Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 4 octobre 2024

Pages volées de Alexandra Koszelyk

L’amour pour les livres nous a rapprochées. Je ne compte plus les années depuis lesquelles je connais Alexandra Koszelyk. C’était elle qui m’avait la première orientée vers les 68 premières fois, un groupe dont je partage l’intérêt pour les premiers romans. Je savais intuitivement qu’un jour je découvrirais le sien.

Les premières fictions se nourrissent nécessairement d’éléments autobiographiques. Ce fut d’abord son ascendance ukrainienne qui orienta sa plume. Avec À crier dans les ruines il y a cinq ans. Pages volées marque un cap après plusieurs autres romans.

Alexandra est une femme pudique. Elle n’élude pas les questions mais elle ne s’expose pas et j’ignorais, comme sans doute la majorité de ses lecteurs, que le drame de sa vie s’était déroulé en France, et avait déterminé son enfance.

Ses parents ont péri dans un accident de voiture alors qu’elle n’avait que huit ans et dans lequel elle fut grièvement blessée. Son frère est resté entre la vie et la mort durant plusieurs semaines. La fratrie été recueillie par une tante. Comment grandir entre amitiés adolescentes et premiers amours quand un immense vide demeure en soi ? Comment construire son identité ? Se sent-on davantage orpheline, Ukrainienne ou plus simplement peut-être écrivaine ? 

Ce sont ces interrogations qu’elle a pu creuser, vingt ans plus tard, à l’occasion d’une résidence d’écriture en Normandie et qu’elle nous livre, sous forme d’une enquête sur ce qui a permis sa survie : la langue, la littérature et l’écriture.

Je ne peux rien dire sur le fond. Chacun d’entre nous fait comme il peut avec les traumatismes qu’il a subis et je me réjouis d’apprendre que les pans de sa vie que le destin lui a dérobés ne sont pas lettres mortes.

Nous suivons avec elle le chemin de son introspection et, chose curieuse et néanmoins pas si étonnante que ça, je réalise que nous avons des points communs. La Normandie qui est la terre de mes ancêtres paternels, installés en Mayenne (p. 204), le métier de cultivatrice (p. 97) de ma grand-mère (nous aussi ne disions pas agricultrice), la phobie de l’eau ( p. 92), la bassine faisant office de salle de bain. Au-dessus de l’évier, un miroir tacheté, accroché à un vieux clou. (p. 94). La lecture salutaire de J’ai réussi à rester en vie de Joyce Carol Oates qu’Alexandra découvre dans ses textes autobiographiques (p. 24), la marque de notre première voiture, une Polo (p. 70). La mienne était orange et ma fille m’en parle encore trente ans plus tard.

J’ai eu moi aussi, car mon père s’était mis en tête après notre déménagement en banlieue orléanaise, d’en visiter en famille un par mois, les châteaux de la Loire comme terrain d’expérimentation, les musées parisiens comme lieux de confirmation (p. 171).

Comme elle j’entretiens une prédilection pour les greniers plutôt que les caves. J’en garde aujourd’hui une affection tendre pour les puces, les braderies et les brocantes (p. 76). Ma fille arrivée au lever du jour s’appelle Lucie et sa fille qui vient de naître porte le prénom de Léa (p. 180). 

J’ai démarré À bride abattue un an après qu’Alexandra ait lancé son blog. Les correspondances s’arrêtent là. Je n’ai pas perdu mes parents tragiquement, même si je suis aujourd’hui orpheline, et je ne suis pas devenue écrivaine même si l’écriture a pris une place importante dans ma vie.

Cela peut sembler stupide de faire les rapprochements qui précèdent et pourtant tout lecteur entre dans un texte en se projetant ou en se reconnaissant. Je ne connais pas d’autre voie. La proximité fugace avec un auteur alimente l’empathie indispensable pour apprécier un ouvrage.

Bien entendu j’ai remarqué aussi des occurrences avec quelques-uns de ses romans en lisant les mots archives ou ruines : J’attrape tout. Et j’archive (p. 28). Aujourd’hui, malgré plusieurs tentatives, parfois avortées de mon propre chef, je n’ai toujours pas récupéré ces archives perdues (p. 49). Mes morceaux sont ceux d’une ruine (p. 61). "Là où il y a des ruines, il y a l’espoir d’un trésor" Rûmî (p. 233).

