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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 20 septembre 2025

Je suis solognot … mais je me soigne de Dominique Labarrière

J’avais reçu il y a déjà un moment une version numérique de Je suis solognot … mais je me soigne mais j’avoue que lire sous ce format ne passe jamais en priorité devant les livres papier. Il m’arrive aussi d’oublier ces fichiers qui ne se rappellent pas à moi, à l’inverse d’une couverture qui me fait de l’œil quel que soit l’endroit où elle a été posée.

Etant en ce moment au Mexique la concurrence ne s’exerce plus et j’ai exploré les ouvrages qui attendaient dans le fichier Téléchargements.

La Sologne est au coeur de la vie et de l’oeuvre de Dominique Labarrière, un enseignant, journaliste et écrivain né à Gien, en bordure de ce territoire que je croyais connaitre bien.

Son ouvrage offre un regard personnel que l’auteur reconnaît avoir écrit dans un esprit de  "nostalgie heureuse". Il est extrêmement documenté sur une région richissime sur le plan historique. J’ai appris énormément de choses que je ne soupçonnais pas, étant restée principalement à des images traditionnelles d’étangs et de forêts, de pins et de bruyère, de pêche et de chasse pratiquées par les habitants de petits villages aux charmantes maisons de brique ou par de riches propriétaires disposant de vastes domaines entretenus par des garde-chasses.

J’ignorais que l’auteur de Thierry la Fronde, le héros que j’admirais sur la télévision en noir et blanc de mon enfance, était originaire de Mennetou-sur-Cher où il habitait le prieuré, vestiges d’un ancien monastère. Et surtout je ne soupçonnais pas que ce village avait pour spécialité l’andouillette à la ficelle à laquelle une foire est dédiée chaque année.

J’ai été intriguée par le train-tortillard, dont je n’avais jamais entendu parler, la faute au fait que j’utilisais la voiture pour circuler en Sologne. J’essaierai de suivre le conseil de le prendre (p. 125) pour aller visiter le château de Valençay.

Il est horrible d’apprendre que Romorantin, tout comme Paris, a failli être détruite mais que les deux villes ont été sauvées car les ordres d’Hiler n’ont pas été exécutés (p. 135).

Vous connaîtrez en le lisant l’étymologie du mot énergumène. Et vous en saurez davantage sur les coutumes de Noël, en particulier sur la tradition du terfou (dont j’ignorais tout). C’est le nom de la buche, la plus grosse possible, qu’on met dans la cheminée juste avant de partir pour la messe de minuit (p. 143). Il doit, selon les villages, tenir trois jours, parfois le temps des trois messes de Noël, ou même jusqu’au premier janvier.

jeudi 18 septembre 2025

Promis le ciel, un film de Erige Sehiri

La compétition du festival Paysages de cinéastes ne comportait qu’un seul second long-métrage, celui de la réalisatrice franco-tunisienne Erige Sehiri avec qui on avait fait connaissance en septembre 2022, à ce même festival, où son premier film, Sous les figues, racontant la naissance de relations amoureuses dans la jeunesse rurale tunisienne pendant la récolte estivale, avait été projeté en compétition. un portrait sensible de la jeunesse rurale. Le film avait été aussi présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes et était devenu la candidature officielle de la Tunisie aux Oscars 2023.

Promis le ciel a ému le public comme les jurés, surtout les membres du Jury des Jeunes qui a été sensible à sa dimension chorale et à l’intention de la réalisatrice de rendre visibles les invisibles et lui a décerné son Prix.
Marie, pasteure ivoirienne et ancienne journaliste, vit à Tunis. Elle héberge Naney, une jeune mère en quête d’un avenir meilleur, et Jolie, une étudiante déterminée qui porte les espoirs de sa famille restée au pays. Quand les trois femmes recueillent Kenza, 4 ans, rescapée d’un naufrage, leur refuge se transforme en famille recomposée tendre mais intranquille dans un climat social de plus en plus préoccupant.
Tout a commencé par la rencontre avec une journaliste ivoirienne basée à Tunis dont Érigé Sehiri a appris au fil des entretiens, et par hasard, qu’elle exerçait un second métier, celui de pasteure évangélique et qui venait de créer sa propre église avec l’objectif de soutenir les femmes au maximum. Elle a inspiré le personnage de Marie (Aïssa Maïgaqu’on voit diriger son église comme une entreprise.

On pense que les mouvements migratoires se font essentiellement depuis le continent africain par bateau vers l’Europe alors qu’ils n’en représentent que 20%. La migration interne à l’Afrique est donc très importante (pour 80 %), nous rappelant combien la Tunisie fait partie de ce continent africain. Il a donc semblé essentiel à la réalisatrice de revendiquer l’identité africaine de la Tunisie qui fut tant blessée ces dernières années, surtout la communauté subsaharienne qui y vit. On peut en effet être musulman, arabe et africain.

