En tout premier lieu, pour ceux qui ne suivent pas les pérégrinations des théâtres parisiens il faut préciser que le Tarmac est la Scène internationale francophone et qu'il est installé à Paris depuis un peu plus d'un an 159 avenue Gambetta dans les anciens locaux du Théâtre de l'Est parisien, qui pfuitt s'est évaporé (mais une partie de l'équipe est restée sur place). Autrefois c'étaient les avions qui voyageaient. Maintenant ce sont les théâtres, et certains se perdent en chemin.
Si j'insiste c'est parce que la signalétique urbaine n'a toujours pas mis ses pancartes à l'heure, que ce soit à la sortie du métro Saint-Fargeau comme dans le Parc de la Villette où il se trouvait auparavant. L'équipe doit en avoir pleine conscience à moins que ce ne soit par humour que la pancarte "c'est ici" est accrochée au fronton du théâtre. Ce nouvel endroit lui permet de disposer de deux salles et de pouvoir créer d'autres formes que le "simple" one man show.
Son fief précédent est désormais investi par le Hall de la chanson, dont la visibilité en fin de journée et en hiver est quasi nulle puisque les lettres rouges du Tarmac étincellent toujours à la Villette, non loin d'un Théâtre du même nom qui lui se trouve au bord du drame, tandis que les rames du futur tramway T3 tournent à vide inlassablement. Il semble que de tous temps il faille laisser du temps au temps pour que les choses entrent ou rentrent dans l'orde. Ou s'évanouissent définitivement.
Je m'éloigne du sujet mais c'est pour mieux y revenir. L'Affaire Furcy est terrible parce qu'elle relate un combat humain qui s'inscrit dans une longue lutte. On le sait d'emblée, à la lecture de la présentation qui nous en est faite : Je me nomme Furcy. Je suis né libre dans la maison Routier, fils de Madeleine, Indienne libre, alors au service de cette famille. Je suis retenu à titre d’esclave chez Monsieur Lory, gendre de Madame Routier. Je réclame ma liberté : voici mes papiers.
Nous sommes en 1817 à Saint-Denis de La Réunion alors île Bourbon et l’homme qui prononce ces mots tient dans sa main la Déclaration des Droits de l’Homme. Un esclave qui réclame ses droits. Du jamais vu. De l’inédit. Pourtant l’esclave Furcy ose revendiquer ses droits, juste ses droits. Il devra assigner son maître en justice pour obtenir sa liberté. Il sera aidé par un procureur général mais les esclavagistes sont là, puissants, influents. Le combat durera vingt-sept ans… Et le Tarmac contribue à abolir les frontières en clamant haut et fort la richesse de nos différences comme le souligne sa directrice, Valérie Baran.
Mohammed Aïssaoui a mené l’enquête et révélé cette affaire au grand public par un livre qui a reçu le prix Renaudot de l'essai 2010 et qui figure bien entendu en bonne place sur les étagères de la librairie du théâtre.
Hassane Kassi Kouyaté a choisi la voie du conte en interprétant tous les rôles avec énergie, émotion et humour également. L'écoute était d'une densité exceptionnelle le jour de ma venue.
Des images sont projetées sur la toile de fond, associant de très beaux paysages avec des visages durs et des chiens menaçants. On pense un instant au film d'animation Valse avec Bachir. Le récit commence.
Le conteur ne nous fait grâce d'aucune étape, d'aucun rebondissement, dont certains manifestement l'amusent. Quand il mime un combat il s'arrête un instant, savoure le moment, nous confiant qu'il aime particulièrement cette partie de l'histoire. Et le public rit, soulagé que tout ne soit pas sombre. L'histoire est terrible mais l'interprétation ne manque pas d'humour et les éclats de rire sont fréquents malgré tout.
Qu'est-ce qui pousse un homme à tendre la main à un autre ? Un regard, presque rien ? Le procureur va s'emparer du dossier et concevoir un argumentaire.
La voix d'Hassane se teinte de diverses intonations. Il entonne un très beau chant assis devant ce bateau qui nos emporte avec lui sur les mers bleus de Maurice.
Chacun l'approuve lorsqu'il émet une critique : on aurait aimé que le monde soit simple mais il ne l'est pas.
Chacun se mettrait bien à danser comme lui avec la chaise lorsque le dénouement est enfin positif. Une simple chaise qui se trouvait renversée sur la terre, comme au centre d'une arène au début du spectacle. Il aura fallu longtemps avant qu'elle ne soit remise sur pieds, témoignant de la longueur de la procédure judiciaire.
La vie n'est pas à un paradoxe près. Furcy sera libre grâce à une loi faisant de lui un meuble non enregistré, donc en quelque sorte en raison d'un vice de procédure puisque son maitre a omis de l'enregistrer en tant que marchandise.
Hassane Kassi Kouyaté nous dira que ce qui l'a poussé à se pencher sur cette histoire là n'est pas l'opposition entre le gentil Furcy et le méchant Lory mais qu'il a voulu travailler dans la continuité de son père Sotigui, qui avait subi des réactions violentes quand il avait osé s'attaquer à certains tabous. La réalité est plus complexe que la mise en cause classique du Blanc contre le Noir. Il faut regarder l'histoire en se méfiant du point aveugle. Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut mais le courage de tirer les conséquences de ce que nous savons. C'est une de ses missions de griot de le faire et Hassane le fait merveilleusement. Qu'il en soit remercié.
L'affaire de l'esclave Furcy du 20 novembre au 15 décembre, les mardi, mercredi, vendredi à 20h, le jeudi à 14h30 et 20h, le samedi à 16h
d'après L'affaire de l'esclave Furcy de Mohammed Aïssaoui (Gallimard)
avec Hassane Kassi Kouyaté
adaptation Patrick Le Mauff, complicité Hassane Kassi Kouyaté
mise en scène Hassane Kassi Kouyaté, complicité Patrick Le Mauff
assistante à la mise en scène Zmorda Chkimi
lumière et vidéo Cyril Mulon
création sonore Nathalie Estève
scénographie Hassane Kassi Kouyaté
dessins et image Stéphane Torossian
costumes Anuncia Blas
Coproduction Compagnie Deux Temps Trois Mouvements, Le TARMAC - La scène internationale francophone. Avec le soutien de la Mairie de Paris. tous renseignements sur le site du Tarmac.
Plusieurs rendez-vous, tous en entrée libre, mais sur réservation au 01 43 64 80 80, sont proposés autour du spectacle :
Mercredi 28 novembre, à l'issue de la représentation, soirée en écho avec Mohammed Aïssaoui
Samedi 1er décembre, toujours à l'issue de la représentation, sortie du livre "Rêves d'hiver au petit matin" (Editions Elyzad)
Mercredi 5 décembre à 19h, apérilivres avec Yamen Manai et Yahia Belaskri
Samedi 15 décembre à 18h, soirée hommage à Sotigui Kouyaté.
Photos A bride abattue sauf celle du bateau qui est d'Eric Legrand.
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