99 homes (prononcer ninety homes) ne sort pas pour Cannes mais le sujet est tellement crucial que j'ai voulu le présenter dans ces colonnes. C'est un film américain réalisé par Ramin Bahrani, sorti en 2014, présenté cette année-là en compétition officielle au festival international du film de Venise. Il a obtenu le grand prix du Festival du Cinéma Américain de Deauville en 2015.
Il a été tourné peu de temps après l'explosion de la crise américaine dite des subprimes dans les années 2008/2010.
Tous les Etats ne furent pas autant touchés mais ce sont des milliers de personnes qui se sont vues dépouillées de leur maison du jour au lendemain faute de pouvoir continuer à rembourser leur emprunt. Particulièrement en Californie, au Nevada et en Floride. C'est dans cet Etat, qui a tout pour faire le bonheur de ses habitants, que le réalisateur a choisi de tourner son film, en s'appuyant sur des faits réels.
On est à une encablure d'Orlando, la ville d'Epcot Center, le fabuleux Disney World que j'ai visité l'année de son ouverture en 1983. Je mesure donc tout à fait le contraste voulu par le réalisateur. L'immense richesse côtoie une misère qui est cependant masquée, au fond de motels qui deviennent des hébergements d'urgence pour les familles dont on a volé l'habitation.
Tout est dit au cours du premier plan, très long de trois minutes. La caméra balaie sur quelques mètres un homme ensanglanté (suicidé ou assassiné), la complaisance policière, la détermination glaciale de l'homme d'affaire Rick Carver (Michael Shannon) qui a fait fortune dans la saisie de biens immobiliers, le désappointement des voisins ... impuissants à éviter la saisie de la maison et qui a provoqué le drame.
Ça pourrait être la scène de crime d'un thriller. Le plan suivant est serré sur Dennis Nash (Andrew Garfield), père célibataire vivant avec sa mère et son fils, travaillant d'arrache-pied à la construction d'une maison, devant subitement quitter les lieux parce que le futur propriétaire n'a plus (lui aussi) de quoi régler les mensualités. Non seulement Dennis perd son travail mais en plus il ne touchera pas son salaire. Et de fil en aiguille il sera lui aussi victime de la banque qui lui a pourtant suggéré de suspendre ses mensualités.
Nos deux personnages principaux sont présentés. Leur rencontre est violente puisque le premier vient expulser le second ... Avant de lui proposer un job quasi miraculeux qui devrait lui permettre de récupérer sa maison, à condition d'à son tour expulser des familles entières de chez elles.
Outre l'excellent jeu des acteurs, il faut voir ce film pour comprendre comment une société corrompue peut étrangler des citoyens dont le seul tort est d'avoir cru au rêve américain. Soyez raisonnable monsieur, implore le policier chargé de l'exécution du mandat de justice autorisant l'expulsion.
On voudrait hurler à la justice, et aux banques, d'être précisément "raisonnables". Mais tout échappe à la raison, qui n'est que celle du plus fort. On comprend aussi que ce n'est pas que le résultat d'une crise de l'emploi. Les banques, très astucieusement, enjoignent leur client de suspendre les versements pour ensuite avoir un motif de plainte auprès des instances judiciaires, lesquelles appliquent "la loi" en 60 secondes chrono sans qu'un avocat puisse intervenir. La période d'appel ne suspend pas la décision d'expulsion.
Cela semble sans fin et sans solution. Aucun fusible n'est activable. C'est tout juste si la bonté des policiers accorde la faveur de 2 minutes de répit pour "avoir le temps" de prendre ses affaires les plus précieuses (bijoux, papiers d'identité, quelques vêtements) alors que des voleurs regardent la scène comme des rapaces. Les familles expulsées voient leurs biens étalés sur la pelouse et ils ont 24 heures pour tenter de les récupérer s'ils peuvent se payer un garde-meubles.
Dennis est un gros bosseur, pas un tire-au-flanc. Mais il n'est pas épargné et malheureusement l'engrenage dans lequel il se laisse entraîner est un pacte avec le diable.
C'est la loi, c'est pas moi qui l'ai écrite, se défend Carver. Oui c'est bien le drame. Il a la loi pour lui. Et assez vite on comprendra que il a une revanche à prendre parce que ce salaud à été victime lui aussi du système. Cependant et très astucieusement le réalisateur nous le montre aussi comme un trafiquant : il fait démonter des climatisations pour pouvoir ensuite se plaindre de leur absence et négocier des indemnités. Maitre dans l'escroqueries aux assurances, sa soif de réussite est sans limite et les pratiques mafieuses vont crescendo jusqu'à la falsification de preuves.
On retiendra cette démonstration terrible qui n'a jamais été autant d'actualité depuis les dernières élections américaines. L'Amérique ne sauve pas les perdants. Elle s'est bâtie pour les vainqueurs. Tout le monde ne montera pas sur l'Arche démontre Carver en utilisant la référence biblique : pour 1 qui sera sauvé 99 seront noyés.
On peut penser à la violence avec laquelle les premiers habitants ont dépouillé les indiens de leur terre et se dire que l'histoire se répète. L'instinct de propriété anime les familles, même si tout le monde n'a pas la même intensité de sentiments. Dennis est très attaché à la maison de son enfance (on remarquera qu'on distingue en anglais home-le chez soi de house-la maison) alors que pour Carter ce sont juste des toits.
On note aussi l'inflexibilité de sa mère, peut-être parce qu'elle est une femme, incapable de faire aux autres ce qu'elle refuse qu'on lui fasse. La fin est ouverte mais rien ne laisse supposer une happy end possible.
Et surtout on réalise combien nous sommes protégés en France : pas d'expulsion en hiver, délai d'appel, appel suspensif, droit à la Défense, quitte à bénéficier d'un commis d'office etc... Sans parler du soutien de la commission de surendettement qui bien sûr est une vue de l'esprit aux États-Unis. Et on espère que l'exemple américain n'inspirera personne dans notre pays.
2 commentaires:
Je l'ai vu à la télévision et effectivement, on voit très bien la spirale dans laquelle cette classe moyenne américaine est prise au piège des emprunts et complètement abandonnée, voire exploitée.
Par contre, ce sont les "subprimes" et non les "surprimes", le correcteur orthographique a dû sévir à ton insu.
Merci Bernadette, je ne vais pas vilipender le correcteur orthographique (d'ailleurs je me prétends plutôt experte en ce domaine) ... c'est ma propre erreur, mais je corrige bien sur.
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