L'expression est célèbre. On en aurait presque oublié la paternité, que l'on doit à Arthur Rimbaud. Et cela ne date pas d'hier mais de 1871.
C'est le titre de la nouvelle exposition que l'Espace culturel Vuitton propose jusqu'au 15 septembre 2013.
Il a pour l'occasion offert la vitrine de la rue Bassano et le hall à des étudiants de l'atelier des Beaux-Arts de Paris. Avec cet immense portrait de chat, Amaury Scharf nous jette le reflet de notre animalité.
Dans le hall, trois œuvres video déclinent la beauté mélancolique et heureuse d'espaces anonymes comme ce quartier filmé par Mélanie Feuvrier et qui nous semble inhabité.
Au septième étage ce sont huit artistes venant de pays et d'horizons différents qui font la démonstration de cette autre affirmation du poète : chacun est plusieurs autres. Leurs réponses sont soumises au
regard du spectateur dans une scénographie évoquant le yin et le yang.
En sortant de l'ascenseur, la lumière projetée à travers un trou de serrure géant invite à se prendre pour Alice et à suivre le regard de deux figures historiques. Respectivement Pierre Molinier puis Francesca Woodman.
Le premier oppose un minuscule autoportrait de 5 sur 6,4 cm, non daté, à un photomontage de 16 sur 8 cm, intitulé Moi à 25 ans, 1969, comme si nous étions dans l'intimité de son univers, entre des murs recouverts de toile de Jouy. Il se construisait un personnage pour s'évader, à la frontière entre fétichisme et transsexualité. C'est le regard d'André Breton qui le propulsera photographe surréaliste.
Il fut aussi graveur. C'est encore lui qu'il représente avec cette odalisque au corps féminin, mais sans nombril. Il se suicide à 76 ans.
Sur la droite, aucune des photographies de Francesca Woodman ne porte un titre. Elles illustrent toutes le thème du dédoublement. C’est son père qui lui offre à 13 ans son premier appareil photo. Les murs craquelés de la ville de Rome attisent sa passion.
Elle réalisera sa première exposition à 21 ans. Elle considérait cet art comme une thérapie et ne cesse plus de photographier son corps dans l'espace, sans jamais le révéler entièrement et en jouant avec le cadre et les contrastes. Elle se défénestre l'année suivante, en 1981.
Les artistes qui exposent ensuite sont nos contemporains. Tal Mazliach vit et travaille en Israël, recluse dans un kibbutz, près de Gaza, dont elle n'est sortie que pour venir au vernissage. Elle réalise quatre grands tableaux par an que son galeriste vient chercher pour exposer en ville. Elle aussi ne donne pas de titre et ne signe pas. On y reconnait pourtant spontanément des autoportraits. Elle est atteinte d'une maladie de peau génétique qui la couvre de tâches noires.
Ses peintures éclatent de couleurs et font entendre le cri de son anxiété existentielle. Elle n'emploie qu'un pinceau triple zéro, infiniment fin, et ses huiles sur bois sont traitées à la manière des mandalas. Chaque détail pèse comme le profil du singe dans chacun des pompons qui l'encadrent. Ou ces hélicoptères qui se suivent en une frise répétitive. Dans un sens ou dans l'autre, témoignant d'une société masculine hyper militarisée.
On ne s'étonne pas de lire "femme-singe" écrit en hébreu sur le tissu.
Kader Attia a produit Peau noire, masque blanc,
une sculpture spécifiquement pour l'exposition, qu'il est venu placer à
la croisée de deux chemins, le premier oriental, le second occidental,
et sur laquelle il a réglé lui-même les éclairages. L'ombre portée sur
le mur est à elle seule un geste artistique.
Il s'est inspiré d'un masque dogon d'oiseau aux pouvoirs magiques, en bois, qu'il a recouvert de fragments de miroirs, si bien que le spectateur y voit son propre reflet selon les perspectives induites par les angles différents.
Les deux séries de dessins de Reza Hazare, jeune artiste afghan né en Iran, interrogent la condition des réfugiés, nous montrant que si l'on est toujours l'étranger de quelqu'un on conserve toujours sa famille dans son cœur. L'exposition lui a donné, à lui aussi, la première occasion de sortir du pays où il est exilé politique.
Il ne travaille qu’à la mine de plomb, toujours sur du papier, et dans un unique format. Il réussit à donner la sensation du mouvement en dupliquant des éléments.
Le premier mur traduit des angoisses. Le second témoigne d'espérances. Les dessins deviennent à la fin joyeux avec des personnages qui jouent et dansent. Les femmes y volent représentant des anges modernes.
L'artiste s'exprime métaphoriquement pour signifier que la parole de l'homme peut siffler comme un serpent alors que d'autres parlent de leurs femmes comme de gentilles poulettes.
Un premier portrait de Leigh Bowery attire l’œil par ses couleurs et son format. C'est un polachrome de Werner Pawlok, tiré en 150 sur 100 cm.
Mort du sida à 33 ans, en 1994, Leigh Bowery aura fait de sa vie entière une œuvre d'art. Styliste, perfomer, créateur de club, créature de la nuit, il se compose régulièrement un nouveau visage et surenchérit d'extravagance.
