Ce soir un vernissage grandiose inaugura la troisième édition du Work In Progress de Philippe Pasqua, dans un lieu aménagé spécialement par l'artiste du coté de Saint-Ouen l'Aumône, dans le Val d'Oise autrement dit en lointaine banlieue parisienne (vous me direz que tout dépend où l'on vit, mais l'homme est égocentré, n'est-il pas vrai ?).
Appelé The Storage, l'endroit est un ancien parking automobile. Il a été conçu par l'artiste pour s'y livrer à des expérimentations artistiques et collectives innovantes, et surtout pour y travailler. C'est donc à la fois un espace de présentation et de stockage, un atelier et une enfilade de salles d'exposition. C'est encore aussi un jardin de sculptures.
Tout le programme est contenu dans cet intitulé : Storage signifie rangement, mais aussi accumulation et mémoire. Quant à Work in progress l'expression peut se traduire littéralement par Travaux en cours. Ce qui nous est donné à voir est de l'ordre du chantier, à l'instar de la politique des grands chantiers initiés par les présidents.
L'espace d’exposition est immense, proportionné à la taille des oeuvres, permettant de les mettre en valeur sans les étouffer. Nul besoin d'être spécialiste en art contemporain pour être saisi dès l'entrée par le travail de Philippe Pasqua. Le catalogue de l'exposition est déjà prêt à se laisser emporter. Enorme, lui aussi.
L'artiste s'affirme autodidacte. Cela tombe bien, je n'ai pas fait d'école de beaux-arts et je déambulerai donc dans l'espace sans référence académique préalable. Le terme de "monstrueux" s'impose, par la taille, les volumes, les sujets choisis. Et pourtant il y a de la douceur dans la manière dont on nous donne à voir ces visages. La matière est épaisse, conférant aux tableaux une vitalité intense.
Les cartels sont minuscules, et peu explicites. un prénom, une année, la mention "Autoportrait" qui se répète à coté d'oeuvres qui ne font pas penser au peintre. Le catalogue n'est pas davantage explicite. Ce n'est pas sur lui qu'il faut compter pour nous donner une parole toute faite. Il faudra se forger sa propre opinion tout seul, et c'est très bien.
On m'a prévenue que l'artiste n'aime pas les mondanités, que sans doute on ne le verrait pas ce soir. Et quand bien même il montrerait la pointe d'une basket, je n'avais aucune chance de le reconnaitre. Ceux qui lui ont collé l'étiquette d'Insaisissable entretiennent la légende.
Cet homme est tout le contraire de cette image d'ours mal léché. Il n'a pas manqué de l'affection de sa maman dans son enfance, qui demeure une de ses groupies les plus attentionnées. Philippe est arrivé avec le sourire, a signé des autographes à tour de bras, et même jusque sur le bras d'une (très) jolie admiratrice. L'approcher c'est la promesse d'entendre un mot gentil.
Il dit ne pas savoir pourquoi il peint, mais être très heureux de le faire. Il est tout le contraire de l'artiste maudit qui créé dans la souffrance. Il exprime le plaisir qu'il y trouve et assure que la peinture lui fait beaucoup de bien. Il irait jusqu'à la comparer à une thérapie, reconnaissant à demi-mots qu'il y aurait quelque chose dont il lui faudrait guérir, d'où sans doute son attirance pour ce qui est marginal, les trisomiques, les prostituées, les aveugles, les transsexuels ...
Il a très peu travaillé d'après modèles, estimant qu'il n'était pas humain de leur imposer des séances d'immobilité. La photographie a été libératrice pour eux comme pour lui. Une forme de délicatesse surgit des oeuvres, éloignant son travail de peintres qui, soit l'ont inspiré (ce serait à un tableau de Francis Bacon découvert dans la vitrine d'une librairie- même pas dans un musée- qu'il devrait sa vocation), soit sont cités comme appartenant à un même univers. Il est vrai que la crudité de ce qu'il nous donne à percevoir fait penser à Lucian Freud.
Avec la nouvelle série autour des enfants il se dégage une spontanéité et une puissance d'évocation onirique dont on ne sait pas si c'est la cause ou la conséquence de sa méthode de travail. Il mélange la peinture sur la toile, sans passer par l'intermédiaire de la palette, employant le pinceau comme d'autres utiliseraient un couteau.
Il peut combiner dessin et peinture, démontrant en quelque sorte que le réalisme n'est pas un ennemi du rêve. Les peintures montrent les chairs quand les sculptures révèlent les charpentes. Quand il est sculpteur il se focalise sur le thème de la vanité, mais là encore avec un onirisme certain. Ses crânes donnent naissance à des envols de papillons.
Le loup était autrefois l'animal effrayant cristallisant les risques dont il fallait tenir les enfants à l'écart. S'il était encore parmi nous Charles Perrault pourrait réviser son best seller en l'intitulant le Grand Tyrannosaure Rex. L'animal est à la mode et fait l'objet d'une grande exposition au Jardin des Plantes. Je ne sais pas si celui qui montre les dents dans la première salle du Storage est ici pour effrayer ou pour avertir que même les plus grands ne subsisteront pas éternellement, ... dans une nouvelle démonstration de l'éphémère et de la vanité.
Proportionnellement l'animal est minuscule, comme si, pour une fois, la fiction pasquaienne avait été rattrapé par la vérité. Tout le reste est de l'ordre du gros plan, et c'est avec une loupe que le visiteur est invité à regarder les visages et les corps, sans provoquer l'envie de s'éloigner. Bien au contraire.
Il utilise des tonnes (en tout cas des quantités phénoménales) de peinture rouge, noire et blanche. Curieusement la couleur apparait davantage dans les sujets les plus durs, comme la série des Traumas que l'on peut voir ou revoir dans une salle dédiée.
J'y ai retrouvé l'ambiance d'une matinée en salle d'hop, précisément en chirurgie orthopédique, où ma curiosité m'avait entrainée quelques heures. Une lumière turquoise sur des carreaux blancs, des outils de boucher qui s'entrechoquaient dans des bacs inoxydables, une odeur de chair brulée et de ciment frais.
Ce n'est pas la peinture de Philippe Pasqua qui est féroce, mais la vie plus simplement. Les parisiens ne seront pas les seuls à le découvrir. Philippe Pasqua est invité à la foire d’art de Toronto du 26 au 29 octobre, qui drainerait quelque 20.000 collectionneurs.
La Fondation Fernet-Branca l'expose à Saint Louis jusqu'au 9 décembre. Il faut signaler que c'est d’ailleurs la première exposition personnelle en institution publique de l’artiste en France.
Tel-Aviv recevra l’artiste dans la galerie Zemack à partir du 15 novembre. En 2013, des oeuvres seront présentées en Asie, à Hong Kong pour la foire ART HK du 23 au 26 mai aux côtés de Jeff Koons, Damien Hirs et Takashi Murakami. Egalement à Taiwan pour l’Art Revolution Taipei.
The Storage
38, avenue du fond de Vaux - 95310 Saint-Ouen l'Aumône
Ouverture du lieu sur rendez-vous - tél. 01 39 09 99 23
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire