Le Théâtre Victor Hugo (en partenariat avec la médiathèque et la ville de Bagneux) organise du 10 au 31 janvier un festival sur les arts du geste, explorant la virtualité, intitulé avec beaucoup d’à-propos Festival Virtuel. Hom. Trois spectacles sont présentés sur la scène et des ateliers d’improvisation collective avec les comédiens sont programmés autour du spectacle, dans les établissements scolaires. Des projections de films, et des conférences sont organisées sur le transhumanisme et deux expositions complètent le dispositif.
C’est dans ce cadre que j’ai vu E Génération par la Compagnie j'ai peur que ça raconte autre chose qui est une association de 12 jeunes comédiens qui a vu le jour en 2014. Ce spectacle écrit et mis en scène par Jean-Christophe Dollé est un petit bijou.
La génération Z a succédé dans les années 90 à la génération Y. Ce sont les enfants qui sont nés, et qui ont grandi avec les nouveaux moyens de communication, Internet, le téléphone portable. On les surnomme aussi les Geeks. Les Américains les appellent plutôt "net generation" ou "digital natives". Car ils sont hyper connectés. D’ordinateurs en portables sophistiqués, de jeux vidéo en photos, ils vivent leur vie en réseau ou en solo très sono. Ils multiplient leurs comptes : Instagram, Snapchat, Tumblr, Vine, Tinder…Parce qu’aujourd’hui, leur PC ou leur I-phone fait partie d’eux-mêmes comme leur cerveau ou leur propre mémoire. Comment ces grands enfants ont-ils appris à communiquer avec ces outils ? Sont-ils prisonniers de cette technologie ou ont-ils réussi contre toute attente à la domestiquer, à s’en rendre les maîtres, pour conserver leur humanité ? N’ont-ils pas réussi à devenir peut-être même plus humains que nous ne l’avons été, une génération plus tôt ? Ce sont quelques-unes des questions que le metteur en scène a souhaité explorer.
Il soumet au public un texte qui s’appuie sur une partition corporelle. Tout est admirablement pensé, depuis les costumes, en noir-gris et blanc, avec quelques pointes de rouge, jusqu’au décor, très minimaliste, dans les mêmes tons, en passant par des choix musicaux qui traversent les années. On reconnait des oiseaux gazouiller à l’évocation de Twitter. Et bien sûr les notes de musique caractéristiques du démarrage d’un ordinateur PC.
Peut-on avoir 300 amis sur Facebook et se sentir seul ? Le public n’est pas surpris d’entendre des fadaises comme : je ne suis plus tout à fait moi. Plus ils me likent, plus j’existe.
L’ego de la jeunesse semble assoiffé de satisfaction mais on pourrait étendre cette caractéristique aux usagers de tous âges. L’addiction aux réseaux sociaux peut toucher tout le monde et la scène de thérapie montrant un groupe tentant de se libérer de l’emprise du portable à l’instar des alcooliques anonymes est très savoureuse.
Il est intelligent de souligner que si les écrans sont devenus tactiles, les corps se touchent par contre de moins en moins. On est effrayé du corps de l’autre qui disparait derrière un écran en 2 D. A l’inverse le théâtre, qui n’est pas la réalité, convoque de vrais corps et pas des images.
On drague sur Internet à coups de messages brefs qui parfois s’interrompent brutalement. Il est si facile de se déconnecter à la moindre gêne.
On assiste à la joute entre Google je sais tout et Wikipedia, atteint de cusuraphobie, qui est la peur d'avoir tort. En poussant le raisonnement à l’extrême, on pourrait considérer qu’il n’est plus nécessaire d’entretenir sa mémoire puisque "tout" est dans les appareils connectés qui pourraient finir par se substituer à nos cerveaux.
On assiste à une scène surréaliste au cours de laquelle quatre personnes apprennent la mort d’un membre de la famille alors qu’ils ne peuvent se retenir de converser par SMS. La confusion s’amplifie au fur et à mesure que les messages s’enchainent, s’affichant sur une toile derrière eux.
On suit, en français puis en espagnol, créole et japonais, une querelle à propos du téléchargement illégal, qui serait un truc de radin. La scène rejouée plusieurs fois gagne en vigueur à chaque reprise.
Une sonnerie interrompt la représentation, questionnant sur la légitimité d’exiger des spectateurs qu’ils éteignent leur téléphone au théâtre.
Tout est dramatiquement juste. La mort du bébé qui a traversé un pare-brise n’est pas un épisode fictif. On peut s’inquiéter de l’hyperconnectivité qui empêcherait la génération Z de faire la différence entre la vie réelle et la vie virtuelle. Cela pourrait vite devenir caricatural. Néanmoins le spectacle est écrit avec une juste dose d’effets comiques pour éviter de verser dans le pathétique.
Une bagarre au ralenti s’achève sur le refrain de la chanson Tous les garçons et les filles. Françoise Hardy chantait en 1962 des paroles quasi prémonitoires : Personne ne murmure je t’aime à mon oreille.
Les jeunes ont néanmoins bien raison, à la fin de la représentation, d’insister sur le fait qu’Internet a été créé (dans les années 90) par leurs parents et qu’il n’est pas légitime de leur reprocher leur utilisation. La génération Z n’a pas connu la Guerre froide, mais des discours de crise et des courbes de chômage exponentielles. Après tout, avoir le monde entier dans sa poche, c’est lourd à porter. Et pourtant ces jeunes agissent, travaillent et créent avec d’autres méthodes et d’autres valeurs.
écrit et mis en scène par Jean-Christophe Dollé
Jeudi 21, vendredi 22, samedi 23 janvier à 20 h 30
Dimanche 24 janvier à 17 h 30
Au Théâtre Victor Hugo
14, av. Victor Hugo - 9220 Bagneux
À voir en famille
À partir de 10 ans
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Gaël Rebel
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