Promis le ciel raconte plusieurs parcours individuels de déplacement qui sont tous la conséquence d’un énorme espoir. La réalisatrice est partie de la chanson éponyme de Delgres pour écrire le scénario de ce film, avec Anna Ciennik et Malika Cécile Louati. Ce groupe de blues créole ou caribéen français s’est formé en 2016, et son nom est un hommage à l'anti-esclavagiste antillais Louis Delgrès. En écoutant leur chanson à la fin du film on ne peut que constater que les paroles résument totalement l’ensemble et se réjouir que le groupe Delgres ait donné l’autorisation d’utiliser son titre. « On m’a promis le ciel, en attendant je suis sur la terre, à ramer. » La promesse du ciel, a déclaré la réalisatrice, fait référence aux promesses du droit, de la solidarité, des parents à leurs enfants, des gouvernements à leurs citoyens, de la religion, de ce qui nous attend ailleurs, demainLes paroles de la chanson sont tragiques et pourtant elles insufflent de l’énergie, à l’instar de ces femmes qui, malgré la précarité de leur situation nous communiquent leur détermination.

Déjà en 2016, à l’occasion de recherches pour un court métrage documentaire Erige Sehiri avait rencontré des jeunes d’Afrique subsaharienne venus poursuivre leurs études en Tunisie, et ce bien avant la vague migratoire vers l’Europe qui a suivi. Ils étaient sénégalais, congolais, camerounais, ivoiriens, toutes et tous issus de différentes classes sociales. C’est parmi eux qu’évolue le personnage de Jolie (Laetitia Ky), qui est la seule des quatre femmes à avoir des papiers en règle. Mais, étant concentrée sur ses études elle ne s’identifie pas à la communauté dans laquelle elle vit, jusqu’à ce qu’elle subisse sans aucune raison apparente d’horribles violences policières. Laetitia Ky est actrice autant qu’artiste. Vivant à Abidjan, elle est connue pour ses sculptures capillaires que l’on peut voir sur Instagram. Elle utilise ses cheveux comme un médium artistique et militant, transmettant des messages sur l’estime de soi, l’égalité des genres et la beauté noire.

Hormis pour le personnage de Marie, interprétée par une actrice française d’origine malienne, la réalisatrice a fait appel à des comédiennes toutes ivoiriennes, ce qui ajoute de la crédibilité à l’interprétation, et en particulier pour le personnage de Naney (Debora Lobe) qui incarne le destin de toutes ces femmes, venues seules en Tunisie, ayant dû laisser leurs enfants en Côte d’Ivoire … et pour cause puisque c’était exactement sa propre situation, refusant de gagner sa vie comme femme de ménage ou nourrice, fréquentant aussi des Tunisiens, parlant un peu cette langue, dégageant à la fois force et fragilité, et un humour à toute épreuve … et sur le point réellement de s’engager dans la traversée.

La fillette, Kenza, une orpheline d’origine incertaine, mais sans doute née en Tunisie, est un peu l’enfant de tout le monde. On la découvre dès le début du film en mémoire d’une petite fille de cinq ans qui avait péri lors d’un naufrage en Méditerranée. Sa présence parmi les trois femmes adultes va faire office de carburant pour les faire évoluer, en particulier Marie qui souhaite la garder à ses côtés dans son église, et Naney qui se verrait bien partir avec elle pour faciliter son insertion en Europe. L’enjeu est important et inquiète Marie qui interroge Noa (Blamassi Touré), son ami et guide spirituel : Doit-on la remettre aux autorités pour qu’elle soit reconnue pupille de l’Etat ou la garder dans la communauté de l’église de la Persévérance ?

Blamassi Touré est réellement non-voyant, militant des droits humains dans la réalité, vivant en Tunisie depuis 15 ans. Ce personnage amène une référence biblique. Il connait cette femme mais mesure aussi les enjeux politiques et cherche à la protéger. Garder cet enfant représente un danger, dans la mesure où les églises évangéliques sont régulièrement accusées de trafic d’enfants vers la Méditerranée, et sont considérées comme des foyers de migration illégale. Kenza est donc un risque pour Marie, un enjeu pour Naney, une consolation pour Jolie, si bien qu’on oscille régulièrement entre solidarité et individualité, et entre dépendance et liberté. J’ai été étonnée par la réponse de l’enfant à Marie, dans les premières minutes, à la promesse : On va bien s’occuper de toi … Je veux pas répond Kenza. Elle exacerbe sans doute aussi plus tard les interrogations de Naney sur sa capacité à être une bonne mère avec sa fille restée au pays.

Le spectateur comprend nettement que, tout en vivant ensemble, Marie, Naney et Jolie ont des objectifs différents. Cette dernière ne se sent pas très à l’aise avec les deux autres, un peu emprisonnée, y compris économiquement, et aspire à plus d’indépendance. Marie est déjà (bien) installée dans son nouveau pays, la Tunisie, tandis que Naney, en transit, est indécise face à son avenir - rester ou traverser.

