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jeudi 26 avril 2018

La moutarde de Dijon ... chez Fallot

Etant née en Bourgogne, je suis une grande amatrice de moutarde, friande de toutes. Aller à Dijon et faire l'impasse sur cette spécialité était impensable. C'est tout de même le troisième condiment le plus consommé au monde après le sel et le poivre.

J'aurais aimé pouvoir visiter la Moutarderie Fallotdans ses bâtiments d’origine, à quelques pas des Hospices de Beaune.

J'ai dû me satisfaire, pour des raisons pratiques, de leur Boutique-Atelier dijonnaise de la rue de la Chouette qui est un lieu très bien conçu surtout en terme de dégustation, ce qui est un des aspects essentiels en gastronomie. Parce qu'on n'utilise que ce qui a d'abord réjoui nos papilles.

Fallot est la dernière moutarderie familiale artisanale et indépendante de la région alors qu'au XIX° elle faisait partie de la douzaine de moutardiers que comptait Beaune. Elle est labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant. Elle est dirigée depuis 1994 par Marc Désarménien, qui est le petit fils d'Edmond Fallot et qui avait rejoint son père dans l’entreprise en 1987.

On lui doit d'avoir contribué très significativement à la relance de la culture de la plante dont les graines servent à fabriquer le condiment. Elle avait disparu dans les années 50 au profit du colza. Depuis 98 des agriculteurs ont recommencé à semer les graines sur une surface qu'on estime aujourd'hui à 6000 hectares et qui devrait continuer à progresser.

De toute évidence cela ne suffit pas à fournir le matériau nécessaire aux moutarderies bourguignonnes qui toutes s'approvisionnent aussi au Canada, dont la Saskatchewan est la région la plus grosse productrice au monde.

Comme souvent dans le domaine des appellations, la confusion est largement entretenue autour de l'expression "moutarde de Dijon" qui se trouve être simplement une "recette de process". Cela signifie qu'elle peut être produite n'importe où en France, et dans le monde pourvu qu'on respecte la recette.

Par contre la "moutarde de Bourgogne" bénéficie depuis 2009 d'une IGP (Indication géographique Protégée). Elle est obligatoirement fabriquée sur le territoire bourguignon avec des graines produites en Bourgogne et du vin Blanc Aligoté de Bourgogne sous Appellation d’Origine Contrôlée.
Pour toutes les autres moutardes l'entreprise Fallot utilise plus de 60% de graines bourguignonnes mais elle a néanmoins pour objectif de broyer 100% de graines locales.

Le produit est immédiatement à l'honneur dans l'atelier. On invite la main de l'amateur à plonger dans un sac grand ouvert en lui promettant le bonheur, y compris aux morts pour leur vie future et on en plaçait dans les tombes.

Les origines de la maison Fallot remontent à 1840. C’est à cette date que Léon Bouley fonde à Beaune une fabrique de moutarde et huilerie, distinguée en 1903 par un diplôme de la Ville de Paris lors de l’exposition internationale. Son successeur Monsieur Jacob lancera en 1923 la fabrication de la moutarde au "pur verjus de Bourgogne". C'est en 1928 qu'Edmond Fallot permettra à l’entreprise de prendre son véritable essor.

Marc Désarménien, a repris la maison familiale avec l'objectif de maintenir sa spécificité tout en la dynamisant par des recettes innovantes, enracinées dans le terroir bourguignon et adaptées au goût du jour. L'entreprise Fallot exporte plus de la moitié de sa production dans plus de soixante pays, et notamment en Amérique du Nord et au Japon, friand de sa moutarde au cassis et de sa moutarde au yuzu.

Fallot reste une entreprise familiale et artisanale, d'une vingtaine d'employés dont deux maîtres moutardiers. Sa production annuelle de 2000 tonnes, pour un chiffre d'affaires d'environ 8 millions d'euros, la place quantitativement loin de ses concurrents mais sa notoriété est plus forte. Elle a été distinguée par plusieurs récompenses internationales.

On continue à préparer chez Fallot la moutarde selon des recettes transmises de génération en génération. Ils sont les seuls à broyer les graines grâce à des meules de pierre.

Elles ont plus ou moins la taille de celles que l'on peut apercevoir en s'approchant du dispositif photographié ci-dessous (et qui n'a rien à voir avec l'immense meule -à grains de blé- qui soutient le comptoir de vente).

