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dimanche 27 octobre 2019

Baikonour d'Odile d’Oultremont aux Éditions de l’Observatoire.

J'avais promis d'attendre son second livre pour me prononcer à propos d'Odile d’Oultremont. Je n'avais en effet pas été séduite par Les déraisons.

J'ai eu du mal à apprécier ce Baïkonour mais après une échappée dans la cuisine à faire de la soupe (je suis très sérieuse, la preuve) j'ai finalement été convaincue et ... je peux même dire que je lirai avec grand plaisir le troisième à sa sortie.

Pourtant la progression de ce second opus est chaotique. L'auteure s'intéresse bizarrement beaucoup à ce que chaque personnage trimballe sous ses chaussures.

Par exemple (page 28) Marcus "devine les cailloux crisser sous les semelles dures et glisser sous les plus molles". Or le jeune homme se trouve à 51 mètres de hauteur et je ne suis pas sûre qu'on puisse deviner pareille différence d'où il est, et surtout quel intérêt cela a, et pour le personnage, et pour le récit ... à moins qu'Odile d’Oultremont soit obsédée par les semelles comme Amélie Nothomb l'est avec le pneu (elle s'impose la contrainte de placer ce mot dans chacun de ses romans). Et encore (page 68) ses semelles effleurent le pavé. Après avoir lu une citation à Arthur Rimbaud … j'imaginerai que les semelles sont un hommages au poète.

Elle utilise un lexique inhabituel : une enfonçure de perplexité (page 29), s'encourir (page 46) l'algorithme familial (page 48). Edith s'est elle-même licenciée des négociations de vente du Baikonour (page 141). On ne parle pas, on souffle

La sécurité d'abord peut-on lire au début. Et pourtant nous assisterons à deux accidents très graves. Sans compter un troisième, mineur, de coloration. Le sujet semble être une obsession pour le marin. Pourquoi alors ne met-il jamais le gilet de sécurité en prétextant que, à part m'irriter les aisselles je vois pas à quoi ça sert (p. 23).

J'avoue que je me suis ennuyée dans les premières pages. Hormis l'accident de bateau de la deuxième page du livre (qui porte tout de même le numéro 12) et le contenu du fait-tout qui mijote sur le feu en chuchotant des bulles ... il ne s'est pas passé grand chose et nous sommes tout de même rendus page 72. Marcus est en haut de sa grue. Anka va et vient dans l'eau de mer ou sur le pavé. Edith fait la soupe.

On sait qu'avoir été privé de la vision du corps d'un défunt n'aide pas à faire le deuil. Il paraît que je suis veuve (…) Je me comporterai en veuve quand je l'aurai vu mort dit Edith page 72. D'ici là je suis encore sa femme ! Elle est dans le déni conscient, assumé dit-elle (page 111) : cuire des potages pour mon mari et pour les matelots, c'est un acte militant et c'est encore ma liberté. On note à plusieurs reprises des situations contradictoires. La soupe est peut-être bienfaisante. mais elle est aussi objet de chantage par cette mère, qui contraint la fillette de dix ans à avaler une soupe aux poireaux pour gagner le droit d'accompagner son père sur le bateau. La mère a l'obsession des soupes, de la vérité et du parler vrai. Tout cela éclatera quand on comprendra que personne n'aime ses soupes.

L'auteure l'affirme page 76 : Marcus reste "fidèle au poste de cette Absurdie". Avec un A majuscule exactement comme dans son livre précédent (page 104). Arrive alors (page 79) le mot vultueuses qui me fait écarquiller les yeux de surprise. Je ne connaissais pas ce qualificatif et je ne vois pas à quoi peuvent ressembler des paupières vultueuses. Peut-être rouges et bouffies. J'ai en tout cas appris un mot.

La chronologie est surprenante, bouleversée (chamboulée) parfois à l'intérieur même d'un chapitre. Je n'ai pas compris pourquoi la date est mentionnée uniquement lorsqu'apparaît le personnage de Marcus (février 2017 la première fois), et revient par moments, mais pas systématiquement.

La date de la disparition en mer de Vladimir Savidan (mari d'Edith, père d'Anka) n'est mentionnée que page 63. Voyant que c'est le 17 février 17 le lecteur reviendra en arrière pour confronter avec les dates associées au grutier. C'est agaçant ... mais important puisque en lisant 18 et 25 (février), on comprend que les faits sont postérieurs au décès du marin.

Par contre, lorsque je remarque le 10 mars (page 65), je n'en saisis pas l'importance, sinon pour signifier qu'il peut faire froid en haut ? Et comme on nous informe incidemment que "depuis trois mois qu'il travaille".... on peut déduire que Marcus est arrivé début décembre, donc avant l'accident. Est-ce bien utile que le lecteur soit contraint à cette enquête ? C'est que, à part ça, on n'a rien à se mettre sous la dent, d'où mon envie de soupe. La fuite dans les taches ménagères est un phénomène bien connu.

A force de penser ... j'ai trouvé des références. Avec L'homme qui aimait les femmes de Truffaut, obnubilé par leurs jambes (on n'est pas loin des semelles) qui les guettait surtout à partir du mois de mars. Justement mars.

Le 12 avril (page 90) c'est une autre chute, celle de Marcus (comme quoi le père d'Anka avait bien raison d'insister sur la sécurité) alors que .... (page 93) les baskets d'Anka pianotent avec énergie sur les pavés. Trois pages plus loin, et trois jours plus tard (page 94) on est le 15 alors qu'on apprend que le casque tombe avec une force colossale à deux mètres de Anka qui est la première témoin. Défaut de relecture du manuscrit ?

Au-delà de ces maladresses j'admets qu'Odile d’Oultremont connaît la topologie d'une grue. Et je peux accepter le surréalisme, la poésie, le décalage même si, pourtant, l’histoire est tout à fait plausible.

Le titre de ce roman est apparu à l'auteure alors qu'elle écrivait le précédent. Elle avait été attirée par l'affiche d'un spectacle de théâtre qui s'appelait Baikonour, un mot qu'elle avait jugé exotique. Elle décide de nommer ainsi le bateau de Vladimir, mais j'observe tout de même que la grue a un design assez proche d'une fusée.


Le baikonour est un Cléopatra Fisherman 38, la Rolls des bateaux de pêche (page 16) fileyeur-ligneur-caseyeur de 11 m 30 propulsé par 700 chevaux à une vitesse maximale de 29 nœuds (page 59), assez comparable à la Liebherr 280 EC-H, que pilote Marcus perché à 51 mètres du sol (page 41), capable de supporter des rafales de 67 km/h sans vaciller.

J'ai aussi bien sûr pensé ensuite à Vigile, le magnifique premier roman d'Hyam Zaytoun qui figurait dans la précédente sélection des 68. Et puis, de manière plus prosaïque à la chanson Un petit poisson, un petit oiseau .... de Juliette Gréco.

L'écriture d'Odile d'Oultremont est hyper cinématographique, et pour cause, car son activité principale est d'être scénariste. Chaque scène prend vie en suivant le regard d'un personnage, et ça c'est très réussi. La rencontre de Marcus et d'Anka est l'illustration que deux univers différents peuvent se rejoindre. Marcus est un homme du sud, Anka une fille du Nord. Il vit dans le ciel, elle a les pieds sur terre. Rien ne devait les amener l'un vers l'autre, et pourtant ...

J'ai fini par apprécier le style d'Odile d'Oultremont à la seconde lecture. Il aura fallu que je m'habitue à l'oxymorie de ses constructions, à sa manière si particulière d'utilise d'accumuler des synonymes pour renforcer son texte. Par exemple : Longtemps reléguée amatrice passionnée de la mer (page 62) ...

Autre florilège (page 97) : trempé dans le plein air comme un stylo dans l'encrier, il lui a semblé qu'il planait et coulait en même temps. (…) trois clientes jacassent de concert, ça rapporte de toutes parts, dans tous les sens, on dirait un dessin de Pollock. (…) Il lui semble que son estomac est labouré comme un champ de betteraves, une terre bosselée, charroyée d'une multitude d'affres récentes que la chute du grutier vient ranimer progressivement (… ) épuisée par la frivolité de ses corollaires.

Les personnages font souvent le contraire de ce qu'on attend d'eux. Le père de Marcus a toute sa vie bossé à ne rien foutre. Après avoir grandi nivelé par le bas (page 29) il va prendre de la hauteur en devenant grutier (page 31) par nécessité viscérale de changer enfin de perspective.

Le père du garçon est l'opposé de celui de la jeune fille mais au final le plus proche n’est pas le plus aimant. Et il est vrai que la vie offre souvent des surprises comme en témoigne la conversation surréaliste entre le père de Marcus et le spécialiste numéro 2 qui ne se sent pas de contredire un confrère (page 118) à propos d'une intervention à tenter pour sauver le jeune homme.

J'ai abandonné parfois de comprendre. Anka dit espérer une sorte de Blanche-Neige à l'envers en s'excusant de ne pas être très douée pour parler aux gens dans le coma (page 127). De quel envers peut-il s'agir puisque tout de même Blanche-Neige revient à la vie.

J'ai découvert outre, je le répète, un style qe finalement j'apprécie, des musiques que je ne connaissais pas. Comme Longing for gravity du contrebassiste David Eskenazy (page 42) par le Trio Bretagne que Marcus écoute dans sa cabine. Ou la reprise d'Alleluia, de Claire Denamur. dont j'adore le deuxième album Vagabonde où elle renoue avec la country et le blues. Rien de moi est magnifique  Quant à son Prince charmant, qu'elle chante d'une voix qui a des accents à la Zaz ... il y a là peut-être la réponse à mon interrogation sur Blanche-Neige.
Baikonour d'Odile d’Oultremont aux Éditions de l’Observatoire.

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