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jeudi 17 octobre 2019

Exposition Louise de Vilmorin à la Maison de Chateaubriand (92)

Le grand public va désormais mieux connaitre Louise de Vilmorin (1902-1969) à travers l'exposition Une vie à l’œuvre qui lui rend hommage à la Maison de Chateaubriand.

On la voit ci contre à sa table, photographiée en 1955 par © Boris Lipnitzki/Roger Viollet.

J'ai été surprise, le soir du vernissage, par le peu de choses que beaucoup de personnes présentes savaient d'elle. Il est vrai que ma position est particulière puisque j'ai longtemps habité à Verrières-le-Buisson où elle a terminé sa vie auprès d'André Malraux.

L'établissement des Vilmorin, grainetiers installés quai de la Mégisserie, est devenu la médiathèque et abrite un petit musée où je me suis investie. J'ai eu l'occasion de voir de près plusieurs objets ayant appartenu à cette grande dame. Du coup les photos et affiches présentées me sont familières. Comme ces pièces d'archives concernant ses parents, la couverture d'un catalogue datant de 1923, qui semble n'avoir pas vieilli, ou cette affiche de Jean Cayré, Paris : Impr. Maron-Esperonnier, datant des années soixante.
En effet, le cinquantième anniversaire de la mort de Louise de Vilmorin, le 26 décembre 1969 à Verrières, fait l’objet d’une exposition du 19 octobre 2019 au 15 mars 2020, à l’initiative d’Olivier Muth, directeur des Archives départementales, dans le cadre des commémorations nationales de 2019. Il faut dire qu'il connait bien le sujet sur lequel il rédigea sa thèse de l’école des Chartres en 1999. Cette exposition permet aussi de valoriser  le travail collectif et de démontrer l’importance du patrimoine écrit appartenant aux fonds des Archives départementales.

Cette exposition fait écho aux orientations de la maison de Chateaubriand en valorisant une figure féminine du XXe siècle, au sein d’une saison qui fera également la part belle à Juliette Récamier et à George Sand (2019-2020), au salon littéraire du Docteur Le Savoureux, dernier propriétaire privé de la maison, et enfin en donnant une place de choix à l’écrit dans l’espace d’exposition.

Un parcours de citations sur des bâches, dans le parc, complètera l’exposition avec des mots de Antoine de Saint Exupéry, Jean Cocteau, André Malraux, Jean Hugo, Paul Léautaud et Saint John Perse. On pourra lire par exemple cette phrase tirée d'une lettre d'Antoine le 2 avril 1934 et qui semble prémonitoire : Tu ouvriras dans tes livres les ailes de l'archange.

Il était logique que la première salle soit consacrée à cette famille de grainetiers, exportatrice mondiale de semences. Son père Philippe fut un botaniste et un généticien brillant, créant les premiers hybrides de blé et de tomate, doublant la teneur en sucre des betteraves, exploitant la fameuse collection de pommes de terre d'Antoine Parmentier, l'un des amis de son père, et améliorant par exemple les variétés d'iris. Grand voyageur, il ramenait des essences rares qu'il acclimatait dans l’arboretum de Verrières où il introduisit  le Buddleia ou "arbre aux papillons", ramené de Chine par le père David en1893, et aujourd'hui si "commun". Il mourra en 1917, épuisé par la guerre.

On a du mal à se l'imaginer aujourd'hui, mais, il y a deux cents ans, Verrières-le-Buisson était encore une petite commune rurale entourée d'immenses champs de céréales s'étendant à perte de vue et Massy était une immense jardin planté de fleurs multicolores.

On dit que sa mère, Mélanie, était une des plus belles femmes de son temps. Elle eut six enfants en l'espace de sept ans mais ce qu'on retient d'elle c'était le peu d'affection qu'elle témoigna à cette petite fille qui n'eut même pas le droit d'avoir une poupée. Est-ce de là que lui est venue sa passion pour les collections ? Fort onéreuse souvent et on dit que ses frères passaient derrière elle pour régler la note. Elle aura toute sa vie un rapport particulier à l'argent, non sans humour puisqu'elle écrivit en PS à son frère Olivier L’argent me ruine. Ce à quoi il répondit Ton argent me ruine. Ce fut l'objet d'un article paru dans Vogue sur L'Art de demander. Elle fut aussi journaliste pour le magazine Marie-Claire dans les années 50.
Louise de Vilmorin est surtout connue pour avoir été femme du monde et pour ses talents de séductrice. Il faut dire qu'elle était grande, mince, avait une allure folle et parmi ses conquêtes on recense Saint Exupéry (même si ce soir beaucoup ignoraient qu'elle fut sa fiancée en 1922 avant qu'ils ne se séparèrent en raison de conceptions divergentes sur la vie), Gallimard, Jean Cocteau (qui la surnommait Ma petite Sainte ou Louisette), André Malraux bien sûr et deux maris.

En 1925, elle épousa Henry Leigh-Hunt, un ami de la famille, et s’installa à Las Vegas, où pour tromper son ennui, elle se mit à jouer de la guitare, à dessiner et à peindre, ... puis à écrire. Après avoir divorcé en 1937, elle épousa, en 1938, le comte Paul Palffy d’Erdöd, appartenant une illustre famille de la grande noblesse hongroise, et partit vivre avec lui, au château de Pudmerice en Slovaquie. Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, Louise y passa les deux plus belles années de sa vie. Mais face à un mari volage et à sa passion pour le comte Thomas Esterhazy, elle divorça en 1943, et rentra à Paris l’année suivante.

