Je connais bien l’endroit. Je l’apprécie et je suis toujours heureuse d’y revenir. Mais, car il y a un « mais », je ne sais pas si vous êtes comme moi, j’aime tout autant retrouver mes points de repère qu’être surprise, ce qui est théoriquement un défi impossible à remporter. Pourtant si !
Le décor de la Cantine du Troquet n’a pas changé. Le rouge sang de bœuf si prisé dans le sud-ouest est toujours présent sur la devanture qui fait l’angle entre la rue de l’Ouest et la rue Francis de Pressensé, qui fut célèbre pour son cinéma d’avant-garde, l’Entrepôt, lequel est toujours bien présent, et actif dans ce quatorzième arrondissement qui garde ses allures campagnardes que j’aime tant.
Allez respirer les fleurs de la rue des Thermopyles et vous m’accorderez que son charme est des plus bucoliques !
Une bouteille de Cerdon attend les amateurs au frais dans une vasque argentée remplie de glaçons, posée sur le comptoir. J’ai convaincu toute la tablée de le découvrir à l’apéritif, en toute modération comme il se doit avec les vins.
Ce vin du Bugey de Bernardat Fâche a été plébiscité. C’est un vin pétillant rosé faiblement alcoolisé (8 °C / vol), obtenu à base de gamay et poulsard selon la méthode ancestrale, Et surtout sans levures ni sucres ajoutés. Il représente une bonne alternative au très classique (et trop sucré) kir … quand on a la chance de le trouver à la carte.
Les assiettes sont modernement siglées, ainsi que le pot à couverts, et la corbeille à pain, le tout dans l’ambiance bistrot que l’on apprécie. Bientôt une terrasse jouera les prolongations le long du trottoir de la rue de l’Ouest.
Les fidèles retrouveront avec satisfaction l'Oeuf mayonnaise et les Couteaux à la plancha sauce vierge qui ne disparaîtront jamais de la carte, de même que la Xitora (ou txistorra), cette spécialité basque, née chez sa voisine espagnole aragonaise, faite à base d’un mélange de viandes hachées de porc, de bœuf et de poitrine de porc, assaisonné avec ail, sel et piment d’Espelette. Elle est rouge mais bien plus douce que son frère le chorizo.
Loïc Falgas est désormais aux fourneaux, façon de parler car pendant le service il est surtout debout, au passe-plat pour surveiller toutes les assiettes … et ne louper aucune des appréciations des convives.
Nouveau chef oblige, un vent de créativité a soufflé sur les assiettes qui sont plus bistronomiques que jamais. Nous avons goûté cinq de ses créations en guise d’entrée, toutes excellentes même si une préférence s’est distinguée s’il n’avait fallu n’en retenir qu’une (le tartare de veau, quoique la tendreté du cannelloni de bœuf soit exemplaire).
Nous les accompagnerons d’un verre de Mâcon blanc, 2020.
Le Gaspacho de tomates et fraises, réduction de vinaigre balsamique, pignons de pin, pistou de roquette, ciboulette est servi au client après qu’il ait remarqué l’assaisonnement qui a été placé dans le fond du verre. L’ensemble sera très rafraîchissant tout au long de l’été. Une valeur sûre.
La Burrata di Bufala, purée d’épinards aux pistaches, copeaux d’asperges, radis noir, noisettes, chips d’artichaut, est conçue un peu dans le même esprit.
Honneur à un légume de saison avec les Asperges des Landes rôties, crème de navets, œuf parfait, coulis d’ail des ours, graines de tournesol, pousses de moutarde rouge.Je retiens l’idée de les trancher en deux après une cuisson vapeur puis de les snacker pour les servir tièdes. Cela change de la sauce vinaigrette aux herbes, même si j’adore cette association.
Je découvre avec intérêt le Tartare de veau et gambas aux harengs fumés, eau végétale fumée de tomates au combawa. Depuis le temps que les candidats de Top Chef nous font envie avec ce type de combinaison terre-mer je me demandais si elle était réellement pertinente. Loïc Falgas le réussit à la perfection. Il coupe au couteau tous les ingrédients qui se répondent parfaitement. L’eau végétale est un délice. Les pousses de feuilles d’huître apporte la note finale. Bravo !
