petit lait. Il ajoute sucre, sel, farine, maïzena, du sucre glace (pour donner une jolie couleur à la cuisson) et une bouteille d'eau pétillante. Je remarque que c'est de la Badoit, partenaire d'Omnivore et qui propose des nouveautés pétillantes sur lesquelles je reviendrai dans un autre billet.

Pierre n'est pas avare de démonstration et se lance en direct dans le fumage du thon, sans s'affoler le moins du monde de la mise en garde de Sébastien qui espère être entendu en le prévenant que son service doit commencer dans 15 minutes. Omnivore sera fidèle à sa réputation d'oublier le chronomètre, ce qui ne risque pas de décevoir le public quand on a la chance d'être aux premières loges d'une belle démonstration (d'autant que par chance, même si on l'ignore alors, le premier intervenant de la scène sucrée commencera avec 45 minutes de retard).
Il enflamme un bouquet de lavande qu'il dépose dans un plat rectangulaire en inox sur un lit de foin. Il arrose d'huile, surmonte d'une grille pour y poser le thon, et place le couvercle. Quelques minutes plus tard on commence à sentir des notes presque vanillées. L'assistance est conquise.

Voilà encore une "petite" chose qui fera grand effet chez soi. J'avais déjà fumé des pommes de terre en robe des champs avec du thym (en utilisant ma cocotte minute comme récipient hermétique mais je n'aurais pas osé le faire avec un poisson). Le chef suggère d'employer des sarments de vigne pour des magrets de canard.
L'adepte du pinceau a presque achevé sa présentation. Les traits de sauce font des demi boucles sur une grande ardoise. On y pose les cubes de fromage de tête, quelques lamelles de légumes, de kimchi ... du sésame noir, de la fleur de sel, du vinaigre de riz ... une ou deux feuilles de verdure.

C'est une première sur la scène salée: le public aura droit à une dégustation du plat qui témoigne de la gentillesse de Pierre Sang. Son chef japonais a confectionné 200 verrines et son sommelier Maxime avait préparé des verres pour chacun de nous ... de vrais verres et c'était très sympathique. Un grenache blanc Ose Dom Matin calme (Pyrénées Orientales) absolument étonnant. Ce petit vin provoquait une très belle évocation d'un sous-bois embaumant les champignons.
Je peux vous dire que je n'ai qu'une envie après cette mise en bouche ... courir au 55 rue Oberkampf dans le 11ème arrondissement. Je ne vous donne pas le tel : on ne prend pas les réservations. Je vous préviens juste que c'est ouvert du mardi au vendredi, de 12 à 14 h 30 puis de 19 à 22 h 30, le samedi uniquement pour le diner.

Les conseils de Gérard Vives

Pendant ce temps les brigades s'activaient dans les étages tandis que Gérard Vives avait commencé son intervention sur la Scène artisan du 5ème étage.

Gérard est un spécialiste des épices. Il a créé le Comptoir des Poivres, épice roi selon ce fin gourmet qui est aussi cuisinier. Michel Rostang comme Alain Senderens figurent parmi ses clients fidèles.

Ses conseils rejoignent ceux de Bruno dont l'Epicerie est toujours une référence de qualité et nous espérons tous que les ennuis de santé de Bruno ne vont pas le tenir longtemps éloigné des cuisines parisiennes. Les habitués de sa boutique de la rue Tiquetonne doivent être patients.
Il est tout de même utile de rappeler que, sauf si on pratique des cuissons à basse température il faut attendre le dernier moment pour poivrer. Qu'il est préférable de choisir une mouture plutôt grosse qu'ultra fine parce qu'il ne perdra alors pas sa puissance aromatique. 

Il avait amené un poivre long qui a séduit nos nez par sa fraicheur, son coté végétal, citronné, à peine mentholé, boisé et même cacaoté. Il apprécie les poivres chargés en essence et va les débusquer aux quatre coins de notre planète.

Gérard Vives recommande un poivre pour une recette, à l'instar d'Apicius. Ainsi le poivre long sera un allié précieux en pâtisserie. C'est le poivre blanc qu'il convient d'employer pour le "fameux" steack au poivre. Et je vous ai déjà vanté la note pamplemousse du Timut qui s'accorde avec le poisson.

Le public a été invité à gouter une sélection sur des pommes de terre juste tièdes pour se faire une idée des différences de parfums.

On comprend que le poivre ait détrôné le gingembre au Moyen-Age. S'il y avait alors 17 variétés différentes de gingembre à la cour des Papes, il y a bien davantage de choix avec les poivres, surtout si on associe les baies roses ou les différents Setchuan.

Il nous a encouragé à mener nos propres expériences, par exemple en torréfiant des baies de Setchuan avant de les écraser et de comparer les notes aromatiques en faisant l'opération inverse.

Lui qui a passé beaucoup de temps en Inde sait que le premier geste de la maitresse de maison est de réaliser son massala. Elle choisit ses épices, les poêle légèrement puis de les réduit en poudre sur une pierre.

Gérard Vives associe le principe de l'enfleurage pratiqué en parfumerie pour fixer des arômes dans des corps gras (un beurre clarifié) maisil peut aussi choisir le sucre (il fait du confisage à froid sucre-épices par congélation) ou ... plus surprenant ... avec des pommes ou des poires, véritables capteurs d'arômes.


La viande vue par Mikael Jonsson

Retour sur la Scène salée avec Mikael Jonsson, avocat de formation, ancien bloggeur culinaire (mais recommençant à publier sur son blog), passé comme le dit Sébastien Demorand "de l'autre coté du miroir en 2011" en ouvrant son restaurant londonien, Hedone.

Hédone, comme hédonisme, et puis parce qu'il faut bien un nom, nous explique Mikael malicieusement, et en français s'il vous plait, en ajoutant qu'on peut le prononcer Hédone ou é à notre guise.

