Réponds-moi, inspire mes peurs
Porte ma croix juste quelques heures
Donne-moi la foi, inspire mes peurs…
Comment ai-je pu ne pas penser à la chanson de Ben Mazué, J'arrive, que je connais pourtant par coeur ?
Le titre de ce troisième roman de Gaëlle Pingault est à la fois familier et intrigant. Tout autant que les premières pages. Ceux qui connaissent la finesse de ses analyses psychologiques pourront être déroutés de prime abord en s’interrogeant sur le chemin qu’elle prend, louvoyant avec la comédie romantique.
Comment croire que ce qu’elle va nous raconter puisse avoir un soupçon de réalisme ? Son personnage principal s’emballe pour une tombola dont le premier prix est de vivre une année sans mois de novembre. D’abord il faudrait comme elle détester la grisaille et la nuit qui tombe à 16 h 30. Personnellement je ne voudrais pas renoncer aux feuillages empourprés, au chocolat chaud de retour de balade, aux préparatifs des fêtes de fin d’année … mais je ne suis pas Camille, pas tout à fait, car je me suis découvert quelques points communs.
L’héroïne gagnera ce premier prix. Je ne spoile pas. On le sait très vite. Durant ce mois de non-novembre, un étrange temps suspendu va l’inviter à emprunter quelques chemins inexplorés, tandis qu’alentour, le monde continue son petit manège habituel. En acceptant de perdre ses repères, d’abord un peu hésitante, puis entièrement chamboulée, Camille se laissera porter par l’étrangeté dont jaillira peu à peu la compréhension de sa propre histoire. Voilà ce que nous apprend la quatrième de couverture pour nous motiver à passer outre le coté farfelu du procédé.
Le style est radicalement différent des ouvrages précédents et je sais gré à Gaëlle Pingault de nous, surprendre, nous lecteurs. Je salive d’avance à l’idée d’être une nouvelle fois saisie au prochain, car j’imagine immense sa capacité à se renouveler.
Attends-moi le monde flirte avec le genre fantastique mais son écriture est sensible et touchante. On devine que le sujet, sans être nécessairement vécu a sans doute des résonances personnelles suffisamment fortes. Je ne vais pas vous dire lequel, mais Camille a subi un traumatisme qui concerne beaucoup plus de personnes qu’on ne le croit et dont on ne parle quasiment pas. Je suppose que les médecins estiment que c’est un non-évènement dont il est facile de se remettre. Mais si le corps effectivement oublie vite, l’esprit conserve une cicatrice qu’il faut parfois rouvrir pour mieux la suturer.
Gaëlle traite le sujet sans aucune pathologie (je ne dis pas lequel parce que j’ai apprécié de ne pas le savoir avant de commencer ma lecture). C’est un problème que j’avais rencontré et que j’avais (moi aussi) occulté. Le roman a donc fortement résonné en moi mais sans que ce soit le moins du monde triste ou pénible. Preuve qu’on peut surmonter une épreuve sans avoir besoin de gagner un ticket de tombola. Le passé douloureux s’efface même si on pense que non. Mais il y a d’autres mois que j’aimerais gommer du calendrier. Faut que j’explore pourquoi.
Attends-moi le monde de Gaëlle Pingault, Eyrolles, en librairie le 2 septembre 2021
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