Rendez-vous me fut donné à deux pas du métro Richelieu-Drouot, à l'entrée du Passage des Princes, sur le pavage si joliment conservé.
Je m'imaginais qu'on allait nous parler de la coupole merveilleuse dont je pris un cliché pendant l'attente. Mais non, notre guide nous entrainera à l'opposé.
C'est qu'il est davantage acteur et qu'il a une histoire à raconter. Le concept est de jumeler une visite avec un spectacle. Le souci est, à mon avis, que le "spectacle" prend le pas sur la "visite" si bien que les promeneurs en ressortiront avec des idées fausses sur le quartier.
J'étais pourtant acquise au concept et suis arrivée avec mon enthousiasme habituel. Mais j'ai déchanté, et je n'ai pas été la seule, même si le public, bon enfant, s'est laissé chahuter avec bonne humeur.
Propos misogynes inutiles, invectives gavrochiennes maladroites, et pour terminer un appel à la générosité des spectateurs parmi lesquels on a fait passer la casquette pour obtenir un pourboire. La prestation était facturée 18 € en 2010. Le tarif a grimpé à 25 € en 2013 et consacrer 100 € pour une famille me semble être suffisant, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter un pourboire.
Je vais néanmoins vous raconter ce moment avec le plus d'objectivité possible et vous vous ferez votre propre opinion ... En tout cas l'endroit se prête à l'exercice parce que les passages couverts sont chargés d'histoire et que ce quartier des Grands Boulevards, que je commence à (très bien) connaitre fourmille d'anecdotes.
Voici comment la prestation est partout décrite : Découvrez un parcours au cœur des Grands Boulevards, à l'abri des intempéries, ouvert toute l'année ! Passages des Princes, des Panoramas, Jouffroy & Verdeau. Notre guide, le fameux Jean-Jacques de la Tour, nous apprend qu’il prépare une thèse sur Nathaniel de Cantaussel. Cet homme serait mort assassiné dans le Passage Jouffroy en 1870 et ce crime n’a jamais été élucidé. Or, lors de ces recherches, Jean-Jacques de la Tour a retrouvé des éléments qui viennent éclairer sous un jour nouveau ces évènements, et bien sûr, toutes ces pièces à conviction proviennent des Passages empruntés… Durant cette visite-spectacle, on va rencontrer 6 personnages qui ont tous été témoins ou acteurs dans cette affaire. Les circonstances troublantes autour de ce crime permettent de mettre en place un véritable « jeu de piste-enquête » dont le public est partie prenante, les spectateurs étant impliqués de manière interactive dans la quête de la vérité! Aidez-nous à résoudre cette célèbre affaire !
A priori l'idée est intéressante. Le souci est qu'à force de mêler vérités historiques et fiction on finit par s'embrouiller.
D'abord il n'y a que le fameux Jean-Jacques de La tour à y croire. Nathaniel de Cantaussel n'a pas été assassiné, et pour cause : il n'a existé que dans l'imagination fertile de son créateur. Je n'ai perçu aucune circonstance troublante, ni pièces à conviction, ou alors c'est que j'ai mal écouté, ou mal compris. Tout n'est que rhétorique. A la fin les spectateurs mettent tous les dialogues dans le même sac, celui du faux semblant, alors que certaines affirmations sont vraiment véritables. Je vais donc remettre un peu d'ordre dans ce micmac.
Les passages couverts permettent de relier Montmartre au Palais Royal sans subir les intempéries, qu'il s'agisse de la pluie comme de la canicule. Il suffit de se retourner pour voir se détacher le Sacré-Coeur depuis l'entrée du Passage des Princes.
De façon typique, ce sont des galeries d'une centaine de mètres, percées au travers des immeubles ou construites en même temps qu'eux, puis couvertes par une verrière offrant un éclairage zénithal qui leur donne une lumière particulière.
On les trouve sur la rive droite de la Seine, à l'intérieur des limites de Paris avant son extension de 1860, dans les zones drainant la clientèle aisée à l'époque de leur construction et qu'il convenait d'abriter des écarts de température en lui proposant un ensemble de commerces variés.
Les travaux d'Haussmann, qui ouvrent les quartiers en perçant de grandes avenues, et la concurrence des grands magasins conduiront à la disparition de la plupart des passages. Leur renaissance est récente. Ils sont presque tous inscrits aux Monuments historiques.
La restauration est très réussie. Comme en témoignent ces mascarons qui grimacent au-dessus de nos têtes mais dont nous ne saurons rien.
Notre guide, en queue de pie et rouflaquettes, prend à son compte la parole de Guy de Maupassant : à Paris, mieux vaut ne pas avoir de lit que d'habit. L'écrivain adorait le boulevard où il ne savait où donner de la tête entre les bourgeoises décomplexées, les femmes en crinoline et les cocottes.
On nous parle d'Adolphe Dugléré, un cuisinier élève de l'illustre Carême qui fut chef des cuisines du baron Rothschild jusqu'en 1848 avant de reprendre la direction des "Frères Provençaux" au Palais Royal puis en 1866 du "Café Anglais" auquel son nom reste attaché.