Les meules fonctionne par paire. La volante tourne au-dessus de la gisante afin d'écraser les graines sur les stries. Cette méthode évite l'échauffement des graines au cours de la fabrication et préserve ainsi à la pâte toutes ses qualités gustatives.
On produit dans cet atelier, deux fois par mois, une moutarde qui a une triple particularité. Elle n’est pas protégée par une IGP, bien que la moutarderie utilise 100% des graines de moutarde de Bourgogne et un vin blanc de Meursault.

On ne peut pas dire qu'il s'agisse d’une moutarde de Dijon (qui elle est fabriquée à partir de vinaigre) ni d’une moutarde de Bourgogne (qui elle est fabriquée avec du vin blanc de Bourgogne Aligoté). Elle est néanmoins unique au monde et très appréciée des puristes pour sa saveur de vin très prononcée et sa pâte onctueuse. L'opération est suivie attentivement par les amateurs qui viennent spécialement à cette occasion rue de la Chouette.

L’histoire de la moutarde remonte à l'Antiquité quand Chinois, Grecs et Romains transformaient déjà la graine de sénevé (une plante herbacée crucifère à fleurs jaunes) pour des usages médicaux puis culinaires. Son usage s’est répandu en Europe, à partir du Moyen Age, grâce à ses vertus digestives notamment, dans les foyers de modeste condition, pour investir ensuite, à la Renaissance, les milieux les plus aisés.

Les moutardiers se sont installés là où il y avait de la vigne parce qu'on broyait les graines avec du moût de raisin d'où mousturm, moutarde. Il y a un acide qui devient piquant au contact de l'humidité. le phyloxéra détruit la vigne, et les cultures vont disparaitre.En 1634, la ville de Dijon impose à la profession de moutardier ses premiers statuts. La fabrication se répand alors à Beaune au milieu des vignobles, producteurs du verjus, ce suc de raisin vert qui vient donner à la moutarde bourguignonne une personnalité si particulière.

Depuis le XVIII° siècle, la moutarde de Dijon est composée de graines de sénevé, broyées avec du moût de raisin et du verjus (le suc acide des raisins verts), et de sel et poivre. Mais depuis les découvertes de Louis Pasteur, le verjus est remplacé par du vinaigre, d’alcool ou de vin, balsamique le cas échéant, qui offre toutes les garanties de régularité tant dans l’approvisionnement que dans la qualité gustative.

D'une manière générale, la fabrication de la moutarde se déroule suivant les étapes suivantes :
Le nettoyage
Les graines sont nettoyées, puis dirigées vers un tarare qui procède par vibrations et tamisage à l’élimination des graminées, parasites ou corps étrangers.
Le dosage et le trempage
Les graines sont pesées et transférées vers les cuves de trempage (vinaigre, eau, sel) pendant une quinzaine de jours. Cette opération a pour objet de faciliter la séparation de l’écorce et de l’amande. Une fois cette opération effectuée, le mélange sera envoyé par pompage sur de grosses meules de silex.
Le broyage
Comme je l'ai déjà mentionné l’une des particularités remarquables de la maison Fallot est de réaliser ce broyage par l’emploi de meules de pierre. Cette méthode traditionnelle de fabrication, à la différence des procédés industriels en usage dans d’autres entreprises, permet d’éviter l’échauffement de la pâte de moutarde et préserve ainsi toutes les qualités gustatives du produit fini. Les graines sont encore visibles dans cette pâte.
Le tamisage
C’est l’extraction de l’écorce (séparation de l’amande et du tégument). La pâte issue du broyage est pulsée vers des tamiseuses (grands cylindres inox micro-perforés comportant des rouleaux compresseurs). Seule la moutarde dite à l’ancienne n'est pas tamisée. Les graines (broyées) y sont donc apparentes. La moutarde dite de Dijon, à l'inverse, est nécessairement lisse. Ce produit accuse donc une perte importante (le son de moutarde est donné aux animaux pour les faire saliver à l'instar d'une pierre de sel, un complément azoté pour les ruminants).
Le son est incommercialisable mais certains chefs l'utilisent. Anne-Claire Guinard-Sonnet, glacière au 6 de la rue de la Chouette, l'incorpore dans une crème glacée, qui serait m'a-t-on dit délicieuse avec une viande. J'avais eu la chance de goûter il y a sept ans chez Bourgogne & Compagnie qui, malheureusement a fermé depuis un fromage appelé Délice de Pommard. C'est une création d’Alain Hess, (dont le grand-père fabriquait de l’emmental suisse), le mariage savoureux d’une pâte molle triple crème roulée dans du son de moutarde.
L'aromatisation
Cette étape est facultative. Elle concerne les spécialités.
Le stockage
La pâte, débarrassée de téguments est envoyée dans des foudres où elle séjourne plusieurs heures. Elle perd alors son amertume et, par réaction chimique naturelle, l’essence de moutarde se libère. Après avoir été désaérée, la moutarde est prête au conditionnement, et donc à la vente.
Le client peut choisir des bocaux ou le vrac et venir se réapprovisionner à la pompe. La seule condition est d'acquérir un pot de grès traditionnel de 250gr (5€ la première fois), qui sera par la suite rempli pour seulement 2€. Le dispositif est écologique et économique et le choix est assez large, avec six saveurs fondamentales :
- la moutarde dite à l'ancienne, où l’intégralité des graines est conservée. Le piquant du produit est de ce fait moins intense mais reste un produit de grande gastronomie.
- la moutarde de Bourgogne IGP, fine et forte à base de vin blanc Bourgogne Aligoté
- la moutarde au Meursault produite et vendue uniquement à Dijon
- la moutarde de Dijon forte à base de vinaigre (traditionnelle) qui est la référence incontournable lorsque le broyage a été fait sur meule.
- la moutarde au Cassis de Dijon qui a la couleur et le goût fruité de cette baie, traditionnellement plantée au milieu des vignobles.
- la moutarde au miel et vinaigre balsamique, à la saveur aigre-douce, qui est, de toutes les moutardes parfumées, la plus facile à utiliser. C'est la référence qui a la préférence de la clientèle. On pourrait   croire à une recette contemporaine alors que le miel était déjà associé à la moutarde sous les romains. 
Pour préférer il faut avoir goûté. Marc Désarménien l'a bien compris. Il a installé un bar où huit variétés sont accessibles en libre-service. Celui qui le souhaiterait (et qui en aurait la capacité gustative) pourrait tester les 33 saveurs en s'adressant au personnel très compétent qui travaille dans la boutique.