On connait davantage les noms de ses amants célèbres, d’Antoine de Saint-Exupéry à André Malraux en passant par ­Gaston Gallimard, Roger Nimier ou Orson Welles. Sa philosophie Je t’aimerai d’amour toujours, ce soir, s'accorde néanmoins plus à notre époque qu'à la sienne.

Elle fut aussi très liée à Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor, avec qui elle renoua en 1948. Il a fait d'elle cette année là un portrait au pastel que l'on peut voir dans l'exposition. On la découvrira aussi en trois dimensions avec un buste en plâtre de Jacques Zwobada daté de la même époque.
 
Mais elle fut romancière, poète, scénariste, journaliste, épistolière, graphiste aussi, bref une artiste complète et il était normal qu'on la présente enfin au public sous tous ces angles, en réhabilitant l'entièreté de son œuvre avec un objectif très littéraire.
Elle affirme avoir écrit ses premiers poèmes pour Jean Hugo comme en atteste la dédicace des Fiançailles pour rire, Gallimard (1939). Leur correspondance sera abondante et brillamment illustrée par Jean comme en atteste l'exemple ci-dessus.
L'écriture de Louise nous devient familière au fil de l'exposition qui la fait revivre avec émotion (cf. Lettre ci-dessus du 13 octobre 1948 à Jean Hugo)
On peut s'attarder sur de nombreuses preuves de la reconnaissance de son talent comme cette lettre de Jean Cocteau en octobre 1934.
Le cinéma lui doit plusieurs grandes réalisations, comme le scénario original des Amants que tourna Louis Malle. La grande affiche rouge vif de Madame de ... le film de Max Ophuls (1953) éclate dans la rotonde, à coté de celle plus modeste de Julietta, un personnage qui lui a été inspiré par la grande décoratrice Madeleine Castaing.
C'est peut-être en tant que calligraphe qu'elle me touche le plus comme en témoigne ce magnifique Emblème du voyage – calligramme et poème manuscrits, dans Shell Madame, n° 5, septembre-octobre 1955.
Elle déclina de multiples façons le trèfle à quatre feuilles qui s'épanouissait au-dessus du L de sa signature. Ce "vase et fleurs, 1960" n'en est qu'un exemple. Elle l'avait imaginé dès 1940 en hommage à ses quatre frères, épargnés par la guerre et le motif était gravé aussi sur le service de verres qu'elle utilisait à Verrières.
Louise était très attachée au château de Verrières (où elle était née), propriété familiale depuis 1815, dont elle avait hérité de sa grand-mère en 1929 avec ses quatre frères Henri, Olivier, Roger et André et sa soeur Marie-Pierre. Elle s'y installa définitivement dans les années 50 et fit du salon bleu, qui tirait son nom du tissu bleu à fleurs flanches des rideaux comme des fauteuils, le centre de son rayonnement. Elle y collectionnait les bibelots et les oeuvres de ses amis artistes qui lui rendaient régulièrement visite. Outre ceux nommés jusque là participèrent à ses "fameux" dîners du dimanche soir Francis Poulenc, Orson Welles, Blaise Cendrars, Louis Aragon, Léo Ferré, Georges Pompidou et ... Guy Béart, pour lequel elle avait écrit les paroles de Dans les journaux (1963) :
C'est tous les jours
Qu'on meurt d'amour
Dans les journaux
Les imprimés
Inanimés
Sont des tombeaux
Malgré la profusion de ses réalisations et le succès qu'avait cette femme fascinante, elle restait modeste, ne cherchant pas la lumière. Tout en moi est absolument imagination disait-elle comme pour minimiser son talent. Et elle savait être reconnaissante à André Malraux de l'avoir poussée dans la voie de l'écriture, comme on le remarque dans la dédicace qu'elle lui adressa de Sainte-Unefois. Il lui avait en effet suggéré : Si vous vous ennuyez, évadez-vous en écrivant. Plus tard il affirmera qu'elle a un vrai talent.
Elle avait enregistré avec Marie Bell ses Contes et prières de Noël (et on peut écouter sa voix si émouvante ici) et publié dans un ouvrage où l'on doit son portrait à Maurice Van Moppès.
Quelle ironie du sort. Elle mourut discrètement, le lendemain de Noël 1969 d’une crise cardiaque suite à une grippe mal soignée. Elle est enterrée dans le jardin de Verrières, sous un banc de pierre en guise de tombe, et surtout sous un cerisier car elle tenait particulièrement à ce que ses petits neveux puissent se régaler de fruits en ayant une pensée pour elle. 
Il était légitime qu'un hommage lui soit enfin rendu alors que la postérité a davantage retenu la femme du monde que la femme de lettres. Et que cette soirée se termine par un concert qui préfigure ceux qui sont programmés dans les semaines qui viennent. 

Il faut consulter le site du département car la programmation autour de l’exposition est très abondante entre conférences, lectures, visites théâtralisées, concerts, projections, ateliers d'écriture, de calligrammes ou de compositions florales ...  et un colloque consacré à ses correspondances avec Jean Cocteau, Jean Hugo, André Malraux et Pierre Seghers suivi d’un concert (le 29 février à 14h30).

Une vie à l'oeuvre : Louise de Vilmorin (1902-1969)
Au premier étage de la maison (trois premières salles)
Du 19 octobre 2019 au 15 mars 2020
Horaires du mardi au dimanche :
De mars à octobre : visites libres de 10h à 12h et de 13h à 18h30
De novembre à février : visites libres de 10h à 12h et de 13h à 17h
Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups Maison de Chateaubriand
87 rue de Chateaubriand - 92290 Chatenay-Malabry - tel. 01 55 52 13 00
Visites guidées sur réservation par téléphone ou reservations-chateaubriand@hauts-de-seine.fr

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