Hormis Noa, les hommes qui gravitent autour de ces trois femmes et de la fillette, sont rarement positifs, à commencer par les policiers. Le bailleur du local loué pour servir d’église (Mohamed Grayaâ, très grand acteur tunisien) campe un propriétaire comme ceux qui louaient des logements à des Subsahariens sans se poser trop de questions, jusqu’au jour où les autorités du pays ne le tolèrent plus et qu’ils se sentent eux-mêmes menacés. L’ami de Naney, Foued (Foued Zaazaa) joue double jeu, profitant de la moindre situation avec pour seule excuse d’être chômeur et de subir la crise économique. La scène de la trotinette, soit disant offerte à Naney, est révélatrice de son opportunisme.

On s’attache à chacune, bien qu’aucune ait des objectifs différents. Plusieurs très jolies scènes mettent en lumière leur complicité. Celle du bain de Kenza, au tout début, la fête d’anniversaire de Naney, mais aussi un match de football où Marie s’avère excellente, accompagnée par une musique très bien choisie. Je signale à cet égard que la bande-son du film est signée par Valentin Hadjadi.

J’ai aussi été sensible à la photo réalisée par Frida Marzouk (qui a travaillé avec Abdellatif Kechiche pour La vie d’Adèle en 2013). La ville de Tunis est souvent floutée, ne prenant jamais le pas sur les actrices, et permettant aussi de conserver un certain mystère sur les lieux qui ont été filmés sans compromettre leur sécurité future.

On comprend mieux la vie de ces communautés subsaharienne vivant dans des mondes parallèles, avec leurs propres bars (qu’ils appellent les maquis comme on l’entend dans le film), leurs discothèques, leurs commerces et leurs églises, installées dans des maisons d’habitation, où les fidèles ne vont pas seulement pour prier mais surtout pour se protéger de la réalité hostile qui les entoure.

Je me suis réjouie d’apprendre que Promis le ciel fut le premier film tunisien à faire l’ouverture d’Un certain regard à Cannes en mai dernier.

Pourtant, même si c’est un hasard du calendrier, il fait hélas écho aux propos du président de la République de Tunisie sur les migrants. Ce pays dont tant d’émigrés vivent à l’étranger est incapable de traiter dignement les migrants qui arrivent sur son territoire. La réalité a rattrapé la fiction après une vague de rafles et d’arrestations et pourtant tout en se rapprochant d’un réalisme documentaire Promis le ciel réussit à demeurer un film de fiction narrative, composé de beaux portraits de femmes dans une mise en scène profondément humaine, et résolument intemporelle.

Au-delà de son travail de cinéaste, Erige Sehiri défend la liberté d’expression et l’éducation aux médias. Elle est cofondatrice du média indépendant Inkyfada et de l’ONG tunisienne Al Khatt. Elle est également membre fondatrice du collectif Rawiyat – Sisters in Film, qui soutient les femmes cinéastes du monde arabe et de sa diaspora.

Promis le ciel, un film de Erige Sehiri
Scénaristes : Erige Sehiri, Anna Ciennik, Malika Cécile Louati
Avec Aïssa Maïga, Laetitia Ky, Debora Lobe, Mohamed Grayaâ, Blamassi Touré, Foued Zaazaa …
Valois de la mise en scène, Festival du Film Francophone d’Angoulême 2025
Valois de la meilleure actrice pour Debora Lobe Naney, Festival du Film Francophone d’Angoulême 2025
Valois du scénario, Festival du Film Francophone d’Angoulême 2025
Prix du Jury de la Jeunesse Du festival Paysages de cinéastes 2025 
Date de sortie : 26 novembre 2025
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Rappel du palmarès du 23ème festival Paysages de cinéastes

Compétition des Longs métrages
Prix du Grand Jury, Prix du Jury des Femmes et Prix du Public: Sorda de Eva Libertad Garcia
Prix du Jury de la Jeunesse : Promis le ciel de Erige Sehiri

Compétition Jeune Public : Olivia de Eva Libertad Garcia

Compétition des Courts métrages
Prix des Scolaires (2 films ex aequo) : Poxo Peanuts de Etienne Grignon et Les Mousses de Guillaume Bailer-Schmitt
Prix du public : Turnaround de Aisling Byrne

mercredi 17 septembre 2025

Des preuves d’amour, un film d'Alice Douard

Autre premier film particulièrement bien construit, avec un subtile dosage des émotions, Des preuves d’amour a été découvert à Cannes en mai dernier au cours de la Semaine de la critique. Il aurait pu remporter les suffrages des jurés et du public du 23 ème festival Paysages de cinéastes si la compétition n’avait pas été aussi intense.
Céline attend l'arrivée de son premier enfant. Mais elle n'est pas enceinte. Dans trois mois, c'est Nadia, sa femme (Monia Chokri), qui donnera naissance à leur fille. Sous le regard de ses amis, de sa mère, et aux yeux de la loi, elle cherche sa place et sa légitimité. 
Alice Douard filme avec tendresse une maternité hors normes. Elle a raison de nous rappeler, douze ans après l’adoption de la loi autorisant le mariage de personnes de même sexe (avec un scrutin s’établissant à 331 pour et 225 contre), que la vie n’a pas été immédiatement rose pour ces couples, dont le nombre de célébrations officielles dépasse aujourd’hui largement le nombre de 70 000. Néanmoins, et même si ce n’est pas clairement souligné, l’action se passe en 2014.