J'ai dû moi-même en savourer (n'oubliez pas que j'adore la moutarde au point d'être capable d'en faire des tartines) une bonne quinzaine, peut-être davantage, y compris la gamme Bernard Loiseau, qui existe depuis 2015 et que j'ai re-découverte, avec 4 recettes sophistiquées, toujours accompagnées du conseil du chef sur l'étiquette. La version "aneth et citron" renforcera la fraîcheur de salades festives, ou d'un saumon mariné. La fleur de noisette et vanille Bourbon conjugueront douceur et gourmandise sur des volailles et des noix de Saint-Jacques.

Le choix sera difficile au moment d'élire celles que je ramènerai parce que même si le produit n'est pas onéreux. La plus chère est la moutarde à la truffe ... mais de Bourgogne ! (6 € les 100 grammes) mais la moutarde de Bourgogne reste un produit populaire à 2, 50 €. Même la gamme Loiseau reste à 3 euros comme toutes les autres saveurs en 100 grammes. Très franchement la moutarde est un cadeau plus appréciable qu'un bouquet de fleurs ... périssables. Mon seul frein est le poids qu'elle pèserait dans ma valise.

J'ai retenu "feuilles de coriandre & orange confite", parce que j'adore la coriandre et que je vais m'amuser à créer une recette qui ne soit pas à base de fruits de mer comme je le vois très souvent avec cette moutarde. Par exemple dans la sauce vinaigrette d'une salade multicolore associant chou-fleur, radis en lamelles,  avocat, ciboulette et rondelles de pommes de terre Vitelotte :
Egalement cèpes et thé fumé, pour leur évocation d'un sous-bois automnal, qui sera parfaite avec une volaille, ou un poisson, pas forcément fumé.

On utilise facilement la moutarde pour muscler une vinaigrette. Elle est essentielle dans la mayonnaise. Parfois on en tartine généreusement une viande avant de la rôtir. Il est alors pleinement justifié de l'acheter en bocal d'un kilo. Pensez juste à la conserver ( 6 mois à 1 an) au réfrigérateur, sous peine de perdre son piquant. A l'inverse si vous voulez l'éviter, tournez vous vers la moutarde douce qui est passée deux fois à la meule.

On pense moins à l'incorporer dans une crème montée au fouet ou avec un petit batteur. Une fois l’assaisonnement rectifié en sel et poivre il suffit de la mettre en poche pour garnir des petits choux (ou des gougères, grande spécialité bourguignonne) ou simplement disposer des tourbillons sur une assiette à coté d'une viande.

