La silhouette du chanteur s’allonge sur l’affiche et semble avoir été réalisée d’après la photo de lui accrochant les lettres de son nom sur le fronton de l’Olympia dont on reprend la couleur rouge.
Je jette toujours un coup d’œil aux critiques quand il se trouve que le film que je vais voir est déjà sorti (mais j’adore la surprise de la découverte du film AFCAE du premier lundi du mois). Le moins que je puisse dire est que les critiques de Monsieur Aznavour étaient sévères, ce qui ne m’a pas découragée mais mise en garde malgré tout.
Voilà peut-être pourquoi j’ai tant apprécié ce film. Je ne m’attendais pas à un biopic classique et j’ai trouvé que l’évocation du parcours du chanteur était vraiment réussie. J’ai appris beaucoup de choses sur sa personnalité et compris combien il lui fallut de ténacité pour percer. C’est assez difficile à imaginer quand on songe à la carrière qu’il a menée et pourtant rien n’était gagné d’avance. Une chose est sûre : ce fut un bourreau de travail.
Si on va au cinéma pour voir une histoire, on apprécie en premier lieu les acteurs. Leur choix est donc essentiel. Le producteur Jean-Rachid Kallouche - qui est marié à la fille de Charles Aznavour, et qui a initié ce projet - avait bien en amont parlé de ce film à Tahar Rahim sans qu’il soit question de l’envisager dans le rôle-titre. Il faut croire que l’idée a fait son chemin puisque c’est lui que choisirent Grand Corps Malade et Mehdi Idir.
Il ne ressemble pas beaucoup au chanteur mais il se glisse plutôt bien dans son enveloppe. Et il est un excellent interprète. Il faut saluer sa performance. La seconde surprise vient de Bastien Bouillon (tout de même César du meilleur espoir masculin dans La nuit du 12, que j’avais apprécié dans Le mystère Henri Pick). Il est le formidable compagnon de route du chanteur, Pierre Roche dont il fait un rôle essentiel dans le développement de sa carrière. Sa capacité émotionnelle est exceptionnelle, jouant à la fois sur l’intensité et la légèreté.
Il faut aussi citer Marie-Julie Baup que je connais bien en tant que comédienne de théâtre (Molière de la comédienne dans Oublie-moi) qui a l’immense mérite de rendre crédible le personnage d’Edith Piaf. La distribution est équilibrée dans son ensemble avec des comédiens d’origine arménienne pour interpréter leurs congénères, comme Tigran Mekhitarian qui est Missak (le résistant récemment panthéonisé qui a longtemps vécu dans la famille Aznavour). Lui aussi est un habitué des plateaux de théâtre où je l’ai souvent applaudi, y compris comme metteur en scène.
Le film a beau durer plus de deux heures nous sommes surpris lorsque s’annonce la dernière scène. Organisé en chapitres, intitulé chacun avec le titre d’une de ses chansons, plus ou moins connue, il commence à Paris en 1960 et nous permet de comprendre que Charles fait (sa sœur également) l’expérience de la scène très précocement.
Il a quelques idées de génie, comme celle de raccourcir son nom et d’accepter de se refaire le nez (quasi sur injonction de Piaf dont il est le secrétaire). Il a le sens du rythme, de la mélodie, et manie les mots avec grande habileté. Il n’y a que lui pour faire un succès en faisant rimer onomatopées, café frappé et l’expression ”feutre taupé”, chapeau en poil de lapin avec effet velours, sur une musique de Pierre Roche. Et c’est un très bon négociateur.
Tout cela n’aurait pas suffit à faire de lui le grand chanteur qu’il est devenu et c’est devant une salle quasiment vide qu’on le voit interpréter Sur ma vie. Mais il est tenace : Rien ne peut vaincre 17 heures de travail par jour. Sans doute au prix d’une vie de famille restreinte.
Ne croyons pas non plus, malgré la quantité astronomique de carnets à la couverture rouge (on les voit dans le bureau de sa maison en Suisse), qu’il a écrit toutes les paroles des 1200 chansons qu’il a interprétées. La lecture attentive du générique révèle par exemple une collaboration avec Gilbert Bécaud. Mais c’est bien lui qui a fait Retiens la nuit pour Johnny Hallyday.
Le scénario a très probablement été controlé par la famille Aznavour mais on peut penser qu’il reste assez fidèle et qu’elle était joyeuse et dansante telle qu’on nous la montre. Les deux réalisateurs ont suffisamment côtoyé l’artiste de près pour qu’on leur accorde ce crédit.
Ils ont eu raison d’intercaler des images d’archives, notamment sur l’exode arménien, de façon à ce que le spectateur mesure l’horreur de cette tragédie de l’histoire. On ne peur pas leur reprocher d’avoir photoshoppé la version originale de l’Affiche rouge. C’est parce que je l’ai vue récemment et que je connais les visages des comédiens que j’ai remarqué les substitutions.
Par contre, et même si c’est fortement agaçant, il est bon d’avoir gardé ce trait typique des années 70-90 consistant à fumer constamment et partout. Dire qu’il aura fallu attendre 2007 pour vivre libéré du tabac dans les lieux publics !
Il aura fini par obtenir le même cachet que Sinatra, mais cela l’aurait-il rendu heureux ? Il aura vu briller l’étoile à son nom de son vivant (en 2017) sur le mythique Sunset boulevard de Los Angeles. Le film s’accélère brutalement et on voit Charles vieillir progressivement (bravo au maquilleur). Il se termine par une (fausse) reconstitution de son hommage funèbre par Claire Chazal.
On s’attarde pour scruter le générique, réentendre ses grands succès comme s’il s’agissait de bonus, sourire avec Mes enmerdes, avoir la larme avec La Mamma (qu’il n’avait pas écrite).
En quittant la salle j’ai eu envie de voir le montage intitulé Le regard de Charles, sorti en octobre 2019, avec la voix de Romain Duris. Il a été réalisé avec les rushes que Charles Aznavour a tourné lui-même (et sans répit) avec la première caméra qu’il posséda, une Paillard qui lui avait été offerte par Edith Piaf en 1948 et qui ne le quitta jamais. Jusqu’en 1982 il aura filmé des heures de pellicules qui formeront le corpus de son journal filmé.
Partout où il allait, sa caméra était là, avec lui. Elle enregistre tout. Les moments de vie, les lieux qu’il traversa, ses amis, ses amours, ses problèmes. Quelque mois avant sa disparition il entama le dérushage de ses films avec Marc di Domenico (un réalisateur ami qui avait assuré la captation de ses tours de chants) et décida alors d’en faire un film, son film. A voir sans doute en complément de celui de Mehdi Idir et de Grand Corps Malade.
Monsieur Aznavour, un film de Mehdi Idir, Grand Corps Malade
Avec Tahar Rahim, Bastien Bouillon, Marie-Julie Baup, Camille Moutawakil, Hovnatan Avedikian, Luc Antoni, Ella Pellegrini …
En salles depuis le 23 octobre 2024
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