J’ai retrouvé avec Un tesson d'éternité, la puissance de Pardonnable, impardonnable qui m'avait tant saisie. Il est encore question de la place qu'on occupe (ou qui nous est assignée) et du silence que l'on pose sur des faits dont la gravité condamne en quelque sorte à la perpétuité.
Pas celle de la justice des hommes mais celle du déterminisme, d'abord psychologique, ensuite social, car l'un va rarement sans l'autre.
Là encore on suit le parcours de personnages qui se débattent pour s'extraire de leur condition. La mère semble avoir réussi mais le fils va tomber, entrainant la cellule familiale dans une sorte de noyade, évoquée par le visuel de la couverture.
En effet Anna Gauthier mène une existence à l’abri des tourments entre sa pharmacie, sa villa surplombant la mer et sa famille soudée. Malheureusement le climat social est scruté quotidiennement par les réseaux sociaux. Nous sommes en pleine révolution des gilets jaunes. le moindre écart de conduite peut être fatal.
Disons que son fils Léo ne maitrise pas un geste qui, malgré une gravité incontestable, aurait pu dans un autre contexte être qualifié de dérapage. Ce jeune homme, jusque là sans histoire, est sous le feu des projecteurs et se retrouve aux prises avec la justice. Anna assiste impuissante à l’écroulement de son monde, bâti brique après brique, après avoir mesuré chacun de ses actes pour en garder le contrôle.
La quatrième de couverture parle de "grain de sable faisant voler en éclats les apparences". C'est bien plus que cela. Valérie Tong Cuong nous offre pour cette rentrée un roman vertigineux qui nous aspire sans nous laisser en répit. On vibre à l'unisson avec Anna qui n'est certes pas parfaite mais à qui on voudrait donner l'absolution.
Cette femme se bat depuis l'enfance pour mériter une sorte de tranquillité qu'elle monnaye au prix fort. Sa vie se déroule en cahotant entre imposture et sursis. Elle est parvenue à un équilibre et comme elle on veut croire qu'il existe une bretelle de sortie, que la facture au péage sera modérée (p. 103). Mais la ligne de crête est étroite. C'est ce genre d'illusion qui permet au mécanisme des violences subies dans un cadre conjugal, familial, professionnel ou social de perdurer et qui fait que les victimes supportent l'apnée, à la grande surprise de leur entourage qui plus tard dira mais pourquoi n'as-tu rien dit ?
Léo a compris intuitivement, car dans cette famille la question n'est jamais abordée frontalement, qu'il lui faudrait en permanence justifier qu'il méritait sa place parmi les élus (p. 131). Il va répéter, à sa manière, le schéma mis en place par sa mère. Jusqu'à un jour craquer, parce qu'il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment …
Le jeune homme est incarcéré. Les scènes de parloir sont d'une justesse évidente. Elles éclairent sur cet entre-deux qui se déploie entre la garde à vue et la remise (éventuelle) en liberté. Je le mentionne au conditionnel pour ne pas spoiler l'histoire. Le personnage de l'avocate, froide mais qu'on espère efficace, est sans nul doute conforme à une réalité. Car Valérie Tong Cuong connait bien l'univers carcéral par le biais de concours d'écriture.
L'auteure démontre qu'aucun masque n'est suffisamment occultant pour contrer le déterminisme qui conditionne notre existence. On referme malgré tout Un tesson d'éternité en se repassant le film et en s'interrogeant sur ce qui aurait peut-être pu changer le cours des choses. Notre pensée s'évade au-delà et on considère ce qui se passe autour de nous en nous questionnant sur notre propre responsabilité à supporter ce qu'on voudrait dénoncer.
Un tesson d’éternité de Valérie Tong Cuong, chez JC Lattès, en librairie depuis le 18 août 2021
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