La première aura lieu ce soir au Théâtre du Soleil, dans le cadre du festival Premiers Pas et je me sens privilégiée d'avoir pu assister à la générale avant-hier.
Il faisait un soleil magnifique dans le si beau parc de la Cartoucherie. La température était glaciale à l'intérieur des bâtiments (vous aurez du chauffage ce soir) mais quelle satisfaction d'être là, à découvrir ce travail magnifique entrepris par une jeune troupe avec énergie et talent.
Camille Marois, qui cosigne la mise en scène avec Laurent Franchi, m'avait donné rendez-vous devant la porte du Théâtre. Il porte toujours la marque des Naufragés du Fol Espoir qui est la dernière création collective mi-écrite par Hélène Cixous, sur une proposition d’Ariane Mnouchkine, librement inspirée d’un mystérieux roman posthume de Jules Verne. La première eut lieu le 3 février 2010 à la Cartoucherie et le spectacle est maintenant en tournée.
Il y avait quelque chose d'excitant à être admis dans les coulisses, me rappelant des souvenirs anciens. Une émotion particulière aussi à se trouver là, dans un décor dont l'intensité reste vivante même s'il n'est plus à proprement parler un décor de spectacle.
Sur ce point le Collectif NOSE (en référence à une boussole indiquant Nord-Est -Sud Est) ne joue pas dans le grandiose. Les costumes, conçus par Camille sont sobres, ce qui n'exclue pas l'efficacité. La transparence d'un voile comme la couleur rouge d'une paire d'escarpins en disent plus qu'un long discours.
Koffi Kwahulé a écrit la pièce en 2008 en réponse à une commande du Théâtre de la Digue. Il s'est inspiré de rencontres et d'improvisations avec un groupe de jeunes des Communes du Grand Rodez.
Le texte est superbement écrit, conjuguant lyrisme et réalisme sur un sujet scabreux, la vie dans les cités, dans un patchwork de formes et de thématiques. Pourtant rien n'est complaisant ni convenu. L'absence de didascalies autorise une grande liberté. La mise en scène est conçue dans le même respect et permet d'entendre le texte en fonction de sa propre histoire.
La Mélancolie des barbares a été créée en mars 2012 à Morsang-sur-Orge (91) avant d'être jouée deux mois plus tard au Théâtre des Bernardins, dans le 5ème arrondissement de Paris. Une des forces du Collectif est de questionner la compréhension des spectateurs. Des entretiens sont menés en amont et en aval des représentations et le matériau recueilli est donné à entendre au public du lieu suivant. Si bien qu'à la Cartoucherie on écoutera le ressenti recueilli aux Bernardins en particulier à propos des problématiques rencontrées au quotidien et de l'identification éventuelle à un personnage en particulier. des casques seront à disposition du public et il est donc recommandé d'arriver suffisamment en avance pour ne pas en perdre le bénéfice. D'ailleurs le théâtre ouvre 1 h avant les représentations.
Sans révéler l'entièreté des propos, on peux souligner que pour certains la religion en question dans la pièce est la religion catholique (d'ailleurs Baby Mo dit qu'elle va tous les dimanches à la messe) alors qu'il ne fait pas de doute dans d'autres quartiers où la religion musulmane a pris une importance capitale. Mais ce qui est dénoncé ici c'est l'instrumentalisation de la religion à des fins personnelles, machistes et égoïstes.
La scénographie est construite métaphoriquement autour des notions de tache et de souillure et autour de l'opposition individu/collectivité dans une laverie déréalisée. Les répliques ne sont pas distribuées mais quelques personnages principaux émergent néanmoins : Baby Mo (Mathilde Carreau) est en quelque sorte le trait d'union entre deux mondes, celui de Zac (Yacine Salhi) qui est le grand amour de sa vie mais qui n'a pas d'avenir à lui offrir, et celui du Komissari (qui reste en retrait) qu'elle a épousé dans l'espoir de s'élever socialement, quitte à perdre sa personnalité.
De Baby Mo on ne saura pas grand chose. Elle est toute entière engluée dans l'univers de Zac, tiraillée entre sa Mère (Nora Nagid) et sa soeur Lulu (Elsa Sanchez).