Werner Pawlok, Leigh Bowery, Polachrome 2, 1988 (36x24 cm) tirage 150 x 100 cm
Une salle est composée à l'instar d'un cabinet de curiosité avec un des costumes qu'il portait, couché sur une méridienne, offert à tous les regards, derrière une vitre teintée. Il invente le mouvement "tranimal" et pour que son oeuvre subsiste après sa mort il se marie avec une femme qui devient de ce fait sa légataire en même temps qu'une œuvre d'art elle aussi.
La coursive surprend comme à chaque nouvelle exposition. Cette fois le mur est recouvert d'un enduit pour accueillir les réponses éphémères du jeune public à la proposition : soyez quelqu'un d'autre.
Ces dessins à la craie démontrent combien l'univers des mangas inspire les enfants.
Je reconnais dans le coin bibliothèque Monsieur cent têtes de Ghislaine Herbéra, aux éditions MeMo qui a reçu le prix du meilleur album pour la jeunesse en 2010 au Salon de Montreuil.
Dans la Rotonde, l'installation monumentale de Gil Yefman est une sculpture de laine entièrement crochetée par l'artiste, matérailisant les organes et les liquides corporels dans des rapports d'échelle sans commune mesure avec la réalité, et abolissant la frontière entre le masculin et le féminin. Il réalise son "tumtum" comme d'autres se lanceraient dans une thérapie. Le mot qui signifie impur en hébreu est aussi une insulte adressée aux transsexuels comme aux homosexuels.
Écoutez attentivement la bande-son de la video qu'il a réalisée spécialement pour l'occasion, nourrie de bruits organiques.
Enfin Tomoko Sawada emploie la photographie pour scruter les notions d'identité et de canons culturels à travers le dispositif de l'autoportrait. Elle se déguise et s'expose en double en revisitant le syndrome hello Kitty emblématique de la culture nippone "kawai" , ce qui veut dire "mignon" ... où notre regard occidental verrait un fantasme de soubrette.
Les points communs poussent à chercher les différences ...
Avec le livre, School Days, cette artiste va encore plus loin. L'uniforme est un code implacable et c'est toujours son unique visage que l'on reconnait dans chaque photo de groupe dans une vision quasi kaléidoscopique de la jeunesse estudiante japonaise
Parallèlement, l'Espace culturel organise des Rencontre improbables, qui sont des conversations libres pour aller plus loin sur le thème de chacune des expositions. J'ai eu la chance d'entendre Isabelle Coutant-Peyre, avocate, interrogée par Adrien Gardère, muséographe et designer, où Annabelle Gugnon, critique d'art endossait le rôle de modératrice.
Quand on demande à cette avocate, connue pour avoir défendu des terroristes qualifiés d'ennemis publics, on est surpris de l'entendre répondre sans aucune ambiguïté qu'elle voudrait un monde uniquement artistique, sans guerres, sans armes, sans militaires ... où les américains auraient cessé de se mêler de ce qui se passe ici ou là pour des raisons matérialistes.
Elle s'exprime avec douceur, mais fermeté, et irradie littéralement de générosité, soulignant que toutes les différences culturelles doivent être préservées ... pour ne pas disparaitre, et sans exercer aucune hiérarchie entre elles. Il est rare d'entendre une personne qui dégage un tel charisme.
Cela ne fait aucun doute pour elle que l'avocat porte les problèmes de ses clients. Si elle le pouvait elle s'attellerait à un livre dont elle a déjà le titre : Ma vie chez les autres.
Elle rappelle qu'un qu'avocat n'est pas un juge et qu'en conséquence elle n'a pas à donner son point de vue. Elle souligne qu'il est invraisemblable d'imaginer qu'un avocat exige de son client de savoir s'il est coupable ou innocent. A ce titre elle revendique la légitimité d'être bonimenteuse, ce que j'entends comme "mentir pour le bien" mais elle souligne aussi avec sagesse qu'il n'est pas question non plus d'inventer n'importe quoi.
De son coté Adrien Gardère est frappé par la double obsession de nos sociétés occidentales à investir dans l'immobilier et à transmettre son patrimoine à sa descendance. Son livre s'intitulerait : La chair et la pierre.
Tous deux regrettent de n'avoir pas le temps d'écrire et envisageraient en souriant d'avoir recours à un nègre ... qui serait leur autre "je" et qui accoucherait de leur âme. le sujet est plus que jamais d'actualité avec la sortie fin août en librairie du dernier livre de Bruno Tessarech, l'Art nègre, aux Editions Buchet Chastel. Si c'est un roman il n'en demeure pas moins vrai qu'il est nourri de sa formidable expérience de la négritude puisqu'il a écrit pour une trentaine de personnalités.
J'ai eu cette autre chance de le lire en avant-première et de le rencontrer pour en parler. L’article est à paraitre le 22 août.
Un livret a été conçu pour le jeune public avec des cartes qui composent un puzzle où vous aurez reconnu une des œuvres présentées à l'Espace.
Je est un autre jusqu'au 15 septembre 2013 à l'Espace culturel Louis Vuitton, 60 rue de Bassano, 75008 Paris, 01 53 57 52 03
Entrée libre, du lundi au samedi de 12 à 19 heures, dimanche et jours fériés de 11 à 19 heures
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