Si la page de garde est illustrée d'une locomotive c'est que Nigella Lawson est capable de cuisiner à très grande vitesse, mais sans rien concéder au plaisir et aux saveurs.
Les premières pages donnent le ton. L'auteur promet d'abréger le bavardage dans les chapeaux introductifs des recettes. Elle parvient effectivement à faire tenir chaque explication sur une seule page et à nous épargner le dilemme de tourner les feuilles avec les doigts sales. Mais pour ce qui est de son bagout, je n'ai pas senti de restriction. Et c'est pour cela que j'ai aimé ce livre.
Je m'y suis promenée avec le sentiment de rencontrer pour une fois une jeune femme à laquelle je pouvais m'identifier sans complexes. Entre gourmandes hyperactives on se comprend vite.
Nigella met les pieds dans les plats, renvoyant au placard les chefs qui compliquent les manoeuvres et emploient des ingrédients que vous ne trouverez qu'après des courses interminables et dont vous n'aurez au final que peu d'utilité. Elle promet donc que si elle nous pousse à l'exercice elle nous donnera plusieurs occasions de l'employer. Elle ajoute pour rassurer le lecteur qu'elle indiquera au lecteur comment se procurer les ingrédients rares en ligne.
Comme les sirops Monin dont elle raffole. Sauf que chez nous, en France, ce n'est pas bien sorcier de s'en procurer. Je les adore tous, avec un penchant net pour le Mojito à la menthe glaciale que j'ai découvert il y a quatre ans. C'est une autre histoire pour le sel de Maldon qui est récolté dans l'Essex, et qu'elle utilise presque à toutes les sauces. On substituera par de la fleur de sel de Guérande mais en perdant le parfum iodé qu'elle apprécie tant.
Le golden syrup est une denrée incontournable des desserts qu'elle propose. Il n'est pas impossible de le dénicher dans les épiceries parisiennes spécialisées. En cas d'urgence ce sirop de sucre de canne ambré pourra être remplacé par du miel ou du sirop d'érable.
L'Old Bay seasoning est un mélange d'épices typiquement américain que l'on peut faire soi-même en broyant en proportions égales graines de livèche - graines de moutarde - paprika - gingembre en poudre - graines de cardamome - un peu moins de noix de muscade et de cannelle en poudre - 1/2 piment oiseau - 1 feuille de laurier-sauce et 3 clous de girofle.
J'ai réglé la question de la sauce Hoisin (pour accommoder le canard de la page 112) en laissant mariner des gousses d'ail dans de la sauce soja pendant un bon mois, évidemment cela suppose d'anticiper mais une fois faite on l'emploie selon ses besoins. Pour la crème de tartre (employée pages 136 et 248) on essaiera du jus de citron si son pharmacien ne peut pas nous dépanner.
Le secret de Nigella est de concilier les contraintes, ou du moins de ne pas se laisser submerger par trop de pressions et surtout pas par le stress des invités de dernière minute et la montagne de vaisselle en fin de soirée. On devine une longue pratique.
On le sait déjà : il est préférable d'anticiper, de préparer en grandes quantités, quitte à en congeler la moitié, d'associer pour un même repas une recette économique en temps de préparation avec une autre qui le sera moins, de songer à faire les courses en amont, de bien faire ses calculs (une durée de cuisson d'une heure n'est pas un handicap puisqu'on ne va pas rester plantée devant le four pendant tout ce temps alors que mélanger un risotto vingt minutes sans souffler pourra handicaper la soirée).
Chacun son truc. Beaucoup de ses conseils figurent déjà dans les Secret cooking que je livre sur le blog. Préparer des bocaux, des flacons de sel aromatisé avec divers ingrédients (citron vert râpé à la mandoline, vanille ...),
Mes truffes au thon sont très voisines de son pâté de truite fumée (page 61). Et cela fait belle lurette que je casse en morceaux une meringue dans une coupe avant d'y ajouter de la glace et des fruits sans savoir que c'est une variante de l'Eton mess.
Comme Nigella j'ose le roquefort en version sucrée. Pour preuve ces dattes fourrées. Je ne recule pas à employer le fromage en salade et en association avec des fruits. Je suis sure que ma salade Chateaubriand ravirait les papilles de la chef anglaise et qu'elle adopterait cette façon de préparer la pâte à tarte avec des petits suisses.
