Tito est auteur de Bande dessinées dont les séries Jaunes, Soledad et Tendre Banlieue ont été lues par des centaines de milliers d’adolescents qui, à leur tour, les transmettent à leurs enfants sans perdre le goût de leurs premières lectures et qui continuent à guetter la sortie des prochains albums.
Il se trouve que je rencontre souvent Tito avec qui je partage un vif intérêt pour le cinéma. C’est donc naturellement que j’ai eu envie de restituer son parcours, exemplaire à bien des égards. Ceux qui voudraient en savoir davantage sur lui ou l’entendre s’exprimer de vive voix pourront utilement consulter les références d’interviews que je donne en fin d’article.
Son nom de plume est le diminutif par lequel ses parents et ses amis l’ont toujours appelé. A l’état-civil c’est Tiburcio, qui est le prénom d’un grand-père qui lui inspira la Mémoire blessée, puis l'Homme fantôme, deux albums consacrés à la guerre civile d’Espagne, publiés par Glénat puis par Casterman dans la série Soledad. Jusqu’à l’âge de 6 ans Tito a vécu dans un petit village castillan. Dans les années 60, son père, céramiste, prend de plein fouet l’arrivée du plastique, plus solide, moins cher. La crise économique les pousse à venir en France, où des amis leur promettent de trouver du travail. Tito arrive en région parisienne en ne sachant pas un mot de notre langue.
Ses parents, inquiets à la veille de la rentrée scolaire, estiment bien faire en l’inscrivant à la bibliothèque municipale, pensant lui donner un coup de pouce pour intégrer la culture française, et sans imaginer un instant qu’aucun livre ne peut lui être accessible … aucun sauf ceux qui regorgent d’images permettant par là même de décoder le message. Tito est ainsi l’exemple vivant prouvant que la BD n’empêche pas de lire. C’est même la preuve du contraire et il se souvient de ce temps là comme d’un miracle.
Il est probable que ce type d’ouvrage lui plaisait d’autant plus qu’il avait un gout prononcé pour le dessin. Cette inclinaison s’enracine dans la culture familiale puisque son père était céramiste. Quand on a comme lui deux grandes passions, l’écriture et le dessin, la bande dessinée représente la voie idéale pour les satisfaire ensemble. Il en a la conviction dès l’âge de 9 ans mais ses parents lui intiment alors l’ordre de finir ses études. On verra plus tard, lui promettent-ils. Tito obtempère avec sérénité. Il sait qu’il en fera son métier.
Il passe son temps libre à copier ce qui lui passe entre les mains. C’est Jo, Zette et Jocko la série de bande dessinée réalisée par Hergé, créée en 1936 pour le journal Cœurs Vaillants. Et dont le cinquième et dernier tome, la Vallée des cobras, est un souvenir qui reste marquant. C’est ensuite Astérix. Son attirance pour le dessin réaliste est nette. Tito pose sur le monde un regard de reporter et sa démarche tient du journalisme. Encore aujourd’hui il aura le réflexe d’aller se renseigner à la DDASS avant d’entreprendre un album où il serait question d’adoption.
Arrivent les années lycée et le moment de choisir une orientation. Ce sera section arts graphiques, évidemment. Il réussit plusieurs concours, choisit Sèvres pour sa pluridisciplinarité. Apprendre la tapisserie comme la photographie en passant par l’histoire de l’art, cela forme l’esprit. Et comme il n’y avait pas d’ordinateur à cette époque il a appris à faire des polices de caractère au compas, ce qui en fin de compte entraine à être soigneux.
Ce lycée était alors un lieu extrêmement formateur. Tous les élèves partageaient la même passion, ce qui provoquait une énorme stimulation. Les professeurs eux-mêmes poussaient les jeunes à concrétiser leurs projets. On pouvait obtenir un prêt financier auprès de la coop du lycée. C’est ainsi que j’ai pu initier un journal avec d’autres passionnés de bandes dessinées, le fanzine Cyclone, diffusée à un petit nombre d'exemplaires auprès d’un public averti et qui serait comparable à ce que sont les blogs aujourd’hui.Cyclone est pour lui l’occasion de travailler avec Philippe Vuillemin, qui étudiait dans un autre lycée et qui deviendra lui aussi un bédéiste reconnu, notamment pour sa collaboration avec l’Echo des Savanes. Il se liera également avec un élève de Louis Le Grand, Jacques de Loustal, qui fait lui aussi ses débuts dans le fanzine. Ils publieront en collaboration leur premier album, sans titre, en 1977. Ce sera aussi une carte de visite pour solliciter un entretien auprès de Enki Bilal.
Après deux ans en tant qu’élève, Tito sorti du lycée, poursuit néanmoins l’expérience de Cyclone où il assume la fonction de rédacteur en chef et de maquettiste. Parallèlement il entre dans une agence de publicité dirigée par un ancien de Sèvres. Il travaille alors à la création publicitaire pour la presse, fait de la sérigraphie, conçoit des stands et de l’habillage … sans abandonner son rêve d’enfant qu’il a juste mis entre parenthèses.
Dans un festival où il présentait Cyclone, il rencontre Jan Bucquoy lequel lui confie un scénario qu’il lui propose d’illustrer. Nous sommes en 1980. C’est le déclic : la parenthèse se déchire. Tito donne sa démission pour se consacrer totalement à la Bande dessinée. Jaunes sera sa première série d’albums. Il est très vite repéré par Casterman qui publiera Soledad dans A suivre, qui fut un magazine mensuel belge du groupe. C’était une très belle revue qui, pendant ses 19 ans d'existence, inventa la nouvelle en bande dessinée en conjuguant le fantastique, la dérision et la recherche graphique. De très nombreux illustrateurs y ont travaillé comme Hugo Pratt qui y publia Corto Maltese ou Jacque Tardi avec Adèle Blanc-Sec.
Le magazine de jeunesse Okapi, après avoir remarqué sa façon de dessiner les adolescents dans un des épisodes de Soledad publiés dans (À suivre), lui demande de créer une histoire mettant en scène des jeunes de cette tranche d'âge. C’est ainsi que naît la série Tendre Banlieue en 1982. Le premier épisode intitulé « Virginie » sortira en album, l’année suivante chez Bayard.
Première publication offrant un miroir aux ados, c’est un succès. Tito dessine de front dans les trois séries jusqu’à ce qu’il faille choisir au bout de quelques années. C’est désormais à Tendre banlieue qu’il consacrera l’essentiel de son temps. La prépublication sur Okapi n’a jamais été un handicap. Le découpage en 11 épisodes de 4 pages contraint à la vigilance. Il faut que le lecteur ait envie de poursuivre d’un numéro à l’autre sans avoir le sentiment des coupes. C’est un sacré dopant pour l’histoire.
Ceux qui ont collé l’image de la Haine à la banlieue ne se retrouvent pas dans ces albums dont le titre relève davantage de l’oxymore que d’une réalité. Tant pis pour eux s’ils croient à ce que Tito qualifie de ramassis de clichés et qui lui portent sur les nerfs. Tito vit en banlieue et s‘y sent à l’aise. Il a d’abord habité à Issy-Les-Moulineaux puis dans différentes communes des Hauts-de-Seine. Nous sommes bien d’accord tous les deux pour estimer que si beaucoup de choses se « passent » à Paris, la banlieue est loin d’être en reste au plan culturel. Les lecteurs du blog en ont souvent la preuve.
Il n’est pas question de nier la dangerosité de certaines cités mais il ne faut pas universaliser les problèmes. On s’y promène davantage en paix que sur le qui-vive. Tito est fréquemment interpellé par l’un ou l’autre de ses lecteurs avec qui il discute comme il le ferait avec un grand frère ou un ami. Cela reste plus facile d’être proche de son lectorat quand on signe Tito qu’en ayant gardé Tiburcio de la Llave, malgré la beauté du patronyme. Et Tito a su rester à l’écoute des jeunes qui savent qu’ils peuvent lui parler en confiance. Il se rend aussi beaucoup dans les écoles et les lycées à l’invitation des enseignants qui font lire ses albums à leurs élèves.
Tous les thèmes sont abordés, et sans naïveté, avec malgré tout des interdits qui correspondent à des responsabilités qu’il se fixe considérant un public d’enfants de 9 à 16 ans. Il traite du divorce, du chômage des parents, de l’illettrisme, du handicap, de l’alcoolisme ou de la drogue, en proportions raisonnables, voire même de la discrimination raciale et de la violence urbaine, mais ce sont surtout les difficultés de communication qui constituent le fil rouge de la série. Si bien qu’on peut se retrouver dans Tendre Banlieue même si on habite dans le Nord de la France, au Québec ou à Djibouti parce que les BD de Tito racontent ce que vivent les gens. Certes les territoires ont beaucoup changé mais le décor est secondaire. On vit les mêmes histoires partout.
Pour ce qui est des ambiances, il dessine « naturellement » le cadre quotidien où il vit. Il prend beaucoup de photos. Son carnet de croquis reste discret, pour ne pas risquer d’attirer trop l’attention. Le territoire de Chatenay-Malabry (92) est très présent dans ses planches. Il offre toutes les tendances de la banlieue, la vieille ville, l’habitat pavillonnaire, la cité HLM, et cette cité-jardin exceptionnelle de la Butte Rouge. On s’y perd très vite ; les angles de vue sont étonnants ; les paysages y sont très verts ; la rondeur des balcons est très particulière, ce qui fait dire à Tito que des immeubles comme çà n‘existent que là. Même si, pour ma part, j'estime qu'il y a un je ne sais quoi new-yorkais qui affleure de plus en plus dans les abords de l'avenue de la Division Leclerc où j'ai pris cette photo.
