Une petite blondinette attentive me met gentiment en garde : attention de ne pas avoir peur, çà commence par un terrible orage. Mais après, çà va, ajoute-t-elle, pour me rassurer sans doute.
Constatant que je m’intéresse au décor elle me fait part de son avis personnel. Ce qui est drôle c’est que mon père dit que tous les livres sont en ordre mais en fait pas du tout. Le plateau est en effet jonché d’ouvrages reliés qui semblent avoir été jetés là dans un moment de confusion. Pléthore de chandeliers, j’en ai compté dix-sept, diffusent des lumières vacillantes.
J’avais beau avoir été prévenue, je sursaute quand même quand l’orage claque. Les portes aussi. Dommage que les imperméables des deux comédiens soient secs … quoique cela annonce le mystère. Tous deux ont des allures de Sherlock flairant une piste.
Lequel est Edgar Poe ? L’un, l’autre, les deux ? L’écrivain compte double, au minimum. On dit de lui qu’il est l’équivalent de Baudelaire, de Jules Verne et de Dostoïevski.
C’est l’inventeur du roman policier, du polar si vous préférez. Et il semblerait qu’il ait vécu sa vie comme si elle était une fiction tant elle ressemble à son œuvre, nourries toutes deux de mystère, de non-dits, d’énigmes, de fausse pistes et de secrets qui ne veulent pas être dits …
Paul Golub a conçu l’adaptation et la mise en scène avec de multiples effets de miroirs entre la vie et l’œuvre de l’écrivain. Il faut dire que les œuvres s’y prêtent. Il se dégage du spectacle comme une impression de confidence.
Est-ce qu’on peut distinguer la vérité de la vie d’un homme, surtout mort ? Le spectacle aurait-il cette ambition de faire la lumière sur le mystère Poe si tant est qu’il soit possible de distinguer le vrai du faux de sa personnalité quasi schizophrénique ?
Selon les documents auxquels on fait référence même sa date de naissance varie. Mais ce qui est juste c’est d’apprendre qu’il a toujours vécu dans la pénurie, aussi bien financièrement qu’affectivement.
Marc Jeancourt et Rainer Sievert fouillent l’œuvre avec énergie, malice, truculence et ironie pour rendre compte de ses différentes facettes. Ils se défient l’un l’autre pour interpréter William Wilson avec le plus de réalisme possible, alternant les solos avec une voix de chœur. Edgar Poe a construit ce conte en s’inspirant de sa scolarité en Angleterre pour explorer clairement le thème du double, qui hante ici le narrateur et le conduit à la folie. Une histoire dont Jean-Luc Godard s’était emparée pour réaliser Pierrot le Fou.
Leu jeu est très expressif pour restituer l’angoisse, la terreur, la honte, la colère, et la fureur jusqu’à la folie.
Une chanson de Bob Dylan accompagne le changement de décor. Les deux comédiens se maquillent à vue. Nous sommes maintenant en Virginie, dans la chambre du jeune écrivain, pour illustrer le sarcasme avec lequel son père adoptif le traite. Il espère toujours une aide, doit remercier pour une petite contribution et sombre dans la détresse.
Le célèbre air de musique de cirque, Bidone, du compositeur italien Nino Rota, colore l’atmosphère du conte Lionnerie. C’est ma scène préférée, me murmure la petite voix qui est assise à ma droite. Elle a raison. Le travail de marionnettes est savoureux et les deux comédiens ne ménagent pas les effets comiques.
On revient à un ton dramatique avec le Corbeau qui valut à Edgar Poe la gloire -mais peu d’argent-. Le poème raconte avec une précision mathématique l'histoire d'une mystérieuse visite que reçoit le narrateur, qui se lamente sur la mort de son amour, Lenore. Il interroge l’oiseau perché en haut de sa porte, sans pouvoir obtenir d’autres réponses que « Jamais plus », répété inlassablement, à la folie, de manière obsessionnelle.
Un an avant de mourir il a une intuition étonnante en anticipant ce qu’on appellera plus tard le Big Bang. Il écrit Eureka, qu’il dédie à ceux qui sentent plutôt qu’à ceux qui pensent.
Baudelaire, qui fut son traducteur, écrivit que sa vie fut un suicide anticipé. Edgar Poe meurt « jeune », à 40 ans. Peu d’écrivains ont su rendre comme lui les sentiments de peur, de fatalité et de culpabilité. Avec une énergie insensée, établissant un rapport entre la création artistique et le divin. Souvenons-nous que tout est vie et trinquons !
Ma petite voisine ne reste pas inactive après saluts et rappels. Elle se sent la responsabilité de ranger les lettres que les comédiens ont lues et qu’ils ont jetées à terre. Elle empile les enveloppes en me faisant un clin d’œil. Celles-là sont toutes vides ! me signale-t-elle.
