Qui dit été dit Hilderbrand et l'année 2023 ne faillira pas au rituel. J'avais adoré, le mot n'est pas excessif, Eté après été que j'avais savouré l'an dernier.
En ouvrant Un dernier été j'espérais retrouver la même atmosphère. Certes nous sommes encore à Nantucket, à 12 heures d’ici, dans l’ancienne capitale mondiale de la chasse à la baleine, surnommée l’île des rumeurs (p. 132), une station balnéaire que l'auteure connait dans les moindres recoins depuis qu’elle y a élu domicile. Mais le thème qu'elle a choisi cette fois se concentre davantage sur l'amour d'une mère pour ses enfants.
C’est probablement, elle s’en explique dans les remerciements, le plus personnel de ses romans et ses motivations imposent le respect.
C'est aussi, il me semble, le plus américain de ses romans, à commencer par les titres des chansons mentionnées. Le mari du personnage principal engloutit au petit déjeuner une banane tartinée de beurre de cacahuète. On ne s'étonne pas qu'une personne de 80 ans doive travailler pour arrondir ses fins de mois en faisant un petit boulot d'agent d'entretien (p. 245). On consomme une quantité phénoménale d'alcools et de cocktails et on avale un anxiolytique aussi facilement qu'autrefois on mâchait un chewing-gum.
Je serai malgré tout indulgente puisque la tequila préférée de Vivian est la Casa Dragones, que j’ai eu le plaisir de savourer lors d’un repas spécial.
On se fournit en sandwichs dans des guinguettes spécialisées qui rivalisent en terme de recettes dont l'auteure ne se prive jamais de nous donner la liste des ingrédients. La description du petit-déjeuner pantagruélique (p. 103) suffit à nous caler. Et on respecte la coutume d'apporter des plats cuisinés chez les familles en deuil (p.181). Cette tradition est un témoignage d'empathie à l'égard de ceux qui ont beaucoup d'autres responsabilités et d'autres soucis que de se préparer des repas. Même si la conséquence est d'avoir souvent des réfrigérateurs et des congélateurs qui débordent de nourriture. Cela étant, la nourriture peut être laissée à disposition des visiteurs sur un buffet où l'on peut se remplir une assiette et s'installer sur un fauteuil, un canapé, ou même rester debout, pour manger. En tout cas on comprendra que c’est à travers la nourriture que Vivi exprime le mieux son amour à ses proches (p. 22).
Bien sûr les conventions sociales sont très présentes ainsi que les croyances. On ne s’étonnera pas de lire l’encouragement de l’ange gardien à « garder la foi » ( p. 265) y compris pour des choses somme toutes égoïstes comme le positionnement d’un roman en tête des ventes, à moins que ce ne soit à considérer au second degré. L’auteure ne manque pas d’humour comme en témoigne son allusion à notre président Mitterand quand elle accuse son mari de se prendre pour lui avec sa jeune maîtresse (p. 145).
On s'étonnera par contre de l'usage abusif du téléphone au volant, notamment pour taper des textos (p. 185). Rien d'étonnant à ce que cette utilisation soit devenue la première cause de mortalité routière devant l’alcool, en provoquant en 2012 plus de 100 000 accidents et la mort de 3 000 jeunes conducteurs. C’est d’ailleurs cette population qui est la plus concernée par ce phénomène. 80% des jeunes américains avouent manipuler leur Smartphone en conduisant.
Pour tenter d’endiguer ce phénomène, des mesures législatives ont été prises dans certains états américains pour interdire l’envoi de SMS au volant. C’est le cas dans le Massachusetts où se situe Nantucket. Les appareils électroniques mobiles ne peuvent pas y être utilisés pour écrire, envoyer ou lire un message électronique (y compris les SMS, les courriels, les messages instantanés ou l’accès à l’Internet) pendant la conduite, et les contrevenants sont passibles d’une amende de 100 $, voire 500 à la troisième récidive avec un risque de retrait de permis. Ces mesures doivent être peu efficaces puisque les conducteurs persistent dans le roman.