Il a révolutionné le paysage gastronomique, jusqu'à convaincre les chroniqueurs les plus aigris, c'est dire. Cet humoriste qui blague à propos de la viande de cheval (nous sommes en plein scandale et il suit l'actualité) insiste sur l'importance de laisser rassir une viande.

62 à 63 jours est un minimum pour de l'entrecôte, 70 pour un filet. On peut aller jusqu'à 95 jours sans tomber dans des gouts funky dit-il. Ce discours ne me surprend pas. Je l'ai plusieurs fois relayé mais j'ai senti un frisson parcourir l'assemblée.

Le chef le démontre à Sébastien en lui préparant un tartare en grattant l'os d'un morceau d'entrecôte de Black Angus avec une cuillère. Et quand le journaliste s'inquiète de la proportion de gras il réplique que c'est selon lui "du bon gras". Il ajoute un peu de moelle à température ambiante (ce qu'il n'aurait pas le droit d'employer dans son restaurant pour respecter de draconiennes normes), de la moutarde d'Orléans (sa préférée) et ose quelques feuilles de roquette pour leur note poivrée. C'est fini.
Sébastien goute ... et approuve.

Mikael cuisine sans artifices mais semble parti pour une longue démonstration. On a trois heures ? Non, 20 minutes ! Il met en garde Sébastien : ne regarde pas ma montre, elle n'est pas à l'heure !

Il fait ce qu'il aime manger, en ayant appris à composer en fonction de ses allergies alimentaires.Sa grand-mère lui a appris à faire du pain au levain, selon un tour de main que lui a enseigné un français dans les années 40.
Il cuit en direct le filet de boeuf "crispy", croustillant à l'extérieur, bleu à l'intérieur, qu'il accompagnera d'une chantilly de foie gras ... Cela sent bon et ce n'est pourtant pas "un truc à mettre sur la carte" mais on est entre nous et peu importe. D'ailleurs il en profite pour glisser une association fantastique à son palais : foie gras et poivron confit.

Il aime vivre à Londres tout en reconnaissant que les légumes frais et les volailles lui manquent terriblement, même s'il compense par de la bécasse.

A défaut d'aller à Londres, allez faire un tour sur Gastroville où il raconte ses doutes et ses erreurs en totale transparence.

Pierre Hermé lui succéda une heure plus tard mais je réserve son entretien pour le compte-rendu "sucré" afin de ne pas déséquilibrer les articles.

On découvre le coucou de renne à la chinoise
Je terminerai avec l'immense Adeline Grattard. La réputation de son restaurant est inversement proportionnelle à sa taille. Le nom, Yam'Tcha, est inspiré d'une coutume cantonnaise consistant à boire du thé en dégustant des bouchées vapeur.

De fait, elle propose un menu avec des accords tous thés, ou thés et vins, ou tous vins si vraiment vous ne pouvez pas faire autrement. C'est Chi Wah, son mari qui est le sommelier du thé.

Elle est passée par l'Astrance, Hong Kong où elle a appris à maitrise la vapeur comme le feu. Son travail est récompensé d'un macaron au Michelin. Elle combine la gastronomie traditionnelle avec des modes de cuisson asiatiques et je peux vous dire que cuisiner sur de l'induction aura été un supplice pour elle ce soir.

Son premier voyage en Asie a été un très grand choc. Rien de ce qu'elle imaginait ne correspondait à la réalité qu'elle y a trouvé. A commencer par une fabuleuse lumière qui la marque encore. On peut y déguster une "petite soupette"  préparée très modestement avec candeur, fraicheur et spontanéité.
Je ne connaissais pas la volaille qu'elle avait amenée à Omnivore, un coucou de Renne qu'elle a bien entendu fait cuire à la chinoise. Sébastien s'est effrayé de la bête, songeant à l'heure de cuisson nécessaire pour un poulet fermier. C'est qu'Adeline a "la" technique pour faire l'opération en 10 minutes.

Elle accroche la longue et fine bestiole de manière à ce que, en cuisant verticalement, à 180°, la graisse se loge dans la cuisse, l'endroit le plus épais,  et y bouillonne pour accélérer la cuisson. Cette façon de faire, inspirée du canard laqué, dispense de retourner la viande sur le flanc, comme ci et comme ça. Il n'y a même pas à surveiller.

Par contre, pour ce qui fut de surveiller, les sauces qu'elle a préparées lui en ont fait voir de toutes les couleurs. Pas évident de faire réduire un vinaigre de riz noir avec une barre de sucre de canne et une lamelle de gingembre sur de l'induction quand on a l'habitude du gaz.
La seconde était à base de Shao shin, un vin chinois proche du Savagnin ou ou d'un vin jaune du Jura, dans lequel elle a mis une peau de mandarine de 10 ans d'âge (il peut y en avoir de 20 ans) qui a vite embaumé.
Adeline ne retire pas la peau de la volaille, bien au contraire. Elle sale la viande par en dessous et la dépose sur un coussin de purée, les sauces autour. Elle combien toujours un peu de cuisse avec un morceau de suprême. On avait tous envie de piquer la fourchette dans l'assiette. Il faudra aller pour cela au Yam'Tcha avec la promesse de faire un voyage immobile dans cette grande petite maison.
Pour en savoir plus :
Le site de Pierre Sang
Le comptoir des poivres
Hedone, le restaurant de Mikael Jonsson (en anglais, mais magnifique)
Le blog de Mikael : Gastroville
Yam'Tcha, le restaurant d'Adeline Grattard
Compte-rendu d'Omnivore 2012 sur A bride abattue
L'Epicerie de Bruno
Et bien sur toutes les infos : www.omnivore.fr

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