La mère a compris l'origine de l'argent qui inonde soudain les poches de son fils mais elle fermera les yeux, incapable d'avoir prise sur lui. Elle voudrait avoir la force de lui faire la morale mais elle est consciente de ses limites : ouvrir les yeux est un luxe que je ne peux plus me permettre. Il lui sera plus naturel et plus facile de formater sa fille. Lulu est elle aussi en quête de liberté mais elle ne parviendra pas davantage à s'extraire de la fatalité.
Le traitement des rapports entre les hommes et les femmes met en relief la domination masculine, qui s'exerce partout dans la cité comme dans le monde du travail. Les entretiens d'embauche sont d'une férocité accablante. Gautier Boxebeld et Méloëe Ballandras interprètent de redoutables recruteurs. Il y a bien un p'tit boulot quelque part dans cette cité ?
La violence est palpable dans les dialogues, soulignée par un travail choral et chorégraphique réunissant les acteurs en un groupe anonyme et qui par moments évoque des spectacles de Pina Bausch.
Au début de la pièce, Baby Mo pense qu'aimer, y'a que ça qui sauve. Les gens ne sont pas des objets. Ala fin elle interroge : qu'as-tu fait de moi, Zac ?
Les machines à laver recyclent le linge sale. Elles deviennent des prie-dieux, un piano, des poubelles...
On entend de subtiles inférences au cinéma, en l'occurrence à Scarface, qui est la figure mythique des cités et qui se regarde en boucle le soir. J'en ai vu d'autres à la pièce de Marguerite Duras, l'Amante anglaise, qui avait été donnée il y a trois ans au Théâtre de la Madeleine, avec un crime qui se termine en morceaux sous un viaduc. Quand la rubrique « faits divers » relate de tels crimes on les qualifie souvent d’actes gratuits, par raccourci, dans un aveu d’incompréhension ou par déni d’un sens profond. Personne ne saurait expliquer ces gestes. Mais l'honneur, lui, il faut le laver ...
On pense aussi bien sur au livre Tout, tout de suite, que Morgan Sportès a écrit en s'appuyant sur l'affaire du gang des barbares et que j'ai chroniqué en mars dernier.Raconte-moi ce rien qui ne s'est pas passé ...
Les rôles s'interchangent.
Oublions. Effaçons. C'est ce qu'il y a de mieux à faire. Il est question de haine et d'honneur. Les dialogues deviennent poème.
Le rêve de Zac serait de mourir après avoir été Scarface. Son ami Judikaël (Quentin Robertucci) ne le sauvera pas davantage que Baby Mo.
Zac implore le pardon pour n'avoir pas réussi à accomplir la loi alors que la mère sombre dans la folie.
Camille Marois, Laurent Franchi et les comédiens du Collectif NOSE peuvent être satisfaits : ils nous interrogent finement et avec intelligence sur le bien et le mal, sur le lien entre la misère, la violence et la barbarie, sur notre rapport à l'autorité et à la justice. On sort du spectacle en se disant que l'on regretterait d'être passé à côté sans le voir.
Pour sa 9ème édition, Premiers Pas retrouve donc les murs chaleureux du Théâtre du Soleil avec six spectacles ambitieux et populaires portés par une soixantaine d’artistes pleins de désir et d’entrain.
Des concerts et des stages viendront s’ajouter au programme théâtral pour le plus grand bonheur du public et des artistes. Comme toujours des repas « maison » et abordables seront proposés aux spectateurs qui pourront également profiter d’un système de forfait leur permettant de découvrir, s’ils le souhaitent, plusieurs spectacles.
La mélancolie des Barbares sera jouée jusqu'au 9 décembre, mais à des horaires différents selon les jours : le 2 novembre à 18h, le 3 novembre à 20h, le 4 novembre à 18h, le 5 novembre à 20h ainsi que le 16 novembre à 21h, le samedi 17 novembre à 17h, le samedi 8 décembre à 17h, et le dimanche 9 décembre à 14h. Le théâtre ouvre 1 heure avant les représentations, ce qui vous permettra d'entendre les entretiens auxquels j'ai fait allusion.
Cartoucherie - Théâtre du Soleil, route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Métro : Château de Vincennes puis navette
Location pour pré-reserver les places au 01 43 74 24 08 ( du lundi au samedi de 11h à 18h).Le texte de la Mélancolie des barbares de Koffi Kwahulé a été publié aux Éditions Lansman.
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