Il y a d’autres choses très contemporaines comme l’usage (abusif et malsain) des réseaux sociaux, et la protestation d’une lectrice quant à la présence de points exclarrogatifs (interrobang en anglais) qui ne sont pas correctement typographiés (p. 139). J’ignorais le terme dont l’intérêt est de ponctuer une phrase qui est autant interrogative qu’exclamative, sans prédominance, et peut remplacer l’usage successif du ? et du ! dont la juxtaposition est inélégante. Mais qui a jamais vu ce signe, au demeurant absent dans ce roman ‽ Je ne suis pas peu fière de l’employer pour la première fois, et ce ne fut pas simple de trouver la combinaison de touches sur mon clavier …
J’ai adoré les touches d’humour d’Elin Hilderbrand (qui se complimente elle-même p. 140 à ce propos). Elle ironise à merveille à propos de la version britannique du Meilleur pâtissier (p. 178). Elle n’abandonne pas le genre sentimental mais elle flirte cette fois avec le polar. On retiendra que tout contact laisse une trace (p. 133) comme le répète souvent l’inspecteur en recherche d’indice. Autrement dit on ne peut pas effacer tout.
C’est un peu conventionnel et surtout très américain (pardon de me répéter) à propos des codes sociaux et de quelques a priori sur les noirs, même si on y glorifie à juste titre l’action d’Anna Gardner (1816-1901) native de Nantucket, enseignante et ardente abolitionniste (p. 144). Le roman est plutôt bizarrement construit, avec des retours en arrière désordonnés, et j’ai noté quelques incohérences. Mais l’art de l’auteur est bien reconnaissable à sa manière de procéder à des descriptions incomplètes de ses personnages pour garder le secret d’éléments cruciaux qui seront distillés au juste moment.
Vivian Rose, dite Vivi, s’apprête à faire la promotion de son nouveau roman quand elle est brutalement renversée par une voiture. Nous allons la suivre tout l’été dans un espace temporel très spécial puisqu’elle dispose de trois mois pour continuer à surveiller les gens qu’elle aime depuis le ciel où un ange l’accompagne, la soutient et lui a octroyé la possibilité de trois coups de pouce pour corriger la trajectoire de vie de ses proches.Ses principales préoccupations se portent sur ses trois enfants, Willa qui va enfin être de nouveau enceinte après des fausses couches à répétition, Carson, barmaid excessive en tout, et Leo qui est tiraillé entre sa petite amie et son désir de liberté. On suivra aussi avec elle des personnages secondaires mais essentiels comme le père de ses enfants et sa nouvelle petite amie, son ex-compagnon, un amour de jeunesse, les amis de ses enfants et la high-society installée à Nantucket.
Il y a quelque chose de l’ordre des récits imaginés par Marc Levy, et pas seulement parce que l’au-delà occupe la plus grande place. Toute mère ne peut qu’être en affinité avec Vivian et souhaiter, comme elle, le meilleur pour ses enfants, malgré leurs défauts et leurs conduites à risques. Et malgré toutes les difficultés à leur prodiguer la meilleure éducation, qu’elle souligne dès les premières pages : être la mère de trois jeunes adultes requiert finalement autant de patience qu’élever de tout petits enfants. Personne n’en parle, comme s’il s’agissait d’un secret honteux (p. 19), ce qui est à mettre en lumière par rapport à la volonté de Vivi de détourner plus tard son fils de l’usage abusif des médicaments (p. 257).
Les fidèles lecteurs des Escales remarqueront la citation que comportera la pierre tombale de Vivi (je en spoile rien quoique son décès est annoncé dans les premières pages), empruntée à Camus : Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible (p. 438) et penseront à Catherine Bardon qui l’utilisa pour le dernier opus de sa saga.
Un dernier été est une jolie histoire où les sentiments sont forts et qui a aussi le mérite de nous rappeler que l’amour que l’on porte à nos proches ne doit jamais être différé. L’ange gardien a raison de le souligner : vos trois enfants finiront bien par devoir apprendre à vivre sans vous. Pour le reste de leur vie. L’été va se terminer, Vivian. L’été se termine toujours. (p. 259) Mais d’ici là l’amour peut faire des miracles.
Un dernier été d'Elin Hilderbrand, traduit de l'américain par Alice Delarbre, Les Escales, en librairie depuis le 1er juin 2023
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