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vendredi 17 février 2017

Le Prix du Brigadier récompense en 2017 Catherine Hiegel, Anne Delbée et Michael Lonsdale

Le Prix du Brigadier est parmi les plus anciens consacrés au Théâtre. Il a été fondé en 1960 à l'initiative de l'Association de la Régie Théâtrale (A.R.T.), pour couronner l'événement théâtral de la saison représentant ainsi " la récompense de professionnels à un professionnel". Et c'est Françoise Sagan qui fut la première lauréate.

La cérémonie eut lieu ce matin sur la scène du Théâtre Montparnasse où deux Brigadiers d'honneur ont également été remis.

C'est Stéphane Hillel Président de l’Association pour le Soutien du Théâtre Privé qui accueillit sur la scène Danielle Mathieu-Bouillon, en soulignant l'intérêt du site de l'ART, un travail remarquable et indispensable, surtout pour le théâtre qui est par nature éphémère, justifiant la parole de  Paul Valéry : la mémoire, c'est l'avenir du passé.

La Présidente de l'ART a d'abord salué le jury merveilleux qui se réunit autour d'une table pour dire du bien, ce qui fait du bien, précisa-t-elle sous les applaudissements de l'assemblée.
Elle égrena quelques noms de ce jury : Christophe Barbier, journaliste, écrivain, chroniqueur politique, Emmanuel Dechartre, comédien, Directeur du Théâtre 14 Jean-Marie Serreau, Myriam Feune de Colombie, comédienne, Directrice du Théâtre Montparnasse,  Jorge Lavelli, metteur en scène, Didier Long, metteur en scène ; Directeur du Théâtre de l'Atelier, Catherine Salviat, comédienne, ex-sociétaire de la Comédie-Française, Didier Sandre, comédien ... sans pouvoir tous les citer.
C'est en spécialiste des lumières qu'elle a voulu un cyclo bleu pour la cérémonie. Bruno Julliard, Premier Adjoint à la Mairie de Paris, est ensuite revenu sur les événement qui ont marqué l'année 2015 en rendant hommage aux théâtres dont la poursuite de l'activité a été un signal déterminant. Il a pointé que le théâtre public comme le théâtre privé est resté debout sans se soumettre à quelque intégrisme qu'il soit.

Savez-vous ce qu'est le brigadier ? On ne l'emploie hélas pratiquement plus au théâtre. C'est un morceau de perche avec lequel le Régisseur (Directeur de la scène) frappait les trois coups pour commander le lever du rideau (vous me direz que le lever de rideau est lui aussi un rituel qui disparait).

Ce bâton enveloppé de velours rouge et serti de clous dorés s'appelle brigadier parce que dans l'armée c'est ce grade qui dirige une équipe. J'ai toujours cru que le nombre de trois était une référence à la Trinité (le Père, le Fils et le Saint-Esprit). On frappait le double à la Comédie Française, donc 6 coups, pour célébrer la réunion des deux troupes fondatrices de cette institution en 1680, à la mort de Molière (dont c'est aujourd'hui l'anniversaire de sa disparition comme nous le rappellera Catherine Hiégel) celle de l'Hôtel de Bourgogne et celle de l'Hôtel Guénégaud.

Il est devenu l'emblème de l'ART et il est naturellement décorée de velours rouge et de clous dorés, avec une plaque de cuivre gravée au nom du récipiendaire.

Catherine Hiegel, actrice et metteuse en scène reçut le Prix du Brigadier 2016 pour Les Femmes savantes de Molière au Théâtre de La Porte Saint-Martin. De toutes les récompenses qu'elle a reçues (et notamment le Molière de la meilleure comédienne en avril 2011) je l'ai plusieurs fois entendue dire avec humilité que c'était toujours celle du public qui lui importait le plus. 

Elle aura passé plus de quarante ans à la Comédie Française où elle a interprété des rôles très différents. Elle fut extraordinaire aussi juste après dans la Mère de Florian Zeller, mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo, au Petit Théâtre de Paris. Elle s'est aussi avancée dans la mise en scène avec la création du Bourgeois gentilhomme, dans ce même Théâtre de la Porte Saint-Martin, avant d'y monter les Femmes savantes.
S'il ne faut retenir qu'un rôle de sa filmographie, ce sera Josette, l'infirmière qui change le cours de l'histoire dans La vie est un long fleuve tranquille. Philippe Minyana disait d'elle que c'est une militante, excessive souvent, monstre de scène, un peu cow-boy, capable d'incarner sur le plateau une reine comme une petite dame fragile et courbée.

Visiblement émue, Catherine Hiegel a évoqué le rapport particulier qu'elle entretenait à la Comédie française avec cet objet. Elle aime tout ce qui touche au sacré comme la servante (cette lampe qui veille lorsque le théâtre est déserté) ou le brigadier, en bonne superstitieuse. Un jour le régisseur, lasse de la voir saisir l'objet pour conjurer son angoisse avant d'entrer en scène lui en a coupé un tout petit morceau. Elle connu quelques années sereines. Hélas, il lui fut volé dans sa loge comme tout ce qu'elle y conservait et elle nous avoua qu'elle n'osa jamais demander un nouveau fragment. Cette fois je l'ai entier .... Et je ne l'ai pas volé ajouta-t-elle avec humour.
Regrettant de ne pas disposer malgré tout de la petite planche rituelle, Catherine Hiegel a cependant étrenné son objet fétiche avec bonheur en tapant deux fois les trois coups.