S’il est vrai que la fiction est une forme de masque (p. 162) elle ne l’emploie pas ici puisque la forme choisie est celle du journal mais elle apparaît malgré tout à travers les paroles des poèmes qui ponctuent le texte.

Elle a raison de chercher des réponses dans l’étymologie pour dans le noir des mots trouver une ressemblance frappante entre "Orphée" et "orphelin" (p. 102). Connaître l’étymologie est une façon de retourner à la naissance d’un mot. Si elle ne permet pas de le définir, elle éclaire sa création (p. 105). Il n’y a pas de hasard si elle a appris le latin (ce que j’ai également fait) et le grec qui lui répondait que le futur n’existait que dans le présent (p. 100).

Ses interrogations sur l’épigénétique sont légitimes. Par quelle magie certains traumatismes passent-ils de génération en génération ?  s’interroge-t-elle p. 12. Mais il faut se rassurer car les généticiens estiment que la transmission des traumatismes par les gènes n’est pas systématique. Beaucoup de témoignages, de romans et de films témoignent qu’il est possible de rompre un cycle infernal et que l’histoire ne se répète pas systématiquement, pourvu qu’on en ait conscience.

Brigitte Giraud en parlait avec acuité dans le poignant Vivre vite. La culpabilité affleure à intervalles réguliers : Arrive un problème, rapidement suivi par la tentation de se demander "et si ?. Elle devient même une véritable spirale (p. 49).

Il est logique de s’inquiéter et de craindre la répétition : Et si ma famille s’inscrivait elle aussi dans cette fatalité, marquée par le sceau d’une mort certaine une fois ses membres arrivés à l’âge adulte ? Mon père orphelin, moi orpheline. Qui sera le prochain à mourir ?  (p. 43) Si aujourd’hui, je remplace ma mère morte, hier je remplaçais ma sœur morte (p. 48).

Alexandra trouve la meilleure antidote dans la littérature. Les livres sont ces histoires qui me permettent de saisir que la vie est faite d’embûches dont il faut se relever (p. 66). Chaque mot est un barreau d’échelle qui m’élève. Ouvrir un livre est le même geste que celui d’ouvrir le cercueil et de me plonger dans le froid du tombeau, d’être avec eux, mes parents, de pouvoir ressentir, explorer d’autres vies comme la leur, de goûter à des instants que nous n’avons pas partagés, enfin de m’autoriser à pleurer à leurs côtés (p. 69).

Dans les premières pages on entend que l’ère du deuil impossible commençait (p. 22). Dans les dernières on lit que survivre est une dette envers ceux qui sont morts (…) et qu’il faut apprendre à ne pas tout contrôler (p. 156). Il faut espérer que les pages perdues ont été comblées.

Ces pages volées, à l’éternité et à l’oubli (p. 238) qu’on pourrait estimer "restituées" vont marquer un tournant dans la carrière d’Alexandra et je parie qu’elle va désormais écrire différemment, mais toujours avec autant d’élégance. Je suis curieuse d’avoir entre les mains son prochain roman.

Pages volées de Alexandra Koszelyk, Aux forges de Vulcain, en librairie depuis le 23 août 2024

jeudi 3 octobre 2024

Le festival Imago propose sa 5ème édition

C’est un fait et c’est heureux. On parle différemment du handicap et une sorte de visibilité positive est en train de s’installer progressivement. Pour preuve, les jeux paralympiques ont été très populaires. Les commentaires se concentraient sur la performance bien davantage que sur le physique des athlètes. 

Le festival Imago s’inscrit dans cette logique de regarder le handicap sans le stigmatiser. Il est d’abord question d’esthétique artistique et seulement ensuite de déficiences. Le politique par contre est encore en retard, surtout pour ce qui est d’accéder à l’intermittence.

S’agissant du festival, Richard Leteutre (co-directeur avec Olivier Couder) note une évolution manifeste qui se traduit par un afflux de propositions dans de multiples disciplines artistiques et l’intérêt de nouveaux lieux d’accueil. Si elle est présente en Île de France depuis 2016 une des conséquences est l’exportation de la manifestation à Bordeaux cette année.

De plus, Imago Le réseau porte des actions de terrain à travers des rencontres et des colloques dans de multiples lieux répertoriés sur le site.

