J’ai d’abord suivi les efforts de Jaya et Aslam en poursuivant la lecture du premier chapitre qui se déroule en 2040. J’ai donc sauté des pages pour ne pas perdre le fil de leurs tentatives de sauver la planète. A la manière du colibri, chacun avec ses moyens, ce qui nous interroge sur ce qui relève de la fatalité et sur la force d’adaptation de l’être humain.
Le frère, resté sur place, replante inlassablement la mangrove, espérant faire barrage à la progression de l’océan. La soeur, partie rejoindre une cohorte de scientifiques, fixe d’immenses draps blancs sur la banquise, comptant sur la réflexion du rayonnement solaire pour ralentir la fonte des dernières glaces.
J’ai ensuite fait un bond en arrière en revenant en 2009 pour voyager cette fois avec Liouba et Talal. Et ce n’est qu’en refermant Les confluents que l’illustration de couverture est devenue évidente, un peu comme on déchiffre un rébus. J’ai repris alors le résumé figurant au dos du livre :
Liouba est une jeune journaliste qui parcourt le monde à la recherche de reportages sur le changement climatique. En Jordanie, elle croise la route de Talal, un photographe qui suit les populations réfugiées. Entre eux, une amitié se noue qui se transforme vite en attirance. D’année en année, le destin ne cessera de les ramener l’un vers l’autre, puis de les séparer, au gré de rencontres d’hommes et de femmes engagés pour la sauvegarde de la planète, et de passages par des théâtres de guerre où triomphe la barbarie. Liouba et Talal accepteront-ils de poser enfin leurs bagages dans un même lieu ?
Il y a beaucoup d'amour qui se dégage de ce premier roman fort réussi. Fraternel, filial, parental, amoureux … le sentiment se décline à l'infini. Mais il y a aussi énormément de gravité avec en surimpression les catastrophes climatiques imminentes (déjà visibles dans le premier chapitre se déroulant en 2009) et la violence politique russe qui fait tellement écho à l'invasion de l'Ukraine.
Certains passages sont effrayants comme l’allusion à la surexploitation de l’Arctique par les russes avec l’aide de Pékin en gaz naturel, pétrole, charbon et minerais rendue possible par la fonte des glaces et dont le transport par le détroit de Béring accélérera encore le réchauffement climatique (p. 110). Pourtant l’auteure nous a demandé : Reste-t-il de la place pour la poésie ? (p. 45)
Liouba et Talal m’ont semblé être des personnages de science-fiction. Est-ce parce qu’ils portent des prénoms peu ordinaires à nos oreilles, pour une situation qui ne l’est pas moins ? Anne-Lise Avril alterne les passages qui se déroulent à partir de 2009 avec d’autres qui se situent en 2040. Mais autant la science fiction n’est que pure imagination, autant le monde qui nous est décrit ici pourrait devenir notre réalité car le dérèglement climatique n’est plus une hypothèse.
Liouba et Talal ont une forte conscience écologique mais la journaliste préfère rester pragmatique au motif que Les rêves de thébaïdes occultent souvent la réalité (p. 68). De son côté son ami doute sur la capacité à changer le monde. Les survivants le mettent en cause en constatant, sans aucune animosité : A quoi servira ton reportage ? Tout le monde sait déjà ce qui se passe à Alep. Et personne n’agit. Nous sommes seuls au monde (p. 133).
Face à la traversée d’évènements tragiques où ils auraient pu eux aussi perdre la vie, ils vont éprouver la culpabilité des survivants (p. 143). L’espoir n’est cependant pas évanoui : C’est finalement ce qu’on retient, les souvenirs heureux de ceux qu’on a croisés et qui ont disparu. (…) Tu es morte dans cette forêt comme je suis mort en Turquie. La suite de notre vie nous a été donnée de surcroît. Il faut tenter de la vivre.
Les confluents d’Anne-Lise Avril, Julliard, en librairie depuis le 19 août 2021
Livre photographié sur Blick der Stille de Paul Klee (1932)
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