Voilà pourquoi la réalisatrice donne parfois dans le documentaire, ou du moins dans le film historique, nous rappelant que la PMA n’était alors pas autorisée en France même si cela semblait « aller de soi » pour beaucoup de monde dans l’entourage des deux jeunes femmes. Il fallait donc disposer également d’un budget pour le faire à l’étranger.

La PMA n’est autorisée pour les couples homosexuels de femmes que suite à la loi de bioéthique de 2021, qui a ouvert l'accès à toutes les femmes, célibataires ou en couple, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles. Elle a aussi prévu que la partenaire qui n’a pas accouché puisse être reconnue légalement comme mère, à condition de réaliser une reconnaissance conjointe anticipée, c'est-à-dire faite avant ou après la conception de l'enfant, mais avant la naissance, auprès des autorités compétentes.

Revenons en 2014 il fallait alors procéder à une procédure d’adoption avec tiers déclarant pour que l’épouse qui n’en était pas la conceptrice soit reconnue comme étant aussi parent de l’enfant, ce qui est une formalité plutôt complexe et qui va coûter tout de même quelque 2500 euros d’honoraires d’avocate pour augmenter les chances. Je me permets de signaler que dans l’hypothèse d’une naissance au sein d’un couple homme-femme la paternité du mari ne fait aucun doute a priori aux yeux de la loi et que si ce n’est pas le cas, l’enfant ne pourra ultérieurement porter le nom de son père véritable qu’après un déni de paternité (encore faut-il que le mari, supposé être le père légal, accepte de faire cette démarche).

Des preuves d’amour est un titre qui fait références à ces témoignages que la loi exige avant d’accorder l’adoption et on verra combien sera décisif celui de la mère (biologique) de Céline, avec qui elle entretient des relations compliquées, magnifiquement interprétée par Noémie Lvovsky (qui mérite largement un César pour sa performance de mauvaise mère malgré tout sincère et aimante). Monia est dentiste, mais évidemment, le métier de DJ qu’exerce Céline n’est pas très conformiste. Inversement, être la fille d’une très célèbre pianiste pourrait faciliter les choses. Ces situations donneront l’occasion d’entendre toutes sortes de musiques, celles électroniques de la DJ, et les morceaux classiques de la pianiste alors que les deux femmes sont attentives aux accords et aux dissonances.

A noter que le titre international est Love Letters, qui est un peu plus précis sur ce dont il s’agit que l’intitulé français, à propos des quinze lettres attestant de son lien à sa fille que Céline doit réunir au cours de démarches admistratives, qui dureront un an, presque la durée d’une gestation.

Si on apprend ou révise nos connaissances juridiques (par exemple à propos du nom marital qui n’est qu’un droit d’usage, ce qui signifie qu’on ne change absolument pas de patronyme en se mariant), on suit avant tout une très belle histoire d’amour qui d’emblée s’inscrit dans la joie et un certain humour car le couple n’est pas exempt des affres de la maternité. Ni des commentaires souvent maladroit de leur entourage, surtout de la part de ceux qui ont des difficultés à enfanter.

Des preuves d’amour est indéniablement un film politique mais qui devient un hymne tragi-comique à de multiples formes de sentiments et où certaines répliques jaillissent comme des perles : Il faut porter en soi un chaos pour mettre au monde une étoile dansante.

Quelle bonne idée de nous dispenser de la scène d’accouchement qui, certes n’aurait rien apporté de plus et qui a été évitée au profit d’une superbe moment de peau à peau entre Céline et le bébé.

Des preuves d’amour, un film d'Alice Douard
Scénaristes Julie Debiton, Alice Douard et Laurette Polmanss
Avec Ella Rumpf  (Céline Steiner), Monia Chokri (Nadia Hamdi), Noémie Lvovsky (Marguerite Orgen), Jeanne Herry l’avocate) …
Mention Spéciale au Festival de Zurich en 2025 et une nomination pour la Golden Camera et la Queer Palm au Festival de Cannes en 2025. Il a également été présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, et le scénario a reçu le Prix du public au Festival CinePride en 2024

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Rappel du palmarès du 23ème festival Paysage de cinéastes

Compétition des Longs métrages
Prix du Grand Jury, Prix du Jury des Femmes et Prix du Public: Sorda de Eva Libertad Garcia
Prix du Jury de la Jeunesse: Promis le ciel de Erige Sehiri

Compétition Jeune Public : Olivia de Eva Libertad Garcia

Compétition des Courts métrages
Prix des Scolaires (2 films ex aequo) : Poxo Peanuts de Etienne Grignon et Les Mousses de Guillaume Bailer-Schmitt
Prix du public: Turnaround de Aisling Byrne

mardi 16 septembre 2025

Hanami de Denise Fernandes

Le titre du film de Denise Fernandes évoquait forcément un moment particulier pour le public châtenaisien du festival Paysages de cinéastes. Chaque printemps Hanami est célébré avec de plus en plus d’ampleur par la ville de Châtenay-Malabry dans le Parc de sceaux. C’est le nom de la fête qui se déroule quand les cerisiers perdent leurs pétales qui tombent en pluie, symbolisant à la fois la vie et la mort, la beauté et la violence. Pourtant ce premier long-métrage de la réalisatrice suisse d’origine capverdienne avait de quoi dérouter.