Le calendrier des spectacles est très conséquent avec 58 lieux qui couvrent beaucoup d’endroits en île de France, auxquels s’ajoute la ville de Bordeaux. Ce ne sont pas moins de 109 représentations qui sont programmées entre le 7 septembre et le 10 décembre. Et il faut ajouter 7 rencontres et 4 expositions.

Vous comme moi ne pourrez pas courir d’un bout à l’autre des 9 départements mais je suis certaine que chacun retiendra plusieurs propositions. Pour ma part j’en ai coché 14.

La plus importante est sans doute Hamlet que la compagnie péruvienne Teartro La Plaza présenta au Festival d’automne (au Théâtre de la Ville en 2023) et qui sera joué les mardi et mercredi 19 et 20 novembre à l’Azimut de Châtenay-Malabry, nouveau lieu partenaire. Il promet le droit à la différence à travers un texte faisant le lien entre les vers de Shakespeare et les mots illustrant le vécu des acteurs. Être ou ne pas être résonne furieusement pour ce groupe de comédiens trisomiques.

Le festival aura démarré avec C’est beau ! le samedi 7 septembre à la Fondation Goodplanet qui a accueilli la conférence de presse de lancement. Avec ce spectacle de danse, scénographié par Diane de Navacelle de Coubertin (ci-contre en compagnie d’une danseuse venue d’Australie) on veut démontrer que le handicap cesse d’être une déficience pour devenir un argument artistique.

J’ai noté qu’il sera donné le jeudi 28 novembre à 19 h 30 au Musée du quai Branly-Jacques Chirac (et je ne saurais trop vous recommander de vous hâter pour visiter l’exposition Mexica qui est prolongée jusqu’au 8 octobre).

À propos de Goodplanet il faut souligner que si Yann Arthus-Bertrand l’a créée pour développer une action militante en terme de transition écologique, il a aussi voulu en faire un lieu qui prône la justice sociale.

La compagnie Lamento a imaginé Danser la faille sous la forme d’une conférence dansée avec une esthétique très forte combinant délicatesse et humour que j’espère pouvoir suivre le jeudi 21 novembre à 19 h à Guyancourt. Ce même soir la compagnie interprétera aussi Tout ce fracas qui éprouvera le corps et ses limites.

Humour encore qui cette fois se combinera avec l’écriture pour faire bon ménage entre Jean-François Auguste et jean Claude Pouliquen pour leur Conversation entre Jean ordinaires que l’on pourra découvrir à Coulommiers le 19 octobre ( mais aussi à Paris à Théâtre Ouvert).

Les HPI, autrement dits les surdoués, ne sont pas mis de côté. Zébrures, la face cachée des HPI a été écrit par Anne-Sophie Nédélec à partir de témoignages. La compagnie du Lézard bleu le jouera le vendredi 8 novembre à 20 h 30 à Buc (78).

L’autisme au sein d’une fratrie et la pression sociale de la normativité sont des sujets qui tiennent à coeur à Emma Pasquer. Voilà pourquoi elle a conçu Atypiques qui sera interprété devant un public de scolaires d’un lycée de Seine-et-Marne. Elle a la conviction que la sensation d’être différent est bien plus universelle qu’on peut le croire. Un second spectacle, Cabane, explore cette question à hauteur d’enfant. Avec sa compagnie, Les Eduls, elle rêverait qu’un (autre) festival programme une version hors les murs. Elle a aussi conçu Ma fille ne joue pas qui combine théâtre et danse et sera présenté à Chelles (77) le 3 décembre.

Le théâtre bilingue en langue des signes a bien entendu totalement sa place dans le festival, notamment avec Les mots qu’on ne me dit pas d’après le texte de Véronique Poulain (j’avais tant aimé ce livre, paru chez Stock) du 21 au 24 novembre à l’IVT.

Les scolaires sont conviés à Faraëkoto, le mardi 26 novembre à Plaisir (78) pour suivre un spectacle inspiré du conte Hansel et Gretel mêlant danse, mots et vidéo.

Place à la musique avec le concert de Luc Boland, le bruxellois demi-finaliste de The Voice, atteint du syndrome de Morsier qui réussit à vivre de son art. Sa chanson Je m’appelle Lou a fait le tour du monde. Il chantera et jouera du piano le 3 décembre aux Lilas (93).  

Il y aura aussi du Nouveau Cirque avec l’époustouflant À 2 mètres dans lequel un acrobate atteint de mucoviscidose parvient à tenir debout (ou la tête à l’envers) grâce à l’aide de ses partenaires (et d’un apport en oxygène). J’espère le voir le mardi 3 décembre à 20 h 45 à l’espace Robert Doisneau de Meudon.

Il y aura aussi des visites théâtrales décalées, des marionnettes, du conte, de la comédie musicale, un bal… 
Je rappelle que la fondation Goodplanet est elle-même un lieu qui fourmille de propositions passionnantes, aussi bien en intérieur qu’en extérieur,  au 1 carrefour de Longchamp, 75016 Paris.

mercredi 2 octobre 2024

Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclès

Vous ne connaissez rien de moi nous culpabiliserait presque. On l’a connue sous le nom de "La Tondue de Chartres" parce qu’elle a été photographiée par Robert Capa le 16 août 1944, non loin de la préfecture, rue Collin-d'Harleville (dont cette portion de rue a été renommée place Jean-Moulin). Aurait-elle été jugée -sans forme de procès- par des gens qui voulaient faire un exemple ?

Julie Héraclès a mené l’enquête sur cette terrible époque qui, faisant suite à la Libération, prétendait mettre de l’ordre quitte à dépasser elle aussi les bornes.

Il ne s’agit pas de réhabiliter cette femme dont le comportement n’est pas acceptable. L’intérêt du roman, qui est revendiqué en tant que fiction, est d’éclairer l’époque et de lancer des hypothèques pour nous permettre de comprendre comment les choses ont pu s’enclencher et en arriver là en ce 16 août 44. C’est ce processus sur lequel l’auteure nous alerte en ayant choisi une citation de Philippe Claudel pour figurer en dédicace de son ouvrage : "Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu. Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… (p. 6).

L’auteure n’a conservé de Simone que le prénom et quelques éléments biographiques connus et indubitables. Pour le reste, il faut considérer son ouvrage comme un roman qui brosse le portrait d’une femme intelligente, maltraitée par la vie, courageuse et volontaire, dénuée (hélas) de sens patriotique, quasi naïve lorsqu’il est question de politique et ignorante des enjeux humains liés à la Seconde guerre mondiale.

J’ai beaucoup apprécié le travail de la romancière, qu’il faut saluer d’autant plus que c’est un premier roman. Mais je me suis aussi intéressée à la véritable femme, Simone Touseau, âgée de 23 ans en 1944, tenant dans ses bras un bébé né quelques mois auparavant de sa relation avec un soldat allemand. Ce forfait lui valu d’être tondue, comme dix autres femmes (dont deux prostituées) mais elle sera la seule à être marquée au fer rouge. 

Le roman s’arrête le 16 août. Après cette journée effroyable, Simone et sa mère seront incarcérées. L’insuffisance de charges contre elles leur permettront de sortir de la prison de la Roquette deux ans plus tard. La famille quittera Chartres pour Saint-Arnoult. Simone travaillera dans une pharmacie, se mariera, aura deux autres enfants, ira rendre visite plusieurs fois à la famille allemande de son aînée. Mais, rattrapée par son passé, elle perdra son emploi, sombrera dans la dépression et l’alcool. Elle mourra en 1966. A seulement 44 ans.

La lecture du roman et la connaissance du contexte amènent forcément à des interrogations. Les choses auraient-elles été différentes si les parents de Simone n’avaient pas été victimes de la dépression économique de 1929 et s’ils avaient supporté leur déclassement ? S’ils n’avaient pas élevé leur fille dans un conservatisme catholique en lui inculquant des "valeurs d’extrême-droite ? S’ils lui avaient permis de se forger un esprit d’analyse et d’acquérir de la maturité (preuve qu’être une excellente élève à l’école ne suffit pas).

On est tenté de répondre que non, que la responsabilité (culpabilité) de Simone est totale puisque sa sœur n’a pas emprunté le même chemin. Mais celle-ci n’a pas étudié l’allemand à l’école, n’est d’ailleurs pas allée dans le même établissement (où Simone a subi des humiliations qui aujourd’hui seraient qualifiées de harcèlement). Elle n’a pas connu, suite à des punitions sévères, une alopécie réactive (p. 34) qui lui donne déjà l’allure d’une tondue.  Elle n’a pas été abusée par le fils de son enseignante, puis rejetée par lui et sa famille.

