C’est un sujet formidable pour lancer la rentrée. Clément Poirée a choisi de jouer avec les codes de la représentation. Le titre du spectacle, Catch, fait immédiatement référence à ce sport aux codes extrêmement marqués.
Quiconque a assisté à un match, ne serait-ce qu’à la télévision (et il y en avait souvent quand j’étais jeune), connait la dimension théâtrale des combats. Non seulement dans son déroulement, avec un ring qui évoque le podium d’une scène, un maître de cérémonie aux accents de bonimenteur, un arbitre qui a parfois un air de Monsieur Loyal, et surtout des combattants qui sur-jouent des douleurs qu’ils ne ressentent pas nécessairement, et puis des cris, des figures de style qui s’enchaînent selon une mécanique somme toute très théâtrale. Même le nom des héros s’apparente à des noms de scène.
Le metteur en scène a raison de voir dans le catch un endroit de purgation des passions. Il a sollicité 5 auteurs en leur demandant de réinventer les figures pour qu’elles racontent nos conflits intérieurs et ceux qui agitent la société. L’intention du metteur en scène est de nous permettre de lâcher nos peurs comme nos colères face aux injustices ou à l‘incertitude du futur.
Il nous avait promis des entrées spectaculaires, des coups, et du défoulement dans une ambiance qui ait quelque chose à voir avec le monde forain. Le pari était osé. Il est gagné. La meilleure preuve est que, même si nous étions autorisés à quitter notre place à n’importe quel moment pour nous rafraîchir (c’est vrai qu’il faisait chaud dans le théâtre) et revenir comme bon nous semblait, nous sommes restés majoritairement, pour ne pas perdre une miette du spectacle. Nous avions l’entracte pour nous dégourdir les jambes.
Les extérieurs sont ambiancés en forçant juste un peu l’esprit convivial qui caractérise le Théâtre de la Tempête : les transats et les grandes tablées sont restés, la carriole de Mama Fanta est en place, avec son célèbre jus de gingembre. Il aura suffit de dédier une guérite à la restauration rapide et d'ajouter un stand de pop-corns.
L’entrée du spectacle s’effectue depuis la terrasse, derrière un rideau, coté scène, et on découvre une salle entièrement repensée par le scénographie Erwan Creff, avec un vrai ring central, des sofas et des chaises dépareillées, des coussins rouges sur les gradins, encadrés de murals peints.
Il suffit qu'un personnage me scrute derrière son masque de cuir pour que l'illusion soit parfaite et que je me croie au Mexique pour un combat de Lucha Libre.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : nous sommes réellement au théâtre, avec des textes très forts de Emmanuelle Bayamack-Tam (qui a écrit la bataille entre Battery Pork VS Prince Charming, et celle entre Black Indian / L’Enfant-Do / L’Indicible), de Hakim Bah (Saturne VS Melancholia VS Kapitaal & son épouse Misandra), de Koffi Kwahulé (opposant KassNoisette VS Priapico & son Majordome), Sylvain Levey (Misandra & Exotico VS Battery Pork & Stronzo Junior) et Anne Sibran (Le Grand esprit des animaux VS Le Sacrificateur Industriel & son Apprenti).
Chaque auteur a son style et pourtant l'ensemble est cohérent. Il ne s'agit pas d'exprimer une préférence. J'ai aimé tous les "combats" et je salue la performance des comédiens car même s'ils se battent pour de faux, avec la même hémoglobine qu'au cinéma, on se doute que les réceptions au sol ne se font pas sans bleu. Leur énergie est insensée, décuplée peut-être par la frustration d'avoir été privés de jeu pendant les pires mois de la crise sanitaire.
On reconnait Pierre Lefebvre-Adrien (Black Indian, Prince Charming, Le Majordome) que j'avais déjà tant aimé dans Le bizarre incident du chien. Bien entendu d'autres fidèles de La Tempête, Eddie Chignara qui est Exotico, Priapico, Louise Coldefy (Saturne, Anonymous, et surtout la généralissime commentatrice prénommée Sabine), Camille Bernon (Misandra, L’Indicible), Bruno Blairet (Kapitaal, Le Sacrificateur Industriel, MC) et Joseph Fourez (Stronzo Junior, Spider-Man, L’Apprenti, Fabien le commentateur), dont je me souviens les avoir vus tous les deux notamment dans A l'abordage (également écrit par Emmanuelle Bayamack-Tam).
Clément Poirée a aussi fait appel à Thibault Lacroix (Melancholia, Battery Pork), qu'il avait dirigé dans Les énivrés, à Clémence Boissé (L’Enfant-Do, KassNoisette), et à Fanny Sintès (Le Grand esprit des animaux, L’Arbitre, MC) qui m'a impressionnée. Elle a une très solide formation comme comédienne et comme circassienne.
La musique, jouée en direct à la batterie (par Silouane Kohler et Franck Pellé) ponctue les tableaux qui s'enchainent en actionnant une gamme de registres : grave, onirique, burlesque … avec de multiples mises en cause en lien avec des préoccupations très contemporaines comme les violences de toutes sortes, le harcèlement et l'écologie. Avec aussi des hommages dont on saisit au vol des paroles empruntées à Victor Hugo (Demain dès l'aube …) ou Louis Aragon (Il n'aurait fallu …)
Côté jeu, on apprécie des évocations -même lointaines- aux concours d'éloquence, au rap et au slam, la mise en valeur des didascalies et de la ponctuation. Il y a fort à parier que deux soirées ne se ressemblent pas tout à fait et on aurait envie de revenir tant le propos est à la fois divertissant et profond.
Catch ! est un spectacle qui marquera la rentrée 2021 et qui fera date.
Catch ! de Hakim Bah, Emmanuelle Bayamack-Tam, Koffi Kwahulé, Sylvain Levey, Anne Sibran
Mise en scène Clément Poirée
Avec Camille Bernon, Bruno Blairet en alternance avec Erwan Daouphars, Clémence Boissé, Eddie Chignara, Louise Coldefy, Joseph Fourez, Stéphanie Gibert, Thibault Lacroix, Pierre Lefebvre-Adrien, Fanny Sintès
Scénographie Erwan Creff et Costumes de Hanna Sjödin
Du 9 septembre au 17 octobre 2021
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre - 75012 Paris
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