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lundi 10 février 2014

Belle arrière-grand-mère de Janine Boissard chez Fayard

On a l'habitude de rencontrer de beaux tempéraments féminins sous la plume de Janine Boissard. Chacun de ses derniers romans a pour personnage central ce qu'on appelle une maitresse femme, entourée d'amies, régnant sur une famille nombreuse et de plus en plus élargie. Il existe une forme de continuité entre ces livres, si bien que même s'ils paraissent les années paires chez Fayard, les années impaires chez Robert Laffont, le lecteur a le sentiment de lire une forme de saga. Il a fallu que j'aille vérifier les prénoms des personnages pour m'apercevoir qu'il étaient bel et bien indépendants les uns des autres.

Ce n'est pas Adeline (Une vie en plus) qui est devenue arrière grand-mère et Nils (Chuuut!) n'est pas en famille avec Crépin.

On oublie que les livres de Janine sont des oeuvres de fiction. Elle y insuffle tant de sa vitalité qu'elle en oublierait presque de maquiller la réalité. On frôle l'autobiographie. La Jo du roman (remarquez qu'elles ont les mêmes initiales) roule en Zeph, une voiture électrique et c'est une fonceuse ...

Elle est énergique et douce, volontaire mais toujours attentive aux autres, classe et moderne exactement comme vous pouvez imaginer Janine Boissard. Elle a deux filles que l'on prend pour des jumelles. Ceux qui connaissent l'auteure savent qu'elle a mis au monde des jumelles parfaites. Enfin elle est inconditionnelle des SMS qu'elle échange jusqu'à plus faim, plus soif avec sa descendance (p. 74). Impossible de ne pas reconnaitre Janine dans ce portrait ! Je renvoie ceux qui doutent encore à la jolie dédicace.

L'action se déroule en Normandie, une région qu'elle connait très bien. On retrouve les constantes habituelles : les grandes tablées familiales comme les déjeuners au resto entre copines autour d'une bouteille à col doré dans le seau de glace. La gourmandise est un de ses péchés mignons. Je ne vais pas lui jeter la pierre, moi qui apprécie comme elle le Pommerol au parfum de truffes (p. 226) et tout ce qu'elle nous confie aimer (p. 329).

Et surtout Jo, dite aussi Babou, se fait toujours l'avocate des enfants, quel que soit le problème auquel ils sont confrontés, qu'il s'agisse de leur place dans la famille, du poids d'un secret ou de maltraitance. Jo et Janine se rejoignent encore sur ce terrain.

Cette fois Janine "met le paquet". Pas de chagrin d'amour ou de sentiments contrariés qui éloigneraient le lecteur du thème central, à savoir l'enfance en souffrance.

L'écriture rend hommage au travail de l'éducateur (p. 271) et glorifie les valeurs familiales dans un style qui lui est propre, sans craindre les écarts de langage, pourvu qu'ils soient appropriés. Il arrive de piapiater, toute la sainte journée, de se trouver dans une situation bordélique (pardon), de claquer les paumes de main pour sceller un accord et le qualificatif de "salope" peut surgir (p. 300) sous le feu de l'indignation.

Mais que la situation soit tragique et le mot "chut" revient (p. 60, 80, 230 ...) comme pour signifier "je ne vous en dis pas davantage, vous m'avez comprise". Que retentisse Wagner ou Bach (sur les portables) et c'est l'urgence qui les anime, elle comme son Pacha de mari qui, derrière un surnom pépère cache un second surnom, de Commandant, qui s'accorde à son tempérament de justicier et qui n'hésitera pas à conjuguer la croix et la bannière (expression que j'entendais à la maison pour signifier au contraire une situation impossible à gagner).

Il n'y a qu'un domaine sur lequel je ne la suis pas, c'est lorsqu'elle se hasarde sur les phénomènes scientifiques. Si Archimède s'est bien exclamé Eurêka dans sa baignoire (p. 195) ce n'est pas parce qu'il constate que le niveau de l'eau monte mais parce que, en quelque sorte, c'est l'objet plongé dans le liquide (ou le gaz) qui  "monte", du fait qu'il subit une pression (de bas en haut équivalente au poids du volume déplacé).

Jo va de l'avant sans ressasser. Si elle donne des leçons, c'est d'optimisme et de volonté, d'aucuns diront de sagesse. On aide celui (de ses enfants) qui a besoin, sans comparer (p. 80). Quand on est assailli de soucis il faut segmenter. Un seul casse-tête à la fois (p. 56) nous dit-elle.

Le premier concernera un bébé qui surgira sur le paillasson alors que Babou n'est pas tout à fait prête à l'accueillir car le plus âgé de ses parents n'a que 18 ans. Elle-même, bien qu'âgée de 70 ans, est très active,  comme beaucoup de femmes que la vie plan plan n'intéresse pas. Elle ne s'imaginait pas devenir si tôt une arrière grand-mère.

Le terme de belle-mère nous est familier. Celui de belle arrière grand-mère ne l'est pas mais il fait allusion à tous les beaux enfants que Babou reçoit de partout. Avec la crise, les familles se ressoudent, et redécouvre les petits plaisirs qui font le grand bonheur et dont se sont privés bien des psycho-rigides à commencer par les parents de Janine Boissard qui m'a révélé que sa famille ne recevait pas les divorcés.

Justino et Haydée donnent le jour à une petite Adella ... Que ceux qui s'effraient de l'usage de prénoms un peu compliqués soient rassurés. Ils ne seront pas perdus car Janine a prévu une sorte d'arbre généalogique au début du roman. Ses personnages sont mariés, démariés, recomposés comme dans la vraie vie.

La deuxième épreuve, bien plus difficile, sera la perte de sa mère d'autant qu'elle se produit loin d'elle. C'est en portant secours à un jeune garçon victime de maltraitance psychologique auquel sa mère a donné la nuit (formule hélas très juste) que Babou grandira (c'est comme cela qu'on appelle aussi "faire le deuil") avant de pouvoir reprendre ses pinceaux pour réaliser son rêve, se remettre à la peinture.

Roman après roman, Janine Boissard aborde ce thème de l'enfance maltraitée qui la révolte tant. J'ai senti son écriture plus nerveuse, comme indignée, avec beaucoup de phrases courtes, parfois sans verbe, comme autant de pensées intimes offertes au lecteur. Avec aussi énormément d'injonctions impératives à la première personne du pluriel. Et quand il le faut les majuscules viennent en renfort. Ce qui chez d'autres figure en note de bas de page est  par elle inclus dans le corps du texte. Un bon moyen quand on sait combien les éditeurs n'apprécient pas ces apartés.

Bouteille de scotch trente ans d'âge, deux glaçons dans un haut verre, trois olives, une poignée de chips ... Surtout ne nous pressons pas (...) laissons aux minuscules rituels le temps de jouer leur rôle de bouées repères. (p. 273)

C'est exactement le programme que je vous suggère pour savourer Belle arrière-grand-mère. Et j'ajouterai qu'il sera amusant de constater que vous pouvez mettre abondance de glaçons dans votre verre. Le niveau du liquide restera constant au fur et à mesure qu'ils fondront, en application du fameux principe d'Archimède.

Belle arrière-grand-mère de Janine Boissard chez Fayard, sorti en librairie le 29 janvier 2014

1 commentaire:

Martine a dit…

Si je ne l'avais pas déjà lu, je le relirai bien volontiers tellement cette chronique est prenante, pognante, à l'image de Babou et de mon auteur préférée! Merci!

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