Quel moment pathétique quand elle annonce sa grossesse à celle qu’elle imaginaire devenir sa belle-mère mais se heurte à un mur : "Ça suffit, Simone. Ne me parle pas de famille. Les gens comme toi, on leur donne la main et ils se croient autorisés à toutes les grossièretés. Nous n’avons plus rien à nous dire. Adieu, Simone." ( p. 132)

Quelle horreur que de devoir alors avorter, dans les conditions périlleuses. On pense au film Une affaire de femmes de Claude Chabrol, à bon escient puisque Julie Héraclès l’a revu. Il n’empêche que cette fiction fut une horrible réalité, parfois mortelle.

Il ne s’agit pas de chercher des circonstances atténuantes mais on notera tout de même que le fils "bon" patriote se conduit comme un salaud, à ce moment là, et guère mieux à la Libération quand il n’intervient pas pour protéger Simone de la folie de ses tortionnaires.

Elle va continuer à être une excellente élève, avec pour principal objectif de réussir le bachot. Simone doit ensuite travailler. Elle est embauchée par l’administration allemande (et ce n’est pas un agent secret, loin de là). Elle tombe amoureuse d’un soldat allemand qui garde ses distances vis à vis du mouvement nazi. On ne peut pas dire qu’elle est grandement coupable d’avoir eu de vrais sentiments. On en a la preuve en apprenant avec quel courage elle est allée le retrouver en Allemagne dans l’hôpital où il est soigné à son évacuation du front russe.

Le lecteur n’a aucune peine à entrer dans son cerveau en ce 16 août 1944 qui constitue le fil rouge du roman : Aujourd’hui, vous m’avez rasé le crâne, vous m’avez marquée au fer rouge et maintenant vous m’insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous n’aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd’hui, encore plus qu’hier, je suis forte d’un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d’entre vous passerez toute une vie à chercher et n’obtiendrez jamais. J’ai aimé. Et j’ai été aimée.

Ce qui est admirable dans la construction littéraire, c’est d’avoir inséré des épisodes qui auraient pu déclencher une prise de conscience. Comme son amitié avec sa camarade de classe, Colette dont elle ne prête pas attention à la religion (juive). Il faut dire que Simone est naïve, ne fait pas grande différence entre les personnes et qu’en octobre 1939 la guerre est encore invisible pour elle. Et pourtant elle refuse alors d’intégrer un groupe de jeunes désireux d’ordre et qu’elle devine trop extrémiste.

Une chose est certaine, Simone ne manigance pas. Elle dit les choses en face et si elle connaissait la réalité elle s’offusquerait. Le personnage s’exprime quasiment sans filtre et le récit étant à la première personne nous sommes dans sa tête, parfois dans ses tripes, et on ne peut alors que compatir lorsqu’elle se heurte à l’injustice, apprécier les interventions régulières et bienfaisantes de sa sœur, accepter son admiration pour cet allemand philanthrope qui l’aime d’abord d’un amour platonique.

J’ai retrouvé avec bonheur des mots qui appartiennent à mon enfance et que je n’entends plus comme croûter ou becqueter pour signifier avec humour le moment de déjeuner. Il ne fait aucun doute que Julie Héraclès s’est documentée sur le lexique quotidien de l’époque. Etant elle-même une habitante de Chartres elle a soigné ses descriptions de la ville et c’est un autre point fort de sa narration.

Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc Il était important de nuancer ce moment consécutif à la Libération. Simone fut tondue (et marquée au fer rouge). Certaines femmes ont été torturées, violées ou même assassinées. Ce furent des épisodes de joie et d’excès, emprunts de folie. On a condamné sans juger et Julie Héraclèes, elle, considère, pèse, estime, propose.

Son roman est remarquable. Je ne suis pas étonnée qu’une adaptation cinématographique soit déjà envisagée. Et je ne le serai pas davantage de voir bientôt un nouvel ouvrage sous la plume de cette auteure.

Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclès, ICLattès, en librairie depuis le 23 août 2023
Prix Stanislas 2023 Meilleur premier roman de la rentrée littéraire

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)