Danielle Mathieu-Bouillon appela ensuite Anne Delbée dont la dernière pièce, Racine ou la leçon de Phèdre, a secoué tant de monde. On ne peut pas évoquer sa carrière sans la lier d'abord à Claudel qui est à l'origine de sa vocation pour le théâtre, bien avant le lycée où un heureux changement d'établissement lui fera rencontrer Patrice Chéreau.

A 28 ans Jean Mercure, alors directeur du Théâtre de la Ville, lui propose de monter l'Echange. Ce sera ensuite chezvRacine qu'elle puisera ses partitions de prédilection. Elle fut la première femme directrice d'un Centre dramatique National, le premier aussi de l'histoire du théâtre, et ce fut à Nancy qu'eut lieu l'aventure.

En féministe convaincue elle nous a fait redécouvrir Camille Claudel, mais il reste encore, dira-t-elle,  tant de chemin à faire pour promouvoir les femmes. En femme de coeur elle s'est engagée dans la libration de Nelson Mandela. On ne devrait pas résumer sa carrière à si peu d'exemples mais dans quel état d'émotion serait-elle apparue si on avait tout dit ?
On vit une femme émue qui retenait ses larmes pour respecter la promesse faite à sa fille de ne pas pleurer, mais qui néanmoins n'avait pas peur de montrer ce qu'elle ressentait.

Elle a baigné dès l'enfance dans le théâtre. Et si l'aviateur a dessiné un mouton au Petit prince, c'est sans doute un théâtre que son père architecte lui a en quelque sorte tracé. Il a fait plus. Elle se souvient de lui et de sa mère cousant le soir les costumes d'une pièce qu'elle devait jouer à l'école. Elle nous apporte la réponse à la question que Christophe Colomb fait à un marin au soir de sa vie : réponds moi, est-ce vrai qu'il y a un autre monde ? Cet autre monde existe et c'est le théâtre.

Ce n'est pas un hasard si elle cite la parole d'un navigateur puisque les régisseurs étaient issus de ce monde. Le théâtre est lié à la marine. Et quand on sent la fin du voyage qui commence à venir, on est sensible à une main qui se pose sur votre épaule. Anne Delbée veut croire que si le monde disparaissait, le théâtre recréerait l'humanité.

Elle termine sur une note très positive en saluant Baptiste son petit neveu de 7 ans qui monte sur scène en ce moment. L'enfant, assis à coté de moi, ne cachait pas sa joie et m'a soufflé qu'il avait bien l'intention d'en faire son métier.
Saisissant le Brigadier à deux mains elle commenta d'une vois ferme : je frappe pour Emilie (sa fille) qui après Béjart (elle était danseuse dans sa compagnie de 1999 à 2008) a décidé de créer une troupe à son tour.

Troisième remise, lui aussi pour l’ensemble de sa carrière à Michael Lonsdale, acteur majeur, capital, humble et discret, peut être en raison de sa double culture franco britannique, alors que sa carrière est éblouissante. Justifiant une démarche trop souple il murmure : Je suis une mouette et j'ai failli tomber à la renverse.
Il prétend avoir rencontré par hasard les mots de Marguerite Duras et de Beckett, se souvient des grands moments que furent l'Amante anglaise (qu'il joua avec Madeleine Renaud, à la création par Claude Régy), comme India song. Heureux d'avoir pu alterner les textes dits d'auteur et les grands succès populaires. Parfois les deux comme Frère Luc dans Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois en 2010, qui lui valut d'ailleurs un César. Il nous confie dans son livre Il n'est jamais trop tard pour le plus grand amour combien ce saint homme incarne son idéal (p. 102).

En homme de foi, il exprime combien il faut vivre intensément, vivre passionnément / Et ne se battre seulement / Qu'avec les feux de la tendresse comme le chantait Barbara dans Perlimpinpin.

Le théâtre est un drole de moment où on s'expose. J'aurais jamais pensé que ça aurait été si loin et si pleinement. Il nous dit ce qu'il doit à Tania Balachova qui fut son professeur. Ce n'est une surprise pour personne, mais il est tellement captivant quand il relate la scène (que vous pouvez retrouver p. 128 de son livre) qu'on l'écoute comme si on découvrait l'anecdote. Il a réussi à faire rire la salle car il raconte avec beaucoup de malice.

Pour moi l'enfant adultérin caché à sa naissance, monter sur scène ne fut pas simple. Les études n'étaient pas mon fort. J'ai tenté le théâtre mais que ce soit Tchekhov ou Feydeau j'étais incapable d'être autant chose qu'un gentil.

Je veux vous voir contrarié, exigeait Tania. Je faisais de son mieux en élevant un peu la voix mais le résultat n'était pas satisfaisant. Je veux vous voir très fâché. Pas mieux. Je veux vous voir fou de rage. Rien de mieux. En femme intelligente elle menace de me virer de son cours. Elle me propose un dernier essai. J'attrape une chaise et je hurle, provoquant enfin un compliment : Ah bon, dit donc quand vous vous y mettez ....
J'avais à la maison le coeur qui cognait en pensant que le théâtre n'était pas pour moi. J'ai compris qu'il fallait pouvoir interpréter toute la gamme humaine de l'ange au salaud. Merci Tania dit-il en embrassant le bois qu'il frappe délicatement sur le sol.

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