Situé à l'angle du boulevard des Italiens avec la rue de Marivaux, le "Café Anglais" est à la mode. Les diplomates européens apprécient les salons particuliers où ils dînent avec des courtisanes. L'une d'elles, Anna Deslions, lui inspire la recette des "Pommes Anna", sorte de gâteau de pommes de terre cuites dans du beurre et qui doit rester moelleux au cœur et croustillant à l'extérieur. Il créé le soufflé à l'anglaise, la sole et le bar à la Dugléré mais aussi le "Potage Germiny" avec humour peut-être puisqu'il a été imaginé pour le comte Germiny qui était gouverneur de la Banque de France et qu'il est composé d'oseille, de cerfeuil et de jaunes d'oeufs.
C'est lui aussi qui a composé le menu du célèbre dîner dit des "Trois Empereurs" qui réunit le tsar Alexandre II, le tsarévitch Alexandre, le roi de Prusse Guillaume Ier et Bismarck. Le guide nous en donne le menu : potage, relevés, entrées, sorbet au vins de champagne, rôtis, parmi lesquels des ortolans, suivis de légumes qu'on appelle alors entremets, sans oublier les bombes glacées, le tout arrosé de plus d'une vingtaine de vins.
On ne mange plus un tel nombre de plats. Nous recevons l'ordre de les mémoriser parce que dans quelques minutes ce sera l'interrogation orale que subira ... question de hasard ... Xavier avec beaucoup de bonne volonté.
Notre homme poursuit son affaire, bientôt rejoint par un autre comédien pour un duo compliqué où nous apprenons qu'Haussman fit construire en 1868 une morgue sur la pointe Est de l'île de la Cité qui constitua une des sorties les plus en vogue : les cadavres à identifier (notamment des victimes de noyades), étendus sur 12 tables inclinées de marbre noir, y étaient exposés pendant trois jours, dans une salle séparée du public par une vitre.
Ce lieu qui préfigure l'Institut médico-légal qui s'installera quai de la Râpée en 1914. Pour le moment il est prétexte à servir de cadre à l'affaire criminelle que nous sommes censés résoudre avec comme indice la célèbre recommandation de Vidocq : cherchez la femme !
Avant cela nous allons arpenter un peu ce si beau Passage des Princes, resplendissant depuis qu'une grande enseigne de jouets l'a racheté en 1985, en le sauvant de la démolition. (attention il est fermé le dimanche)
On le doit à l'homme d'affaires, Mirès, propriétaire de l'ancien palace « Grand Hôtel des Princes et de l'Europe », au 97 de la rue Richelieu, qui possédait également l'immeuble situé au 7 boulevard des Italiens. La banque Mirès et compagnie put ainsi ouvrir un passage qui profita d'une situation extrêmement agréable. Son inauguration eut lieu en 1860, alors sous le nom de passage Mirès. Il fut le dernier passage couvert édifié à Paris à l'époque d'Haussmann.
Les horloges témoignent de la proximité des relais des diligences. Il était crucial d'y lire l'heure.
Nous verrons d'autres horloges dans chaque passage. Au bout de celui-ci nous voici de nouveau sur le boulevard, histoire de pointer l'immeuble qui projette ses balcons sur le carrefour, et où il était de bon ton de se montrer. La toiture est en forme de pignon de pin nous dit notre guide, d'où l'expression "avoir pignon sur rue".
Son interprétation me semble fantaisiste. Le pignon désigne la partie supérieure d'un mur en forme de triangle et supporte la poutre principale de la charpente d’une maison ou d’un commerce. Par extension, l’expression a évolué en désignant le fait de posséder un bien immobilier plutôt riche.
Notre guide nous attend déjà, devant un porche de la rue Vivienne, dans une position qui lui est familière, pour nous donner quelques caractéristiques du style haussmannien.
Les toits d'ardoise ou de zinc sont inclinés à 45°. Les balcons courent au second et au cinquième étage. Pour faciliter la construction des murs, on a l'idée de numéroter les pierres de taille dans les carrières et les premiers occupants emménagent sans attendre que les plâtres aient eu le temps de sécher complètement. Comme ceux ci suintent d'eau on dit qu'ils doivent "essuyer les plâtres", ce qui est un désagrément important.
C'est dans la galerie Feydeau, du Passage des Panoramas qu'eut lieu en 1816, le premier essai d'éclairage public au gaz dont on a conservé un exemplaire. Il a été construit en 1799-1800 à la place de l'hôtel de Montmorency-Luxembourg. Son nom provient d'une attraction installée au-dessus de l'entrée : deux rotondes où étaient peints des tableaux panoramiques représentant des paysages de grandes villes.
Il abrite encore la boutique du graveur alsacien Henri Stern, qui date du début du XIXe siècle. Cet homme a inventé un procédé permettant d'authentifier les titres boursiers en insérant un filigrane dans le papier. Son imprimerie était surveillée 24 heures sur 24. C'est désormais aussi le domaine des marchands de cartes postales et de timbres-poste bien connu des philatélistes.