Cependant Tito ne cherche pas à produire un travail de documentaliste. Il s’accorde fantaisie et liberté de manière à ce que les lieux soient familiers au lecteur sans être systématiquement reconnaissable. Et si le bâtiment représenté dans le Bahut ressemble comme deux gouttes d’eau au collège Brossolette, situé au 57 de la rue Jean Longuet, Tito se défend d’avoir cherché à faire figurer l’adresse exacte. Il se trouve qu’il aime le numéro 57, pour des raisons personnelles.
On sait qu’un auteur met toujours beaucoup de lui dans ses œuvres. S’il y a une part d’autobiographie dans ses albums, ce n’est donc pas dans la série Tendre Banlieue qu’on la débusquera, hormis la question du décor et d’un caractère relativement intime de l’écriture. Le lien avec son pays d’origine a toujours été entretenu et il continue bien sur à en parler la langue. S'il possède un seul passeport il se sent autant français qu'espagnol. C’est dans Soledad qu’il se livre le plus avec encore une fois la volonté de tordre le coup aux clichés, en l’occurrence cette fois à l’idée que l’Espagne c’est flamenco et castagnettes.
C’est aussi un vibrant hommage à sa famille, surtout à ses grands-parents qui ont vécu le régime franquiste, la guerre civile, dite Guerre d’Espagne. Avec quand même un peu de distance puisque sa connaissance des évènements provient de témoignages recueillis après la mort de son grand-père, céramiste comme son père, mais aussi juge de paix, et contraint de rendre les jugements que les phalangistes lui dictaient. L’homme refusait les sentences de mort. A la troisième opposition il a du entrer dans la clandestinité.
Pour le cadre, Tito s’est inspiré de son village castillan, qui à ses yeux se trouve évidemment être probablement un des plus beaux de la planète où chaque été il revenait avec ses parents, après un voyage en voiture de plusieurs jours. Cela donne de la valeur à l’attente et à l’émotion qu’on peut ressentir dans les derniers kilomètres.
Sa méthode de travail est toujours la même : écrire d’abord le scénario, le construire sans faille, dessiner ensuite. Chaque image est alors découpée. Car il faut tenir sur 46 pages, pas 42 ni 37. La musique l’accompagne tout le temps lorsqu’il dessine, avec des choix qui alternent selon les périodes. Il peut aussi bien se satisfaire de la radio qu’écouter plusieurs interprétations différentes d’un même morceau de Mozart, dont on ne percevrait pas, a priori les différences. Il est ouvert à tout même à la télévision … Il lui arrive de rester une douzaine d’heures à écrire non stop et en ayant commencé la journée parfois à 5 heures (du matin). On comprend qu’il prouve soudainement le besoin de s’aérer.
Tito adore marcher. Il s’affirme heureux de vivre dans un univers de verdure et de parcs. Les salles dites obscures lui offrent une récréation en milieu d’après midi, pour se vider la tête, dit-il, mais je crois qu’il la remplit aussitôt de nouvelles images.
Ses gouts cinématographiques sont très larges. Je me souviens qu’il avait choisi Le dernier jour du reste de ta vie de Remi Bezançon quand Marianne Piquet lui avait proposé de partager un coup de cœur avec le public du festival Paysages de cinéastes. Il est un fidèle de cette manifestation et il a beaucoup aimé cette année Les Acacias de Pablo Giorgelli. Il a été bouleversé par Les Géants de Bouli Lanners.
Nous avions eu des échanges passionnés aussi à propos de Pina 3D, de Minuit à Paris ou de The Tree of Life, trois films sur lesquels nous avions le même point de vue.
Il participe régulièrement à des manifestations autour du livre. Il s'était rendu au Livre sur la place à Nancy il y a deux ans. Il était présent au Salon du livre de Chatenay en mai dernier, aux cotés de Romain Renard, venu présenter un Hiver de glace dont la version cinématographique, Winter's Bone était programmé simultanément au Rex.
En publiant en 2010 les Carnets de Laura Tito offrait à son lectorat le 20ème album de la série. Si ce ne sont pas les thèmes qui méritent encore d'être traités il n'empêche qu'une page semble s'être tournée et il se pourrait qu'il nous surprenne tous avec un nouveau projet ...
Pour en savoir plus :
Le blog de Tito
Tito à Nancy, pour Lorraine de coeur, le 18 septembre 2010
Entretien avec Tito sur la BD, écrit par Vincent Delaury pour Agora Vox le 20 décembre 2010
Le bédéiste Tito dans En Sol majeur sur RFI par Yasmine Chouaki - Mardi 6 septembre 2011
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