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vendredi 18 octobre 2019

Une journée à … dans les musées de Roubaix et Tourcoing

Je suis allée visiter quelques espaces culturels à Roubaix et Tourcoing et ce reportage fera l'objet de l'émission Une journée à … sur Needradio le dimanche 17 novembre prochain.

Vous y entendrez plusieurs interviews mais vous serez frustrés de ne pas voir les illustrations. Voici donc l'essentiel en images, au fil de quatre billets, les deux premiers consacrés au musée La Piscine de Roubaix et à quatre de ses expositions, le deuxième à la Chapelle de Hem, et le dernier au MUba Eugène-Leroy de Tourcoing avec l'exposition Picasso-Illustrateur..

Commençons par Roubaix. Dans cet article je présenterai l'architecture du lieu sans m'attarder sur quatre expositions qui feront l'objet d'une autre distincte. Nous avons, pas loin de notre studio, un établissement culturel qui s’est installé dans la première piscine de la région parisienne. C’est le théâtre Firmin Gémier La Piscine et je n'aurais donc pas dû être surprise mais la Piscine de Roubaix est un endroit stupéfiant.

On a dit le jour de son inauguration, le 23 octobre 1932, que c’était la plus belle piscine d’Europe et en 1934 elle était considérée comme une des plus modernes à l’instar de celles de Vienne, Nuremberg ou Charleroi. C’est une architecture magnifique.
Il faut aussi se replacer dans le contexte de Roubaix, capitale du textile, développée avec ce qu’on a appelé la révolution industrielle. Quelques grandes familles règnent sur la ville tandis que des milliers de travailleurs étrangers ont afflué de l’Europe entière. Les migrants étaient alors fortement encouragés à venir puisqu’il y avait beaucoup de travail manuel à faire. Mais ils logeaient dans l'habitat insalubre des courées, construites par les petits propriétaires désireux d’augmenter leurs revenus en lotissant au maximum des terrains en profondeur, ne donnant sur la rue que par une unique entrée. Les sanitaires étaient communs, les habitations n’avaient pas d’eau courante. Dans le meilleur des cas une pompe permettait de puiser l’eau pour l’habitation. Il faut savoir qu’on en comptait plus d’un millier et que cela représentait presque la moitié des habitations de la ville. Il existait des bains publics mais ils ne pouvaient pas satisfaire les besoins d’hygiène d’une ville de 125 000 habitants. Voilà pourquoi dès 1912 le maire socialiste Jean Lebas avait cherché à adoucir le quotidien de la population ouvrière en faisant construire une piscine à eau chaude. Le résultat est ce superbe édifice Art déco bâti entre 1927 et 1932 par l’architecte lillois Albert Baer.