Je recommande particulièrement celle qui est enrichie par le véritable pain d’épices de Dijon de la maison Mulot & Petitjean (que j'avais visitée le matin même) où le miel, les épices et les extraits naturels de fruits apportent une touche surprenante. On l'imagine sur un magret de canard, un travers de porc et dans une sauce évoquant l'Asie.

Onctueuse et savoureuse, la moutarde aux noix (du Périgord) créera l’originalité dans une salade d’endives, ou même sur une banale salade verte.

La romarin sirop d'érable sera idéale pour un barbecue. Et miel et figues dans un feuilleté au chèvre. Chacune a son intérêt et le rôle explicatif de l'étiquette ou de la vendeuse est déterminant.

On imagine l'effet de la moutarde au curry de Madras, détendue dans une crème de coco, sur un poisson cuit à la vapeur. Je l'ai testée avec des asperges dès mon retour.
La moutarde au Pinot noir de Bourgogne mérite d'être essayée. Un mélange subtile et parfumé de moût de raisin, de graines de moutarde et de Pinot noir de Bourgogne. Avec sa robe pourpre et sa saveur mariant délicatement le fruit et les épices, cette moutarde accompagnera à merveille un bon pot-au-feu, un magret de canard, une viande rouge ou un gibier.

Toutes ont leur particularité. Refusant l'extravagance, les moutardiers savent malgré tout rechercher des saveurs nouvelles et des mariages originaux. Le yuzu apporte la note exotique qui est tant à la mode depuis quelques mois. Cette variété pourra se substituer au wasabi. La couleur verte de l'estragon est surprenante alors que le basilic a la douceur méditerranéenne. Le piment d'Espelette se révèle en fin de bouche et je la ferai goûter à Christian Etchebest. Les amateurs de piquant se tourneront vers la version poivre vert.

On trouve aussi d'autres produits bourguignons comme les cornichons Marc que j'aime tout autant lorsque je n'ai pas le loisir de les préparer moi-même.

Je me demande si on peut ressortir de la boutique atelier sans avoir eu un coup de coeur. On peut trouver les principales références dans les grandes épiceries et chez les grossistes parisiens, demi-gros comme Detou (rue Tiquetonne). Fallot n'ayant pas de e-boutique il faudra venir à Dijon ou à Beaune en particulier si vous cherchez des saveurs originales.

Vous l'aurez compris, cette Boutique-Atelier est un lieu unique, surprenant et interactif, alliant tradition et modernité, saveurs et caractère, force et finesse, subtilité et piquant !

Pour ceux qui veulent en apprendre davantage, deux formules ont été conçues par la Maison Fallot qui a su préserver intact son patrimoine historique qu’elle a décidé de présenter depuis 2003. La première est un parcours interactif se déroulant dans le bâtiment napoléonien qui a abrité la moutarderie d’origine depuis 1840 (31 faubourg Bretonnière 21200 Beaune, Tel : 03 80 22 10 10). Des jarres, des tamis sur table, de vieilles courroies de transmission, des tarares et surtout des meules témoignent du savoir-faire artisanal du XIXème siècle.

Pas question cependant de céder à la tentation de la nostalgie. Une maquette animée en 3D montre comment les matières premières descendaient du stockage (situé au grenier) vers le conditionnement (situé au rez-de-chaussée). Un mur d’images reproduit les gestes du moutardier d’aujourd’hui. Des chefs s’adressent aux visiteurs, par vidéo interposée. La petite taille des groupes de visite permet à chacun d’essayer de fabriquer sur place sa propre moutarde qu’il dégustera à la fin de la visite.

Une autre formule a rendu accessibles les ateliers actuels de production grâce à un parcours entièrement vitré, une mise en scène révolutionnaire et l’utilisation de moyens visuels, sonores et sensoriels très sophistiqués. On peut suivre en direct toutes les étapes de la transformation de la graine de sénevé : depuis le silo de stockage jusqu’au conditionnement du produit fini.

La Moutarderie
Boutique-Atelier Fallot ouverte 7 jours sur 7
16, rue de la Chouette
21000 Dijon
09 54 04 12 62

En attendant la publication de recettes sur le blog je vous invite à lire d'autres articles où il est question de Bourgogne. Notamment une journée passée à la School of wine. Et un restaurant pour lequel j'ai eu un coup de coeur, Hu Po, 2 boulevard Georges Clemenceau, Place république, 21000. Il propose une succulente cuisine du Sichuan, avec des produits frais et chaque jour un menu midi avec au choix 2 entrées / 2 plats / dessert (dont les fameuses boules jaune d'œuf qui sont une pure merveille) pour 12€.
 

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