Le Théâtre des Variétés s'est installé à coté, en 1806 après que Napoléon 1er le chassa du Palais-Royal, où il faisait de l'ombre au théâtre Français (qui deviendra la Comédie française). Un décret impérial limitait alors à huit le nombre des théâtres parisiens. Mlle de Montansier, la directrice des Variétés, fut malgré tout autorisée à élever une nouvelle salle dont le répertoire devait se constituer de « petites pièces dans le genre grivois, poissard ou villageois ».
Une certaine grisette du nom de Myosotis nous y attend en tenue d'époque, un bouquet de violettes dans son décolleté généreux. Elle serait mêlée à la sombre affaire que nous devons démêler ...
On oublie la chambre de Stendhal qui s'écroule au numéro 50 mais on lève tout de même la tête parce qu'il subsiste d'anciennes plaques assez amusantes.
Le salon de thé, l'Arbre à Cannelle, conserve le plafond à caissons et des éléments de décor de l'ancien chocolatier François Marquis.
L'immeuble que traverse le passage Jouffroy a remplacé une maison célèbre sous la Restauration. Elle hébergeait, dans les années 1820, un si grand nombre d'artistes divers, comme Rossini, qu'on la surnomma la Boîte aux Artistes. Inauguré en 1847, il porte le nom du directeur de la société propriétaire de la voie. C'est le premier passage construit entièrement en fer et en verre.
La décoration apparaît relativement sobre avec principalement deux horloges qui ne sont pas forcément à l'heure. La configuration du terrain obligea les architectes à créer un décrochement en « L » à partir d'un escalier qui rattrape une légère déclinaison.
On y trouve des boutiques que l’on ne trouve pas ailleurs, et où on vient du monde entier comme la boutique de cannes de Gilbert Segas au numéro 1.
Le guide campe devant l'hôtel Chopin où il parait que l'homme n'est jamais entré... sauf que le musicien a beaucoup fréquenté le quartier car il habitait sur les Grands boulevards, au 27 boulevard Poissonnière pour être précise. En outre l'hôtel, modeste en terme de prix, est inscrit à l'inventaire des Monuments historiques et ses chambres sont charmantes.
Il jouxte un portique surmontée d'une composition historique, qui est l'entrée secondaire du musée Grévin, auquel j'ai consacré un billet spécifique.
Mlle Eclaircie invective notre guide. C'est une Lorette, comme on disait des femmes faciles qui habitaient dans le quartier voisin de l'église Notre Dame de Lorette.
Nous traversons la rue, laissant de coté la demoiselle en conversation animée avec un mauvais garçon. Nous voici Passage Verdeau, construit dans le prolongement nord du passage Jouffroy, pour relier la rue de la Grange-Batelière à la rue du Faubourg Montmartre, en 1847. Le 7 de la rue Grange Batelière n'a plus son gros numéro qui annonçait sa fonction. C'était le "bar de Vénus" où les frères Goncourt, peu avares de détails scabreux et fort amateurs de polissonnerie, avaient leurs habitudes.
Le négociant Jean-Baptiste-Ossian Verdeau était l'associé de Jouffroy. Il fut par ailleurs inventeur du système de location de linge aux hôtels et meublés. La proximité de l'Hôtel Drouot explique l'installation de nombreux antiquaires, collectionneurs de livres anciens ou decartes postales anciennes.
L'énigme se résout par l'intervention des trois comédiens-protagonistes. Et comme tout finit par des chansons ce fut l'Amant de Saint Jean qui mit tout le monde d'accord. Enfin presque parce que Xavier, sollicité à chaque arrêt, avait envie de se faire oublier ...
S'il y a bien une interrogation qui subsiste c'est pourquoi les comédiens ne citent pas l'opération Grands boulevards ni les noms des partenaires associés et devant lesquels ils stationnèrent comme le musée Grévin ou le Salon de thé le Valentin (dont les glaces sont très bonnes au demeurant ...) sans compter le restaurant les Noces de Jeannette qui se situe quasiment au tout début du circuit.
Un pass (non nominatif valable pour une personne) est délivré sur le premier site après achat d'un billet ou d'une prestation plein tarif.Il ouvre droit ensuite à des réductions chez tous les autres partenaires, 25 % chez Visites Spectacles.
Autres articles autour des Grands Boulevards :
La visite du Musée Gourmand du chocolat
Le Grand Rex et les Etoiles du Rex et les Noces de Jeannette
La Tour Jean Sans Peur et 4 Roues sous 1 parapluie
Le musée Grévin et le Salon de thé le Valentin
1 Paris 2 Rêve
Paris Story
Le Manoir de Paris
Le roman de Tonie Behar Grands Boulevards chez JC Lattès, paru en juin 2013
La Visite-Spectacle des Passages couverts a été imaginée et écrite par Etienne Mallinger - professeur d’histoire auteur de pièces de théâtres et de spectacles - et mise en scène par Romain Pissene
Départ à l’entrée du Passage des Princes ( coté Bd des Italiens), 75002
un samedi sur deux à 15 heures
1 commentaire:
Merci pour ce magnifique reportage
L'Equipe des Visites-Spectacles
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