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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 3 novembre 2019

La convivialité, une conférence-spectacle à propos d'orthographe

La convivialité est un titre surprenant dont on comprend plus tard le sens. C'est un excellent spectacle, non pas sur le comment de l'orthographe, mais sur le pourquoi et croyez-moi on en ressort allégé de quelques certitudes. Et, qui plus est, prêt à changer d'avis.

Les deux comédiens auteurs du spectacle, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, se présentent comme le feraient n’importe quels conférenciers en précisant qu’ils ne sont pas du tout comédiens mais enseignants.

Ils en font la démonstration en imposant une dictée à chaque spectateur. Il ne faut pas s’y tromper, ce sont de vrais artistes de scène abordant un sujet très sérieux avec beaucoup d’humour, et une intelligence folle.

J’ai entendu pendant cet exercice, pourtant bref, des commentaires qui m'ont amusée. Mon voisin ne connaissant pas le mot "fioritures" a commenté d'un "c’est quoi, putain". Un autre s'est plaint d'avoir mal au poignet et ils furent nombreux à pousser un ouf de soulagement à l’annonce du point final.

L’orthographe n’est pas la langue mais l’écriture de la langue. C’est le code graphique permettant d'écrire la langue, un peu à l’instar de la partition qui est au service de la musique. Est-ce que c’est un bon outil ? Ne nous assène-t-on pas des affirmations comme des vérités ? La question mérite d'être posée. Si en turc un son vaut une lettre, un son peut, en français, être transcrit d’une douzaine de manières. On nous en fait la démonstration sur grand écran. Et on comprend aussitôt pourquoi il y a tant de façons possibles d’écrire un même mot.

Il est bien pratique pour les enfants turcs décrire un mot "comme il se prononce". C'est très différent en France. Les auteurs se sont amusés à construire un algorithme permettant de recenser toutes les possibilités d’écrire un mot. Ils lui ont soumis "kréfission" (qui n’existe pas, c'est pour le besoin de la démonstration) et nous avons découvert, médusés ... 240 résultats s'afficher les uns sous les autres.

Évidemment chacun d’entre nous s’est arraché les cheveux à propos d’aberrations du type seconde (qui se prononce segonde), ou à l'inverse tranquille (qui se se dit tranqui-le et non pas tran-quille).

Comment comprendre que le chiffre 10 donne le mot dizaine, que groseille ne prend pas un s final quand c'est une confiture mais qu'elle le perd si elle est en gelée ?

Le spectacle est passionnant d’abord parce qu’on apprend énormément de choses. Je savais qu'on devait aux moines copistes la règle de l'auxiliaire avoir (qui s'accorde avec le participe passé s'il est placé avant, parce qu'on l'a lu) mais j'ignorais que le x du pluriel était une abréviation de "us". Je ne savais pas davantage que les accents avaient été importés d’Italie et le tilde d’Espagne. Il fut d'ailleurs utilisé en français. Charles IX se présentait comme le "roy de Frãce" et non de "France". Le tilde marquait alors les sons "nasalisés" (prononcés avec le nez). Les imprimeurs les ont favorisés parce que cela permettait d’utiliser moins de caractères donc de gagner de la place.

Beaucoup de personnes lettrées ne partageaient pas la même orthographe. Montaigne et Rabelais  ont vécu à la même époque sans écrire le français de la même manière. La première page de la pièce de Molière nous sidère quand on découvre qu'il s'agit du Misantrope ... sans h. Finalement on a longtemps écrit comme on voulait.

C’est Richelieu qui réalisa que la langue était un pouvoir et créa l’Académie française dont la réalisation la plus célèbre est le dictionnaire, sa vocation étant d’imposer la norme appartenant à la bonne société. L’orthographe serait la divinité des sots disait Stendhal. Mais force est de constater qu'au XIXe siècle elle devient une norme car la bourgeoisie revendique une orthographe compliquée qu'avec l’école on imposera à tout le monde.

Qu’est-ce qu’il fait qu’une faute est plus grave qu’une autre ? Certaine sont lourdes de conséquences comme le fut Omar m’a tuer, en lettres de sang accusant le jardinier Omar Raddad. Elle fit débat. Les uns affirmèrent que Ghislaine Marchal, décrite comme une femme éduquée, n'aurait pu commettre une telle faute de grammaire. D'autres soulignèrent que la victime l'aurait aussi commise dans des documents retrouvés par les gendarmes, mais dont l'expertise fut contestée.

Il n’y a pas de linguiste à l’Académie française et cette institution prétend consigner uniquement l’usage mais alors qui définit la norme ? Une chose est sûre, et les comédiens en firent la démonstration, étayée de diapositives fort judicieuses, tout changement provoque des réticences comme si on s’en prenait au patrimoine.

Et pourtant simplifier l’orthographe serait-il appauvrir la langue ? Ils nous apprennent que le mot nénuphar a été confondu avec nymphéa (alors qu'il n'y a aucun rapport entre eux) et que par conséquent il ne serait pas illégitime de l'écrire nénufar. On a le sentiment que les tentatives de réforme s'enchainent. Pourtant il n'y en a pas eu (d'officielle) depuis 1990. 

Est-il "raisonnable" d'écrire aujourd'hui comme il y a 150 ans ? Veut-on un outil pour pratiquer la langue ou un objet de prestige ? L'orthographe doit-elle être enseignée ou inculquée ? 

Un débat a suivi la représentation, introduit par un rappel historique de la genèse du spectacle. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron ont été profs de français. Sommés de nous offusquer des fautes d’orthographe, nous avons été pris pour les curés de la langue. Pourtant, nos études de linguistique nous ont appris que la norme orthographique française est très souvent arbitraire et pleine d’absurdités. Nous avons tenté de le dire. Nous avons alors été confrontés à l’impossibilité généralisée de nous faire entendre. Nous avons progressivement pris conscience des enjeux politiques et sociaux cachés derrière ces questions linguistiques.

Après avoir partagé ce constat avec le metteur en scène Arnaud Pirault, ils ont décidé de créer, avec son aide, un spectacle. Durant plus d’un an, ils se sont replongés dans des ouvrages théoriques, ont recueilli des témoignages et rencontré des linguistes et des pédagogues. Ils ont alors été rejoints par l’artiste graphique Kevin Matagne qui réalise avec eux les accessoires, les projections et prend en charge la dimension esthétique du spectacle ainsi que par Clément Thirion et Dominique Bréda qui participent à la mise en scène. L'orthographe est un gros travail d'équipe. Et tout est consigné sur le site https://www.laconvivialite.com

Pour terminer je vous donne les suggestions du logiciel de reconnaissance vocale de mon ordinateur, auquel j'ai dicté quelques articles, espérant gagner du temps :

Les deux comédiens hauteur du spectacle (auteurs du spectacle)
L’orthographe serait la divinité des sceaux (des sots)
Ali c’est le merde lion (Alice et le maire de Lyon)
La convivialité, la faute de l'orthographe
De et avec Jérôme Piron et Arnaud Hoedt
Mise en scène : Arnaud Pirault, Clément Thirion, Dominique Bréda
Au Théâtre Tristant Bernard
Du 14 octobre au 30 décembre 2019
Les dimanche à 16 heures
Les lundis à 20 heures
Puis en (très longue) tournée avec deux dates en banlieue sud (92):
Le 31 janvier 2020 au Festival d'humour du CAEL de Bourg-la-Reine

Les 7 et 8 mars 2020 au Théâtre Firmin Gémier - La Piscine de Chatenay-Malabry

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