Je voudrais signaler d’ailleurs que Jean Lebas deviendra ministre du Travail sous le gouvernement Léon Blum et que, en quelques semaines, pendant l'été 1936, il mettra au point les premiers congés payés, la généralisation des assurances sociales, les conventions collectives, la résolution des conflits du travail par l’arbitrage et … la semaine de quarante heures, ce qui était une avancée sociale considérable.
Revenons à Roubaix. Les travaux durent plus longtemps que prévu. Le plan s’inspire du modèle des abbayes cisterciennes: quatre ailes se déploient autour d’un jardin évoquant un cloitre. Dans la nef de l'aile Est, s’étend le bassin olympique, en céramique bleue, surmonté d’une double voute en béton armée. A chaque extrémité, un spectaculaire vitrail en forme d’éventail symbolise d’un coté le lever et de l’autre le coucher du soleil, faisant de cet endroit une cathédrale de lumière. Sur deux étages se succèdent les salles de bains individuelles. Il y a aussi des salons de manucure, de pédicure et de coiffure, des bains de vapeur, un solarium, une laverie industrielle et une buvette.
Dans cette ville marquée par les inégalités la Piscine devient un étonnant lieu de brassage social. Les enfants de toutes les classes sociales s’y côtoient sans distinction durant 53 ans, jusqu’à la fermeture brutale le 8 novembre 1985 pour raisons de sécurité, parce que la voute rongée par le chlore menace de s’effondrer. Elle a failli être démolie mais l’attachement au bâtiment, à son symbole de mixité sociale, et son architecture exceptionnelle ont permis de mener un projet de reconversion en musée.
Il subsiste l'essentiel des bâtiments. C’est cela aussi qui est exceptionnel. Le musée s’appelle aujourd’hui La Piscine-Musée d'art et d'industrie André Diligent. Le mot "musé" figure en lettres énormes sur un long mur de briques, qui est la façade de l’ancienne usine de textile Hannart.
Une cheminée d’usine se dresse dans ce premier jardin. Beaucoup de sculptures sont positionnées dans l'espace extérieur. Comme Chaos Vasco I, un bronze de l'américain Jedd Novatt (né en 1958) et le Buste d'André Diligent oeuvre de Charles Garenne 2002.
A l’intérieur le jardin claustral a été aménagé en jardin botanique textile. On a conservé des appellations typiques d’une piscine en de nombreux endroits. Par exemple on entre dans la salle des collections permanentes en suivant l’indication "Baignoires, Hommes, Dames".
Les magnifiques vitraux arts déco sont intacts. Le restaurant a pris place dans l’ancienne buvette. Une immense photo d’un plongeoir rappelle la première destination des bâtiments. La boutique du musée est installée dans le décor spectaculaire de la salle des filtres.
Les cabines et leur carrelage crème et vert foncé ont été conservées, même si au sol c’est désormais un parquet. Et surtout on déambule le long d’un couloir d’eau, bordé de la mosaïque d’origine à décor marin.
Ce bassin de quarante mètres alimenté par un Neptune en grès peut être recouvert par un plancher pour l’organisation de réceptions, d’expositions, de défilés de mode, etc. …
Il y a aussi au bout du bassin un spectaculaire portique en grès cérame polychrome qui provient de la Manufacture de Sèvres qui donc est une pièce rapportée mais qui semble avoir toujours été là.
Enfin toutes les vingt minutes la bande son envoie des cris d’enfants et d’éclaboussures. Je m’y suis fait prendre avant de comprendre que ce n’était pas de vrais enfants qui hurlaient dans les couloirs. L’eau est très présente. On la voit. On l’entend de partout, y compris dans les salles d'exposition car dès qu’il pleut elle résonne sur les verrières.
Le résultat est atypique bien entendu, mais magnifique parce que tout est pensé avec intelligence. Comme me l’a dit une conservatrice : l’art c’est sérieux mais c’est pas grave.
Le fonds d’arts appliqués prend place dans l’ancien bassin dont les cabines de douche et de déshabillage sont transformées en vitrines et cabinets de consultation.  
Vase de Hanneke Fokkelman née en 1955
Isabelle Ramnou, Maillot "Bains municipaux Roubaix n°2, 2016, porcelaine
Colette Guéden (1908-2001) Jeune fille, avant 1952
On pourrait consacrer deux journées pleines à arpenter les lieux pour tout découvrir, y compris les sculptures du jardin. J’ai été touchée de trouver dans les collections permanentes le buste de La Petite Chatelaine de Camille Claudel (1864-1943) parce que c’est un modèle de pureté mais aussi, et ça ce sont les hasards de la vie, j’avais lu dans le train un premier roman qui s’intitule Un été à l’Islette et qui raconte en quelque sorte la création de cette oeuvre par Camille Claudel qui l’a sculptée dans un petit château près d’Azay-le-Rideau où elle a séjourné avec Rodin. Ce roman écrit par Géraldine Jeffroy est une fiction mais très plausible et en tout cas il est attesté que Camille Claudel a réalisé ce buste en septembre 1892 dans ce château au bout de 62 séances de pose avec une petite fille qui s'appelait Marguerite.
On y voit aussi bien sûr un Buste de Auguste Rodin (1840-1917), fait par Camille en 1886-1892. Il s'agit d'une fonte posthume de Rudier en 1953
Et puis le Buste en plâtre de Lady Victoria Sackville-West 1913-14 réalisé par Auguste Rodin.
Mais on remarque aussi cette Madeleine Charneaux debout, 1917, que l'on doit à Antoine Bourdelle (1861-1929). Mais le plus stupéfiant c'est la reconstitution de l'atelier d'Henri Bouchard dont on a suggéré le transfert à Roubaix de cet ensemble remarquable labellisé Musée de France par le ministère de la culture en 2006.
Le Haut Conseil des Musées de France valida cette proposition en 2007 et les oeuvres, les outils et la documentation sont depuis intégrés à l'inventaire des collections du musée. C'est le seul atelier de sculpteur de la IIIe République qui soit préservée, et cet ensemble remarquable a été un enjeu important de l'agrandissement de la Piscine.
On peut aussi déjeuner (ou goûter) sur place car l’ancienne buvette est devenue un restaurant, qui est une émanation d’une institution lilloise qui s’appelle Meert et qui propose une carte dont les noms changent en fonction des expositions organisées par le Musée. L’établissement installé ici est dirigé par Véronique Legrand passionnée depuis toujours par la cuisine.
Le Nord est réputé aussi pour ses légumes comme l’endive qui était le jour de ma venue cuisinée en Tatin avec une crème au fromage, sans doute du Maroilles. La région était aussi célèbre pour la gaufre de foire. La grande spécialité de Meert et donc du restaurant du Musée est justement une Gaufre à la vanille dont la recette remonte à 1761. On la fabrique quotidiennement de manière totalement traditionnelle, cuite entre 2 fers marqués du célèbre monogramme M, détourée à l’emporte-pièce et fourrée d'une subtile crème de sucre, de beurre et de vanille de Madagascar pour la version classique.
Pour l’anecdote, la recette est jalousement conservée dans un petit carnet usé par le temps. La gaufre n’est pas encore prête à livrer ses secrets… on m’a dit qu’elle était très appréciée du Général de Gaulle. On peut l'acheter en ligne mais les parisiens ont aussi la possibilité de se rendre dans une des boutiques de Saint-Germain-des-Prés (3 rue Jacques Callot) ou du Marais (16 rue Elzévir) ou encore à la Grande Épicerie (38 rue de Sèvres).