Elle nous emmène dans son pays, sur l’île de Fogo, avec délicatesse et poésie pour ré-interroger la mémoire de son enfance. La petite Nana a appris a grandir sur cette île volcanique isolée que tout le monde veut quitter. Sa mère, Nia, s'est exilée juste après sa naissance et Nana a été élevée dans la famille de son père. Un jour, la famille apprend que Nia est malade. Nana commence à avoir de fortes fièvres et est envoyée au pied d'un volcan pour y être soignée. Elle y découvre un monde imprégné de réalisme magique, entre rêve et réalité. Plus tard, alors que Nana est adolescente, sa mère Nia revient enfin sur l'île.

Fogo est une île composée d’un énorme volcan de plus de 1000 mètres d’altitude, située dans le sud de l'archipel du Cap-Vert et y abrite depuis 2020 une réserve de biosphère reconnue par l'UNESCO. la terre y est de couleur grise et compose une toile de fond propice à des plans composés comme des natures mortes.

D’autres séquences très soignées, d’une lenteur onirique, construites en intérieur, renforcent cette perception comme la série de prises de vue familiales devant la toile du photographe. Les métaphores se succèdent sans être très explicites. Il est ainsi question de réparation avec de l’or sur une autre île, sans citer le Japon. On aurait pu davantage exploiter cette allusion au Kintsugi, une vieille tradition japonaise, remontant au XV° siècle, consistant à souligner avec un trait d'or le joint comblant une fissure pour valoriser la porcelaine abîmée en magnifiant ses défauts, et par là même donner une seconde vie à cet objet.

Denise Fernandes a-t-elle suivi une démarche philosophique et esthétique identique pour sublimer et raconter son histoire ? J’avais pris l’apparition d’un japonais pour celle d’un apiculteur alors qu’il s’agissait d’un vulcanologue. Je n’ai pas tout à fait compris, bien que je l’ai apprécié, l’allusion au poème L’arbre perché de Jean-Luc Moreau (aux Éditions Ouvrières) que je vous offre dans son entièreté car il contient sans doute la réponse à l’énigme de ce film dont la date de sortie en salles n’est pas encore connue :

Si...

Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s'appelait Gisèle,
Si l'on pleurait lorsqu'on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l'on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre
Si l'agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient Zoulou,
Si la mer Noire était la Manche,
Et la mer Rouge la mer Blanche
Si le monde était à l'envers,
Je marcherais les pieds en l'air,
Le jour je garderais la chambre,
J'irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois
Quel ennui ce monde à l'endroit !

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Rappel du palmarès du 23ème festival Paysage de cinéastes

Compétition des Longs métrages
Prix du Grand Jury, Prix du Jury des Femmes et Prix du Public: Sorda de Eva Libertad Garcia
Prix du Jury de la Jeunesse: Promis le ciel de Erige Sehiri

Compétition Jeune Public : Olivia de Eva Libertad Garcia

Compétition des Courts métrages
Prix des Scolaires (2 films ex aequo) : Poxo Peanuts de Etienne Grignon et Les Mousses de Guillaume Bailer-Schmitt
Prix du public: Turnaround de Aisling Byrne

lundi 15 septembre 2025

On falling, un premier film de Laura Carreira

Le film sortira en France le 29 octobre 2025 et je pense que son titre original, On falling, sera conservé, tout comme son affiche à la couleur dominante du sourire affiché sur les cartons d’Amazon.

Si on voulait traduire l’expression, ce pourrait être par en tombant ou mieux, chute libre ou encore dégringolade. C’est exactement ce à quoi il faut s’attendre avec ce premier long-métrage de Laura Carreira, une réalisatrice portugaise venant du documentaire, et qui a été présenté en compétition officielle dans le cadre du festival Paysages de cinéastes de Châtenay-Malabry.
Aurora, immigrée portugaise à Édimbourg , est préparatrice de commandes dans un entrepôt où son temps est chronométré. Au bord de l'abîme de la paupérisation et de l’aliénation, coincée entre les murs d’un immense centre de distribution et la solitude de sa propre chambre, elle se saisit de toutes les occasions pour ne pas tomber, notamment l'emménagement d’un nouveau colocataire polonais... 
Tentons de suivre un raisonnement rationnel. En vivant en colocation la jeune héroïne devrait parvenir à joindre les deux bouts mais on comprend à petites touches que son compte bancaire est vide (on se demande pourquoi) : elle oublie soit-disant le virement à sa collègue de sa participation aux frais d’essence pour son transport, elle n’a pas versé sa quotepart pour l’électricité qui est brusquement coupée alors qu’elle prend une douche, des aliments disparaissent de la cuisine commune, et la catastrophe survient quand elle casse son téléphone et que la réparation frôle une centaine d’euros.

