Quel intitulé loufoque ! On ne sait pas trop à quoi s’attendre avec cette affirmation Les gros patinent bien, si ce n’est à des péripéties utilisant du carton puisque le sous-titre précise l’intention : Cabaret de carton.
Pour ceux qui ne connaissent pas ce genre, c’est du théâtre d’objets, et je suis fan de cet art de la manipulation. Pour l'anecdote ce ne sont pas moins de 400 cartons qui sont déplacés sur le plateau
Je l’ai vu ce soir au Théâtre Firmin Gémier Patrick Devedjian, la salle antonienne de l’Azimut (92) et ce furent presque deux heures de délire total et jouissif.
La scène est déjà encombrée de cartons de toutes tailles quand le public s'installe dans les gradins. On remarque assez vite un panonceau indiquant que le spectacle va commencer dans 15 minutes, puis 10, 5, 2, 1 minute car Pierre Guillois (à droite sur la photo) intervient régulièrement pour mettre à jour l'information, et même annoncer un retard … au grand dam des spectateurs qui manifestent leur mécontentement. Le lien est noué avec la salle.
Mais où est son compère Olivier Martin-Salvan ? L'ensemble des gags est quasi inénarrable; il faut les voir pour en faire la synthèse. Disons malgré tout qu'Olivier fera du sur place toute la soirée, même lorsqu'il patinera. Que Pierre courra de droite à gauche, et inversement, sans discontinuer.
Que le premier s'exprimera dans un anglais approximatif mais réjouissant et que le second poussera quelques cris. Il le faut pour faire vivre une mouche, une grue cendrée, une morue, une sirène, un orque, une oie, un cormoran, une mouette qui rit, une mouette qui fait caca, une otarie, des pingouins, des moutons Shetland, un chien, un macareux, un phoque, une marmotte, un taureau, un ours, un baudet, un oursin, un crabe, une murène … j'espère n'avoir oublier aucun animal.
Vous en avez le tournis ? Rien d'étonnant à ce qu'Olivier interroge alors régulièrement Where am I ? Et que son compère lui réponde par écrit. Le voyage sera long, mouvementé, ponctué de meurtres et gâché par les intempéries. Quant à l'intrigue, elle est finement ficelée et le sous-texte permet à tous de suivre … pourvu qu'on sache lire le français (les mots seront traduits dans la langue des pays où le spectacle se produira en tournée).
On est clairement dans le slapstick anglo-saxon à la Mister Bean, mais le burlesque n'empêche pas le discours politique notamment sur l'environnement et la suprématie américaine en terme de soda. Il ne délivre pas à proprement parler un message écologique mais cet aspect transparait en nous montrant le monde tel qu'il est devenu.
Nous avons eu bien de la chance de voir ce soir les deux créateurs du spectacle qui se joue en ce moment (et jusqu'au 13 juillet) à Paris avec une autre distribution au Théâtre Tristan Bernard, mais sans nul doute avec une énergie toute semblable car le principe est devenu une sorte d'estampille.
Olivier et Pierre avaient déjà séduit avec leur précédent spectacle, Bigre, couronné du Molière de la Comédie en 2017. Cette fois ils sont distingués par 5 nominations et nous saurons le 30 mai prochain combien de statuettes ils remporteront. Plusieurs sans doute tant leur déballage est emballant.
Au cours de la rencontre qui a suivi cette dernière représentation de l'Azimut, avant le festival Solstice, ils nous ont appris que Les gros patinent bien avait été conçu initialement pour être joué en extérieur, en théâtre de rue. Ça a commencé par l'envie de jouer un voyage avec des cartons récupérés à droite à gauche, ce qui en fait un spectacle on ne peut plus "développement durable" d'autant que cette matière est très résistante puisqu'il ne faut pas souvent la remplacer. Une première version a été présentée au Rond-Point et jouée deux fois. Puis il a réellement et longtemps été interprété en extérieur, en s'adressant à un public familial, donc composé d'enfants, d'où une attention aux mots employés. Aujourd'hui on peut considérer qu'il est accessible à eux dès lors qu'ils savent lire.
Le scénario a connu de multiples évolutions, et il continuera, sans pour autant laisser place à l'improvisation devant le public. Olivier et Pierre travaillent particulièrement en utilisant la vidéo pour se rendre compte objectivement des effets produits et tiennent compte du verdict du public. Ils éliminent tout ce qui ne fonctionne pas et qui ne fait pas rire.
Le titre a été donné à la création parce qu'il fallait en fournir un. Il était idéal pour le Rond-Point qui avait été une patinoire avant de devenir un théâtre.
Les gros patinent bien, Cabaret de cartonUn spectacle de Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois
Avec Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois (ou Didier Boulle et Philippe Le Gall)
Ingénierie carton Charlotte Rodière
Régie générale Colin Plancher
Régie plateau Emilie Poitaux
Administration Sophie Perret
Production Fanny Landemaine, Margaux du Pontavice
Spectacle crée le 9 septembre 2020 dans le cadre du Festival le Rond-Point dans le jardin.
Vu au Théâtre Firmin Gémier Patrick Devedjian le jeudi 19 mai 2022
Le spectacle, nominé 4 fois, a reçu le Molière du Théâtre Public en juin 2022
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