Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 9 mars 2012

Le meilleur des hommes de Pauline Bureau au Théâtre de la Tempête

Adaptée du livre de Tristan Garcia, La Meilleure Part des hommes est le roman d’une époque qui appartient « déjà » à l’histoire, avec un H majuscule. La pièce traite de la fidélité comme de la trahison, en amitié, en amour, dans le monde du travail comme dans celui de la politique.

L’auteur est né en 1981, l’année de l’apparition du Sida et de l’élection de François Mitterrand. C’est en 2008 qu’il a publié son livre. Les faits sont réels mais forcément regardés avec le recul historique et avec la distance de celui qui ne les a pas vécus, du moins les plus anciens.

Annoncé comme une fable, le livre, a été décrypté à sa sortie comme un possible texte à clés inspiré de la vie de Didier Lestrade, fondateur de Act Up (phonétiquement proche de l’association Stand up citée dans la pièce), et de celle de Guillaume Dustan, magistrat le jour, écrivain et fêtard la nuit, prônant les rapports sexuels son protégés.

On nota aussi des ressemblances avec Alain Finkielkraut, celui-là même qui écrira plus tard que toute déclaration d’amour est une déclaration d’éternité, ce qui est très proche des paroles du personnage de Jean-Michel : aimer c’est s’engager à aimer même quand on n’aime plus tout à fait, par respect pour la promesse d’avoir voulu aimer toujours.

Pauline Bureau et sa sœur Benoite ont ajouté leur propre prisme en radiographiant leur génération et celle qui précède de manière à la fois personnelle et contemporaine en se posant une question essentielle : quelle est la place que l’on a été celle qu’on nous donne ?

Le spectacle a une tonalité très actuelle qui a surpris la salle le soir de la première. Le plateau de la salle Jean-Marie Serreau est noyé dans une brume d’où émerge une forêt de micros sur pieds. Le décor est minimaliste : une table où deux chaises se font face. Sol, murs, fond de scène, tout est anthracite.

Le brouillard se dissipe, laissant deviner la mezzanine abritant le mini-studio de musique où Vincent Hulot interprétera la musique en direct, à la guitare ou à la batterie. Ce n’est pas nouveau comme dispositif. Je l’avais apprécié dans la mise en scène d’Invasion ! par Michel Didym (reprise jusqu’au 16 mars au Théâtre 71 de Malakoff) mais cela fonctionne bien.

Quelques traits de pinceau de lumière rose vif, la couleur de l’enfance pour envelopper les 8 comédiens qui chanteront en direct, plantés chacun devant leur micro, Like a Virgin … Madonna avait fait scandale en 1985. L’interprétation est sobre, annonçant une sorte d’arrêt sur image avant de revenir quelques années en arrière.

Suivent les présentations des quatre personnages principaux avant que l’on n’assiste à leurs amours, leurs désamours, et leurs confrontations. C’est Elisabeth Levallois, alias Val (Marie Nicolle) qui commence. Parisienne de 33 ans, journaliste de gauche mais âme d’infirmière, mère maniaco-dépressive et maitresse de son ancien prof.

Son ami, William Miller, alias Will (Thibaut Corrion) est né le 27 octobre 1970 sous le signe du Scorpion. Il est fan de la Guerre des Étoiles.

L’amant (Zbigniew Horoks), Jean-Michel Leibowitz, prononcer Laïbo, juif Aubervilliers, excellent élève, adorant Flaubert, à l’époque, précise-t-il, aurait voulu être reporter. Il collaborera à Libération.

Et puis, Dominique Rossi, alias Doumi (Régis Laroche) le collègue corse, de mère italienne, grand-père médecin réputé, reçu en 1982 dans une grande école, futur fondateur de Stand Up.

Il faudrait citer les autres comédiens, excellents. Par exemple Nicolas Chupin (qui jouait d’ailleurs à la création d’Invasion !) inénarrable Jean-Philippe Bardotti, en conseiller de l’ANPE avant que ce ne soit Pôle Emploi.