Le film est lent et fait ressentir le décalage entre la vitesse à laquelle les préparateurs de commande doivent scanner les produits (dont on apprend qu’ils sont dispersés au hasard dans l’entrepôt à l’instar d’une immense chasse au trésor pour éviter l’ennui) et la vacuité de la vied’Aurora. Peu de contacts avec les collègues, évidement restreints au moment du déjeuner ou des trajets en voiture entre domicile et lieu de travail. 

Il s’ensuit des difficultés de relation, comme si tout était débranché chez cette jeune femme qui, du coup, se raccroche à des achats compulsifs et inutiles comme le traduit la scène dans le magasin de produits de beauté.

Ses tentatives de liens affectifs sont timides et sans grand résultat bien que tout le monde lui sourit. On la voit sombrer progressivement. Elle grignote à peine. Pourtant elle continue de scanner l’achat par correspondance de godemichets ou de cordes, qui réapparaissent régulièrement, comme une obsession et nous laissant entrevoir un projet de suicide. A moins que ce ne soit pire encore.

Le thème n’est pas nouveau. On se rappellera de Sorry we miss you, de Ken Loach, que j’ai trouvé tellement plus percutant. Pourtant le réalisateur est le cofondateur de Sixteen Films, une des sociétés de coproduction du film. On pensera aussi aux pièces de théâtre de Florian Pâque, que ce soit Etienne A, ou Fourmi (s) qui tous se situent dans la continuité des Temps modernes que Charlie Chaplin réalisa en 1936, à ceci près que l’humour n’apparaît plus dans les nouvelles interprétations, peut-être parce que la place de l’espérance d’un monde meilleur s’est amenuisée.

Le spectateur ignore presque tout d’Aurora (et a fortiori de ses origines familiales) dont la venue en Écosse est mystérieuse. Les échanges avec ses collègues et ses colocataires sont d’une grande banalité. Les scènes s’enchaînent avec une lenteur malaisante. On ressent la jeune femme comme une victime archétypale d’un système qui instaure d’une forme d’esclavagisme. Le plus troublant est peut-être l’absence de colère et de révolte de sa part (ou si peu …) et le manque d’empathie qui en fin de compte nous culpabilise, ce que la réalisatrice cherchait sans doute à faire en filmant une vie devenue implacablement sans issue.

On falling, un premier film de Laura Carreira
Scénario de Laura Carreira
Avec Joanna Santos; Inès Vaz, Piotr Sikora, Neil Leiper, Jake McGarry …
Prix de la Meilleure Réalisation Saint-Sébastien 2024
Sutherland Trophy au BFI London Film Festival en 2024
Prix d’Interprétation féminine au festival Premiers Plans d’Angers 2025 pour Joana Santos
Sortie en salles le 29 octobre 2025
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Rappel du palmarès du 23ème festival Paysage de cinéastes

Compétition des Longs métrages
Prix du Grand Jury, Prix du Jury des Femmes et Prix du Public: Sorda de Eva Libertad Garcia
Prix du Jury de la Jeunesse: Promis le ciel de Erige Sehiri

Compétition Jeune Public : Olivia de Eva Libertad Garcia

Compétition des Courts métrages
Prix des Scolaires (2 films ex aequo) : Poxo Peanuts de Etienne Grignon et Les Mousses de Guillaume Bailer-Schmitt
Prix du public: Turnaround de Aisling Byrne

dimanche 14 septembre 2025

L’intérêt d’Adam, un film de Laura Wandel

L’intérêt d’Adam nous ramène une fois de plus dans l’univers hospitalier qui est le premier lieu d’accueil des enfants (et adultes) maltraités. Le film pose la question cruciale de la place du professionnel dans l’inflexion du parcours de vie d’un patient. De quel droit peut-il estimer savoir mieux que lui ce qui est bon pour lui ?

Laissez moi vous aider ! Hurle Lucy, l’infirmière-chef, à une mère désemparée. Face à la détresse de cette jeune femme et de son fils, elle va décider de tout mettre en œuvre pour les aider, quitte à défier sa hiérarchie.

Cet interventionnisme a dérangé de nombreux spectateurs de ce film que nous avons eu la chance de voir en avant-première pendant le festival Paysages de cinéastes et qui s’intègre parfaitement dans la thématique des problématiques auxquelles on remarque que les femmes se consacrent au cinéma en ce moment.

Voici un second film belge qui, comme "On vous croit", est centré sur la question de la famille dysfonctionnelle.

La salle était partagée entre ceux qui estimaient que l’infirmière (Léa Drucker) outrepassait sa fonction et ceux qui trouvaient que son comportement était légitime. Je ne sais que penser mais j’ai adopté malgré tout le regard de l’infirmière. J’ai été convaincue par son humanité, peut-être renforcée par une vie personnelle qu’on devine compliquée, et j’ai admiré combien elle se dévoue corps et âme pour les patients de son unité pédiatrique.

