Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 27 février 2017

Racine ou la leçon de Phèdre d'Anne Delbée

Anne Delbée avait promis de redonner la Leçon de Phèdre ... pour ceux qui voulaient la revoir, pour ceux qui souhaitaient la découvrir, pour les sceptiques s'interrogeant sur l'opportunité d'inclure le spectacle dans leur future programmation, pour les dubitatifs votants aux Molières, en avant-première des festivals de Sarlat et de Figeac, mais aussi et surtout ... pour le plaisir ... et c'est pour cette raison supérieure que je suis venue ce soir au Poche Montparnasse qui avait coproduit la performance l'hiver dernier.

Il y eut Sarah Bernhardt. Il y a Anne Delbée, tragédienne majuscule qui ne s'interdit pas de faire rire. Ayant le sens du drame comme peuvent l'incarner aussi les grandes rockeuses.

La veste est jetée. Elle s'empare du micro pour chanter en alexandrins. Et la ressemblance est frappante avec Catherine Ringer, qui était bouleversante dans son interprétation de Malhler à la mémoire de Fred Chichin.
La comédienne démontre la modernité de Racine, sans doute parce que la tragédie est intimement liée au théâtre. La fulgurance du texte s'empare de nous. Chacun a conscience que si elle s'est tenue éloignée pendant quelques années elle a rudement bien fait de revenir nous donner cette leçon que l'on reçoit comme une passe de rugby qui arriverait en uppercut dans l'estomac.

L'idée de ce spectacle est née un soir de 2007 où Anne Delbée s'est retrouvée comme une gitane à déclamer sur une table la déclaration d'amour de Phèdre à Hippolyte (Acte II, scène 5). C'est devenu un spectacle pensé, épuré avec un vrai décor, quelques accessoires, et une projection vidéo conçue par sa fille Emilie que l'on reconnait sur les images, à coté de son petit neveu, dans un plan séquence prémonitoire puisqu'il tient entre les mains le brigadier dont elle a reçu le Prix le 17 février dernier.

Anne Delbée est fascinante dans un phrasé grave, et pourtant léger. Pas de soierie chatoyantes ni de perruque comme pour le Phèdre qu'elle avait monté à la Comédie française en 1995. Christian Lacroix ne signe pas le costume d'homme, noir, chemise blanche un peu bouffante qu'elle porte ce soir, le bras levé à la manière d'un toréador, prêt à planter la première banderille.

Le spectacle est ultra vivant, nous faisant vivre une large palette d'émotions, débordant sur la comédie et le rire. Aucun tabou ne caviarde la biographie du grand auteur dont Anne Delbée retrace le parcours, dans ce qu'il eut d'heureux et de malheureux.
Elle enfile une robe de velours noir, dénoue ses cheveux, soudain dorés sous l'éclat des projecteurs.

Phèdre c'est quoi finalement ? Une belle-mère qui drague son beau-fils, pas de quoi en faire un fromage, une cougar qui s'excite sur un petit jeune homme. Ah,vu comme ça ..., mais alors que fait-on de la langue de Racine, de la grande langue du XVII° siècle, de cette putain de langue, comme le disait récemment -et avec admiration- un chanteur des Eagles ? Phèdre est une partition dont il faut suivre pas à pas les notes.

Le ton est donné. Rien ne sera occulté.

Plus tard Anne Delbée, danseuse, en position cinquième, mimera Molière dansant le Lac des cygnes, nous prévenant : attention il va s'envoler !

On apprend beaucoup de choses. Nous sommes des éponges infusées de cette p... de langue que l'on se surprend à grandement aimer. On reçoit une belle leçon, de théâtre, de lettres (classiques) et même de danse (classique, elle aussi) ... mais surtout une leçon de vie ... magnifique de démesure !
On peut légitimement espérer le Molière du Seul(e) en scène qui sera un argument de plus pour convaincre les programmateurs d'inscrire cette leçon dans leurs futures saisons. Deux festivals l'ont déjà retenu cet été, celui de Sarlat le 25 juillet à 21h et celui de Figeac les 26 et 29 juillet, lui aussi à 21 h.

Racine ou la leçon de Phèdre
Conception, mise en scène, interprétation Anne Delbée
Scénographie Abel Orain
Création lumière Andréa Abbatangelo
Réalisation vidéo Émilie Delbée
Musique Patrick Najean
Costume Mine Barralvergez
Illustrations Emmanuel Orain

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont d'Emmanuel Orain

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)