Les dialogues font mouche. Leur force est d’évoquer à la fois le sujet et son contexte. Par exemple (en 1981 et sachant que c’est un homme qui parle) t’embrassais un mec tu faisais la révolution d’octobre !

On peut situer aujourd’hui l’apparition du Sida aux années 80 mais la cause n’était alors pas identifiée. On s’étonne de 5 cas de pneumocystoses le 5 juin 1981 alors que la probabilité pour un médecin de rencontrer une telle maladie était proche de zéro. Ce n’est que deux ans plus tard, le 3 février 1983, que le professeur Montagné découvrira le virus responsable.

On rentrait dans une putain de période. Et le comédien d’égrener les prénoms des premiers décès.
Les chiffres sont redonnés. Le sida faisait 500 morts aux USA quand il n’y avait « encore » que 50 cas en France. C'est un fléau qui a fait plus de 28 millions de morts dans le monde.

Après les 2000 morts recensés en 1999 on a connu un résultat encourageant avec 600 morts l’année suivante (grâce aux progrès des nouveaux traitements) mais hélas la courbe remonte constamment jusqu'à 1700 en 2011, laissant présager qu’elle pourrait dépasser bientôt le cap des années noires.

Il faut savoir que 150 000 personnes vivent avec le VIH en France en 2011 et que plus de 50 000 personnes ignorent leur séropositivité … Cette affection n’est pas devenue un mirage, loin de là. La contamination progresse toujours, notamment chez les hommes de plus de 50 ans qui ont recours au Viagra et qui ne songent pas à employer des préservatifs.

L’année de la chute du mur de Berlin, 1989, marque la naissance d’Act up (Stand up dans la pièce) une association de malades pour les malades, ayant pour objectif de lutter aussi contre les idées reçues. Les images d’archives soutiennent l’attention en ponctuant les scènes majeures. Pauline Bureau fait preuve d’une jolie imagination dans sa mise en scène. Le moment du départ en week-end dans une voiture imaginaire, avec des claquements de portière qui sont eux bien réels, alors que le paysage défile comme si on regardait dans le rétroviseur est un joli effet.

C’est ensuite la découverte de la musique house européenne, dont Didier Lestrade a effectivement contribué largement au développement alors que Claude Barzotti continue de chanter le titre qui l’a rendu célèbre à partir de 1983, Je suis rital.

L’attentat à la station Saint-Michel du RER B, le 25 juillet 1995, coïncide avec le début des trithérapies. Mais la projection des images d’archives ou l’interprétation des chansons d’époque ne respectent pas systématiquement la chronologie.

On se souvient tous de la voix haut perchée de haut de contre de Jimmy Summerville dans Small Town Boy (Le Garçon De La Petite Ville) et des paroles du refrain Run away, turn away, run away, turn away, run away (Sauve toi, détourne toi ). La chanson a été créée en 1984 mais elle arrive plus tard dans le spectacle et la sobriété de Marie Nicolle s’accompagnant à la guitare est purement bouleversante.

On revoit la sortie de Jospin après le face à face le Pen/Chirac pour les présidentielles de 2002 ; le coup de tête de Zidane (2006). Est-ce le temps qui passe ou nous qui passons … ?

La réponse nous est donnée par la voix de Diane tell chantant Si j’étais un homme (en 1980) :
Je t'offrirais de beaux bijoux,
Des fleurs pour ton appartement,
Des parfums à vous rendre fou
Et, juste à côté de Milan,
Dans une ville qu'on appelle Bergame,
Je te ferais construire une villa,
Mais je suis femme et, quand on est femme,
On n'achète pas ces choses-là.
Il faut dire que les temps ont changé.
De nos jours, c'est chacun pour soi.
La Meilleure Part des hommes d'après le roman de Tristan Garcia aux éditions Gallimard (Prix de Flore 2008)
adaptation et mise en scène Pauline Bureau
au Théâtre de la Tempête - salle Jean-Marie Serreau
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h jusqu’au 7 avril 2012
Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Tél : 01 43 28 36 36
Contact: 01 43 28 36 36 billetterie@la-tempete.fr
Rencontre-débat avec l'équipe du spectacle le 14 mars et avec Tristan Garcia le 22 mars

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)