Le médecin est interprété par Laurent Capelluto, un acteur belge de cinéma et de théâtre, qui joue assez souvent un rôle de soignant, dont la carrière a été lancée aussi bien en Belgique qu’en France par son rôle dans Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin en 2008 pour lequel il fut nommé pour le César du meilleur espoir masculin l'année suivante. Et on l’a vu dans plusieurs pièces de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui. Ce médecin se range du côté de la justice, sans doute par peur de s’attirer des ennuis

Le père d’Adam, quant à lui se défile : Je dois prendre l’air. Je ne peux pas le remettre comme ça dans ma vie ( le étant son fils).

Laura Wandel avait depuis longtemps envie de consacrer son second film au monde de l’enfance. Elle en a écrit le scénario après avoir effectué un travail de documentation de plus de deux ans qui s’est poursuivi par un stage de trois semaines l’été 2020 à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, un hôpital public très social, et connu pour ça en Belgique. Il lui a permis entre autres de mesurer l’impact des parents sur la guérison de leurs enfants et combien  le médical, le social et le judiciaire sont indissociables. Elle a rencontré une juge pour enfants et a pu discuter avec une déléguée, l’équivalent d’une assistante sociale en France, pour se familiariser avec le volet social de la prise en charge des enfants en situation de maltraitance.

Si elle signe seule le scénario, elle a écouté les remarques de  plusieurs spécialistes, en premier lieu Luc Dardenne, qui coproduit le film, Iris Kaltenbäck, la scénariste et réalisatrice du Ravissement, et même Razvan Radulescu, le scénariste de La Mort de Dante Lazarescu, qui raconte une nuit infernale entre plusieurs hôpitaux jusqu’à ce que le patient rencontre enfin une infirmière humaine.

On ne sait pas ce que la mère refuse que son fils mange ni ce qu’elle lui donne et sans être le sujet du film, la question de l’alimentation permet malgré tout d’interroger la maternité. Ce film reste une fiction mais donne à réfléchir sur les relations hiérarchiques de pouvoir et sur la pression des acteurs sociaux et judiciaires qui, finalement, et sous prétexte de faire bien, exercées des violences systémiques. Même le bâtiment s’en mêle avec le blocage des portes automatiques.

L’enfant (Jules Delsartporte le prénom symbolique du premier homme, signifiant par là qu’il serait nécessaire que ce soit lui qui soit au centre des préoccupations. Il est intéressant de le montrer aux prises par un conflit de loyauté vis à vis de sa mère. C’est lorsqu’elle tente de s’enfuir et tombe dans l’escalier avec lui qu’il se sent pour la première fois en danger. Il exprime alors son refus de mourir, une parole très forte pour un enfant de 4 ans.

Rebecca est elle aussi prise entre deux feux, le désir de bien faire et l’incapacité d’y parvenir. C’est une très jeune femme qui n’a pas non plus les connaissances indispensables et que la peur d’être jugée a fait perdre sa confiance en soi.

Quant à Lucy, on la voit près de craquer et pourtant elle tient bon, se laissant guider surtout par sa conscience et son éthique. On la voit principalement de dos, se presser dans les couleurs, et on la sent au bord de l’épuisement, ce qui traduit parfaitement l’état du monde infirmier. C’est en découvrant Léa Drucker dans le court-métrage Avant que de tout perdre de Xavier Legrand que al réalisatrice a décidé d’écrire le rôle pour elle. Anamaria Vartolomei a été choisie pour le rôle de Rebecca en raison de sa performance exceptionnelle dans L’Evènement d’Audrey Diwan.

En dénonçant ce qui ne fonctionne pas à l’hôpital et entre les différents professionnels L’intérêt d’Adam fait autant la critique de manque de moyens que de difficultés de communication entre les différents protagonistes. Reste à espérer que de telles oeuvres fassent bouger les lignes.

Laura Wandel est une réalisatrice bruxelloise qui a suivi une formation en réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD). Elle a commencé sa carrière de réalisatrice en 2007 avec son court métrage de fin d’études Murs qui a été sélectionné dans plusieurs festivals, tout comme ensuite son court-métrage O Négatif (2011). Elle réalise en 2019 son premier long métrage Un monde, sorti en salles en 2021. Il a notamment été primé au Festival de Cannes, au BFI London Film Festival et aux Magritte du Cinéma.

L’intérêt d’Adam, un film de Laura Wandel
Réalisation et scénario Laura Wandel 
Avec Léa Drucker, Anamaria Vartolomei, Jules Delsart, Alex Descas, Laurent Capelluto … 
En salles à partir du 17 septembre 2025

samedi 13 septembre 2025

Une place pour Pierrot, un film de Hélène Médigue

Décidément, les femmes s’emparent avec force et sensibilité de sujets qui ne sont pas faciles. Il y a presque un an c’était déjà une femme qui nous avait émus avec Mon inséparable, un formidable premier film.