Son Cannelloni de bœuf en tataki et légumes croquants à l’huile de noix, jus de viande au sarawak a moins convaincu mes amis. Pourtant il est juste sublime et me restera longtemps en mémoire. Je me demande si les campagnes anti-viande ne finissent pas par influencer nos palais. Mais comment résister à ce bœuf qu’on pourrait couper à la cuillère, et qui est pourtant cru ?
Le choix du plat est compliqué après un aussi beau début. Ceux qui ne le connaissait pas encore, ou qui sont fidèles parmi les fidèles au Pays basque ont opté sans hésiter pour la Xitora Ibaïma, purée de pommes de terre, jus fumé.
Ils ont fini par faire des envieux qui ont réclamé une mini portion. Je ne sais pas si elle est envisageable pour tout le monde mais la bonne volonté du chef à partager sa cuisine est à louanger.
Les autres se sont partagés équitablement entre le très goûteux Pressé de volaille et son jus, crémeux champignons à l'ail noir, légumes de saison …
… et l’exceptionnel Pavé de thon Albacore façon grenobloise, crème de fenouil au lait de coco, légumes de saison, exceptionnel entre autres par la justesse de sa cuisson.
Côté vin, nous étions unanimes à désirer un verre de Morgon.
Il faut dire que la publicité que la maison en fait nous avait fait de l’œil depuis un moment. Et que nous savons combien le Lapierre est irréprochable. Christian Etchebest est arrivé alors que nous finissions nos plats et il a pu constater que nous plébiscitions son recrutement. Il a eu raison de parier sur Loîc (comme il l’a fait auparavant avec plusieurs autres, dont le désormais célèbre Adrien Gachot qui a bien slalommé depuis. Je vous renvoie à son livre Hors piste puisque pour le moment il n’officie pas régulièrement dans un restaurant).
Christian est aussi attentif aux produits qu’aux hommes. Et ce n’est pas son parcours atypique qui allait l’arrêter. Le plus important à ses yeux est d’être passionné, travailleur et surtout curieux, trois qualités que Loîc manifeste dans façon d’aborder la cuisine. Quand nous l’avons quitté il était en train de goûter de nouvelles combinaisons de jeunes pousses.
Le temps est venu de passer au dessert. Là encore le pluriel sera de mise car la carte est trop tentante. Nous en avons retenu quatre. Evidemment la Tarte aux Fraises sur crème d'amandes, mascarpone vanillée parce que c’est un fruit de saison et parce qu’elle est entièrement maison, plutôt originale avec sa base d’amande que l’on associe d’habitude davantage aux abricots.
Il n’empêche que le Crémeux Citron, Meringue, Kiwi frais poivré est très intéressant pour son côté rafraîchissant, d’autant qu’il n’est pas collé à la gélatine ou à l’agar-agar, mais de manière naturelle grâce à la maitrise de la température de cuisson. On y voit la compétence acquise par Loîc en matière de dressage, issue sans aucun doute de ses études en mode et design. Et la grenade explose gentiment en bouche.
Ceux qui sont nostalgiques de chocolat apprécieront la finesse des chocolats blanc et au lait, associé étonnamment mais brillamment avec la betterave pour cette Mousse au chocolat, purée de betterave, noisettes.
Personnellement j’avais été tentée par la Quenelle de Mascarpone au Combawa, Cerises noires, Compote de rhubarbe, crumble chocolat qui a comblé mes papilles.
La Cantine du troquet demeure une des valeurs sûres du quartier. La manière de Christian Etchebest de tenir la barre quel que soit le vent est tout à fait remarquable. Il n’avait pas hésité longtemps à faire de la vente à emporter pendant la pandémie et il sait se remettre en question sans jamais perdre ses valeurs.
Chacune des Cantines (quatre à Paris, une à Rungis, une à Pau) a sa touche particulière, liée à la personnalité de son chef, mais elles ont toutes les mêmes constantes. Bientôt le concept sera à la portée de nos cousins d’outre atlantique, précisément à Cape Cod, dans le Massachusetts sous la houlette de Philippe Rispoli, que Christian avait connu quand ils travaillaient tous les deux au Martinez, sur la Côte d’Azur.
La grande différence, c’est que, à moins d’un miracle, toujours envisageable, la clientèle américaine n’aura que trois mois, de juin à septembre, pour découvrir la bistronomie française et la plébisciter s’ils ne veulent pas que ce soit un éphémère souvenir. Qui sait ?
La Cantine du Troquet, 101 euros de l’Ouest - 75014 Paris
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