Il est bon de rappeler qu’on est au théâtre … des fois qu’on y aurait cru …
Mystère Poe d’après la vie et l’œuvre d’Edgar Allan Poe, adaptation et mise en scène Paul Golub, avec Marc Jeancourt et Rainer Sievert
Après avoir été joué de nombreuses fois en appartement le spectacle s’est posé au Théâtre de l’Atalante, 10, place Charles Dullin - 75018 Paris, Tel 01 42 23 17 29, latalante.rp@gmail.com
C’est là que je suis allée le voir
Constatant que je m’intéresse au décor elle me fait part de son avis personnel. Ce qui est drôle c’est que mon père dit que tous les livres sont en ordre mais en fait pas du tout. Le plateau est en effet jonché d’ouvrages reliés qui semblent avoir été jetés là dans un moment de confusion. Pléthore de chandeliers, j’en ai compté dix-sept, diffusent des lumières vacillantes.
J’avais beau avoir été prévenue, je sursaute quand même quand l’orage claque. Les portes aussi. Dommage que les imperméables des deux comédiens soient secs … quoique cela annonce le mystère. Tous deux ont des allures de Sherlock flairant une piste.
Lequel est Edgar Poe ? L’un, l’autre, les deux ? L’écrivain compte double, au minimum. On dit de lui qu’il est l’équivalent de Baudelaire, de Jules Verne et de Dostoïevski.
C’est l’inventeur du roman policier, du polar si vous préférez. Et il semblerait qu’il ait vécu sa vie comme si elle était une fiction tant elle ressemble à son œuvre, nourries toutes deux de mystère, de non-dits, d’énigmes, de fausse pistes et de secrets qui ne veulent pas être dits …
Paul Golub a conçu l’adaptation et la mise en scène avec de multiples effets de miroirs entre la vie et l’œuvre de l’écrivain. Il faut dire que les œuvres s’y prêtent. Il se dégage du spectacle comme une impression de confidence.
Est-ce qu’on peut distinguer la vérité de la vie d’un homme, surtout mort ? Le spectacle aurait-il cette ambition de faire la lumière sur le mystère Poe si tant est qu’il soit possible de distinguer le vrai du faux de sa personnalité quasi schizophrénique ?
Selon les documents auxquels on fait référence même sa date de naissance varie. Mais ce qui est juste c’est d’apprendre qu’il a toujours vécu dans la pénurie, aussi bien financièrement qu’affectivement.
Marc Jeancourt et Rainer Sievert fouillent l’œuvre avec énergie, malice, truculence et ironie pour rendre compte de ses différentes facettes. Ils se défient l’un l’autre pour interpréter William Wilson avec le plus de réalisme possible, alternant les solos avec une voix de chœur. Edgar Poe a construit ce conte en s’inspirant de sa scolarité en Angleterre pour explorer clairement le thème du double, qui hante ici le narrateur et le conduit à la folie. Une histoire dont Jean-Luc Godard s’était emparée pour réaliser Pierrot le Fou.
Leu jeu est très expressif pour restituer l’angoisse, la terreur, la honte, la colère, et la fureur jusqu’à la folie.
Une chanson de Bob Dylan accompagne le changement de décor. Les deux comédiens se maquillent à vue. Nous sommes maintenant en Virginie, dans la chambre du jeune écrivain, pour illustrer le sarcasme avec lequel son père adoptif le traite. Il espère toujours une aide, doit remercier pour une petite contribution et sombre dans la détresse.
Le célèbre air de musique de cirque, Bidone, du compositeur italien Nino Rota, colore l’atmosphère du conte Lionnerie. C’est ma scène préférée, me murmure la petite voix qui est assise à ma droite. Elle a raison. Le travail de marionnettes est savoureux et les deux comédiens ne ménagent pas les effets comiques.
On revient à un ton dramatique avec le Corbeau qui valut à Edgar Poe la gloire -mais peu d’argent-. Le poème raconte avec une précision mathématique l'histoire d'une mystérieuse visite que reçoit le narrateur, qui se lamente sur la mort de son amour, Lenore. Il interroge l’oiseau perché en haut de sa porte, sans pouvoir obtenir d’autres réponses que « Jamais plus », répété inlassablement, à la folie, de manière obsessionnelle.
Un an avant de mourir il a une intuition étonnante en anticipant ce qu’on appellera plus tard le Big Bang. Il écrit Eureka, qu’il dédie à ceux qui sentent plutôt qu’à ceux qui pensent.
Baudelaire, qui fut son traducteur, écrivit que sa vie fut un suicide anticipé. Edgar Poe meurt « jeune », à 40 ans. Peu d’écrivains ont su rendre comme lui les sentiments de peur, de fatalité et de culpabilité. Avec une énergie insensée, établissant un rapport entre la création artistique et le divin. Souvenons-nous que tout est vie et trinquons !
Ma petite voisine ne reste pas inactive après saluts et rappels. Elle se sent la responsabilité de ranger les lettres que les comédiens ont lues et qu’ils ont jetées à terre. Elle empile les enveloppes en me faisant un clin d’œil. Celles-là sont toutes vides ! me signale-t-elle.
Il est bon de rappeler qu’on est au théâtre … des fois qu’on y aurait cru …
Mystère Poe d’après la vie et l’œuvre d’Edgar Allan Poe, adaptation et mise en scène Paul Golub, avec Marc Jeancourt et Rainer Sievert
Après avoir été joué de nombreuses fois en appartement le spectacle s’est posé au Théâtre de l’Atalante, 10, place Charles Dullin - 75018 Paris, Tel 01 42 23 17 29, latalante.rp@gmail.com
C’est là que je suis allée le voir
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