Cette anglaise nous livre ses trucs. On pourrait même dire qu'elle se livre. Car elle laisse transparaitre beaucoup de son mode de vie, avoue ne pas respecter scrupuleusement les proportions, ce qui nous libère d'un gros poids à l'heure du diktat de la pesée au gramme près. Si vous voulez cuisiner vite et bien lisez ce bouquin. Et oubliez le, pour le digérer et vous réapproprier la méthode avec les plats que vous aimez et souhaitez partager avec vos amis ou en famille.
Reprenez le en main à intervalles réguliers pour intégrer un tour de main qui ne vous est pas encore familier ou qui ne vous vient pas à l'esprit. Comme les oeufs cocotte (page 65). Son emploi d'une huile parfumée à l'ail va vous inspirer. La combinaison cidre-moutarde-crème fraiche n'est pas révolutionnaire mais il fallait y penser. Idem pour ce qui est d'allonger l'houmous vendu en barquette avec moitié de son volume de yaourt grec, du cumin moulu et un zeste de citron râpé. Bientôt vous aurez toujours un sachet de calamars entiers dans votre congélateur (page 16) et vous aurez envie de servir la fondue au fromage avec des cubes de légumes et vous remplacerez la banane (fade) par la mangue pour un Mango split (page 78) que vos enfants plébisciteront.
Nigella nous rend libre et décomplexe la gourmandise. Les recettes du chapitre Réconfort sont à bannir des régimes. Si ses desserts auraient tendance à pencher sur la balance calorique elle a tout de même des astuces qui sont à copier, comme le recyclage des céréales en garniture de crumble, et le déglaçage des foies de volaille avec un vinaigre de Xérès allongé de sirop d'érable.
Je retiens aussi quelques-unes de ses méthodes. Par exemple sa solution express pour les pancakes (page 92) et elle m'a fait redécouvrir le pain perdu avec la confiture, ce qui va me permettre d'écluser les fonds de pots car j'ai la manie d'en ouvrir plusieurs en parallèle pour varier les petits déjeuners.
Quelle bonne idée de sous-cuire poisson et viande qui vont terminer tout seuls (et sans surveillance) dans une papillote hermétique de papier d'alu, pendant les cinq minutes nécessaires à achever la préparation du plat. Il fallait y penser : abandonner des tomates toute une nuit dans un four encore chaud pour les récupérer confites le lendemain sans avoir pris la peine de les surveiller.
Comme elle je n'éplucherai plus les pommes de terre de mon prochain gratin. Je les cuirai dans un mélange de lait et de vin (page 39) et je suis rassurée de constater qu'on peut oser dire que des légumes qui ne sont plus de la première fraicheur restent encore cuisinables (page 35). Comme elle je vais enfin réussir un cheesecake en été sans allumer le four (page 81).
Associer des Saint Jacques avec du chorizo (page 153), le poulet avec le bacon et le vin blanc (page 143), le Baileys au tiramisu (page 135).
Sa cuisine est rustique comme un bistrot de quartier parisien. Sa pizza nan (page 19) décomplexera les mères de famille. Ses crêpes au pesto sont une nouveauté. On va pourvoir manger avec les doigts sans rougir et rater un plat sans en faire un drame (page 29).
Je ne suis pas sure que j'aurais placé la morue fumée aux haricots blancs en première ligne (page 4). La culture britannique est nettement sous-jacente, avec un exotisme très indien ou asiatique. Mais comme son saumon poêlé avec ses nouilles Singapour (page 43) est tentant ! Et ses bidouillages italiens du chapitre Presto donnent envie de s'y mettre illico. Sa salade de pâtes (page 169) se décline à l'infini. Nigella nous embarque aussi dans sa marmite jusqu'au Mexique à toute vapeur.
Je lui pardonne sa version peu académique de la salade niçoise pour une bonne raison : elle boit la bière glacée et croyez moi, c'est rare pour une anglaise.
Nigella Express de Nigella Lawson, Hachette Cuisine, septembre 2012
Les anglophones pourront la lire dans le texte sur son site
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