Evidemment, avec un titre pareil, Saint Jacques m’a fait penser à Compostelle et vous avez sans doute été comme moi. J’avais déjà lu plusieurs récits de cette marche et je n’avais guère envie d’en découvrir un de plus, même écrit par la plume de Bénédicte Belpois qui m’avait tant touchée avec son premier roman, Suiza, paru en 2019 aux Éditions Gallimard.
Mais je n’allais pas faire ce caprice. J’ai compris assez vite que Jacques serait un être de chair et d’os. Que l’Espagne allait de nouveau jouer un rôle et que le voyage se déroulerait dans les Cévennes. L’auteure a toujours cet art de décrire les paysages en vous donnant immédiatement envie d’acheter séance tenante un billet de train pour aller respirer les odeurs qu’elle nous met en mots sous les yeux.
Mais auparavant, vous découvrirez comment la vie de Paloma avait été "un Everest de difficultés" (p. 49) malgré la présence joyeuse de sa fille Olympe, dite Pimpon, et comment l'hôpital était devenu son travail et sa famille.
A la mort de sa mère, que cette femme appelle Camille comme s'il s'agissait d'une personne extérieure à son foyer, elle hérite d'une maison abandonnée, chargée de secrets au pied des montagnes cévenoles. Tout d'abord décidée à s'en débarrasser, elle choisit sur un coup de tête de s'installer dans la vieille demeure et de la restaurer. Les rencontres avec des personnalités attachantes derrière leur austérité vont réveiller chez cette femme qui n'attendait pourtant plus rien de l'existence bien des fragilités et des espoirs.
Les débuts sont difficiles. Les Cévenols détestent les parisiens qu'il surnomment les "Tout vu, tout fait" (p. 54). Et puis tout change. On ne perçoit pas consciemment comment certaines personnes vous manquent avant de les connaitre, on devine juste, une fois qu'on les a rencontrées, qu'on ne pourra plus jamais vivre sans elles (p. 58).
Si Paloma n'espérait rien de spécial en arrivant c'est qu'elle n'était alors qu'une gosse de la ville nourrie de poulet aux hormones (p. 28) et marquée au fer blanc par le manque d'amour de sa mère. C'est une certitude. Elle le lui a écrit dans un cahier : je ne t'ai jamais aimée (p. 63).
Je ne pouvais que me sentir solidaire de cette faille puisque j'ai connu semblable déclaration, quoique je me demande si je n'ai pas entendu pire. Quoiqu'il en soit, ce qui est passionnant dans la manière dont Bénédicte Belpois traite le sujet c'est que malgré tout il existe un chemin entre la mère et l'enfant et que si l'un ne l'emprunte pas ce sera à l'autre de le faire, avec sa mère ou toute autre personne de substitution.
Ce roman nous entraine dans une région restée sauvage, abandonnée des administrations, mais où la valeur humaine demeure la règle d'or. Pour y avoir passé quelques semaines je sais combien cette analyse est juste. Des souvenirs de soupe d'ortie au coin du feu, de petits fromages de chèvre et de balades à travers les montagnes me sont revenus comme par enchantement. Seule m'a intriguée l'étonnante allusion à Pauline Lafont (p. 109), pour situer le personnage d'Eliane parce que je sais que la fille de l'actrice est décédée suite à une terrible chute au cours d'une randonnée en août 1985.
Bénédicte Belpois a l'art de démêler ce qui relève des astres et de la malédiction (p. 108) de ce qu'on croit parvenir à maitriser de son destin. Et comme elle a bien fait de nous rappeler la parole de Lacan en dédicace !
Ce qui est particulièrement réussi dans ce roman c’est qu’on y croit comme s’il s’agissait d’une confession dont chaque mot est vrai. Impossible d’imaginer qu’il s’agit d’une fiction. J’ai vu chacun comme s’il était mon propre voisin(e) et la fin, inattendue, a achevé de me bouleverser.
Bénédicte Belpois a passé son enfance en Algérie. Elle vit aujourd'hui en Franche-Comté où elle exerce le métier de sage-femme. Je lui trouve à bien des égards des ressemblances avec Agnès Ledig.
Saint Jacques de Bénédicte Belpois, Gallimard, en librairie depuis le 8 avril 2021
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