Bruno Gaudichon, le conservateur en chef de ce lieu atypique, estime malgré tout que si l'espace paraît grand il ne l'est pas suffisamment .... pour les projets qui y sont menés. A peine agrandi il va l'être de nouveau. Le projet était d’aller contre les préconçus sur les musées. Les générations précédentes n'allaient qu'une fois dans un musée. L'équipe s'est donc attelée à en faire un lieu de vie dans la ville et a tout à fait réussi.

C’est un musée qui accueille sans doute entre 70 et 80 000 enfants chaque année, en ateliers de travail plastique. Le public non français représente à peu près 15%, ce qui, rapporté à la fréquentation globale du musée est quand même un chiffre assez important. Il reçoit environ 250 à 300000 visiteurs par an, ce qui est un élément important pour une ville de 95000 habitants.

Il est probable que beaucoup de visiteurs viennent parce qu’ils ont vu l’image du bassin. Puis ensuite ils découvrent des collections attachantes, et même si elles sont pour certaines un peu inédites et que le public aime aussi beaucoup retrouver des choses qu’il connaît, c’est bien qu’il y ait des musées où on fasse des découvertes autour d'expositions, de concerts, et de des visites spécifiques. Un lieu comme celui-ci où il se passe toujours quelque chose. Je dois avouer aux auditeurs que je suis loin d’avoir tout vu et que j'ai très envie d'y revenir.

Le prochain billet sera consacré aux expositions temporaires, et ensuite à la chapelle Sainte Thérèse d’Hem qu’il faut visiter après avoir vu les tableaux de Manessier, comme cette Passion selon Saint Jean, 1986.
Je quitte donc La Piscine pour le moment en me demandant qui a pu avoir eu l'idée de commencer à coller ces marques "visite guidée" ? Et mes yeux s'amusent de se poser sur l'Alebrije pour l'Eldorado de lille3000 qui détourne la tête du musée. Je me croirais presque au Mexique !
La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix
23 Rue de l'Espérance, 59100 Roubaix - 03 20 69 23 60

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