Hélène Médigue traite un thème comparable dans Une place pour Pierrot et ce titre résonne comme une revendication (Pierrot a besoin qu’on lui donne une place) mais on verra aussi que cet homme prend beaucoup d’espace en ce sens qu’il a besoin de beaucoup d’attention.
Pierrot, 45 ans, est autiste et vit dans un foyer médicalisé où il est surmédicalisé. Déterminée à lui offrir une vie digne, sa sœur Camille le prend chez elle et se met en quête d’un endroit mieux adapté à sa différence. Le chemin est long mais c’est la promesse d’une nouvelle vie, au sein de laquelle chacun trouvera sa place.
Le parcours est semé d‘embûches, on s’en doute dès le début (sinon il n’y aurait pas lieu d’en faire un film …) malgré l’optimisme affiché par Camille : "T'en fait pas, ça va aller "mon" Pierrot, … Les Peupliers, c'est fini."

Comme s’il suffisait de diffuser dans ses écouteurs la chanson composée et interprétée par Julien Clerc (sur des paroles d'Étienne Roda-Gil), Ce n'est rien, parue sur l'album Niagara en 1971, qui fait appel à notre mémoire collective, pour que tous les problèmes s’effacent … même si elle a une fonction thérapeutique pour Pierrot au moment où il subit l’envahissement de ses troubles. Elle reviendra régulièrement.

Pierrot (Grégory Gadebois) est de bonne volonté mais son handicap est bien réel (même si Camille refuse d’employer ce terme) et ne peut pas être nié. Pourtant tout le monde autour de lui va tenter de "l’intégrer". Camille (Marie Gillain) pensait pouvoir l’héberger durablement mais son appartement est trop étroit et son activité d’avocate s’en trouve perturbée ainsi que sa relation avec sa fille qui pourtant adore son oncle. Gino, un de ses amis de longue date (Patrick Mille) va prendre le relai en l’engageant dans la cuisine de son restaurant. De jolis moments de complicité avec Ahmed (Atmen  Kelif), le cuisinier si patient, laissent entrevoir un long terme mais la lenteur de Pierrot va bientôt être un problème. Le groupe bienveillant qui se forme autour du frère et de la soeur se pose alors la "bonne" question : si Pierrot n’est nulle part à "sa" place faut-il en déduire qu’il n’y a pas de lieu adapté pour lui ?

Et dans cette hypothèse quelle serait la place des autres ? Car ce film a ceci de passionnant qu’il explore précisément la place de chacun de nous. Si bien que tous les personnages ont été ou sont en quête d’une transformation. On comprendra par exemple que Gino a trouvé sa place, tant dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle. Que tu t’occupes de lui c’est bien mais il prend toute la place va se plaindre Adrien, l'ex de Camille et père d'Emma (Vincent Elbaz). Camille sera tout autant dans une position délicate dans son travail face aux exigences de son patron (Nicolas Briançon) qui la menace de se séparer d’elle. La différence et la limite sont des aspects dépendants de cette question de place et nous concernent tous, à un moment ou un autre de notre vie. Et par voie de conséquence la charge mentale des aidants, la solidarité, la recherche de solutions adaptées …

Ainsi donc, même si le point de départ est l’autisme d’un membre de la famille le sujet principal du film est plutôt le rapport à l’altérité. Pour ce qui est de l’autisme, Mélène Médigue s’est inspirée de son expérience avec son propre frère autiste pour écrire le scénario avec Stéphane Cabel. Elle joue un petit rôle dans le film (Nina) et c’est sa propre fille Mathilde Labarthe qui interprète Emma, la fille de Camille. Parce qu’elle avait envie de le faire et parce qu’elle en était parfaitement capable, ayant elle-même un oncle souffrant de ce trouble du comportement.

J’ai envie de pointer combien Grégory Gadebois est exceptionnel mais il nous a habitué à ce type de performance. Il fut Charlie au théâtre dans Des fleurs pour Algernon en 2013, 2020 puis 2025. De nombreux films ont révélé sa sensibilité au cinéma comme Mon âme par toi guérie de François Dupeyron (projeté au festival Paysages de cinéastes en 2013) ou Le fil de Daniel Auteuil en. 2024 dans lequel il incarnait un père, ni coupable crédible ni innocent évident.

Le personnage de Pierrot est d’autant plus intéressant qu’il peut communiquer et se sociabilité tout à fait correctement s’il évolue dans un milieu bienveillant comme le sera la ferme Mathilde (ci-contre Marianne Basler que j’ai souvent vue au théâtre et que j'apprécie beaucoup. Lire ici les chroniques à son propos) et Jean (François Vincentelliqui pratiquent l’agroécologie. Il pourra y développer son autonomie, avec un accompagnement adapté qui lui permettra de gérer ses troubles envahissants du comportement ou des conduites inappropriées en société, même apparemment anodines comme le bruit du raclement d’un pot de yaourt qui fait craquer Camille.

A ce propos et a contrario on notera que Pierrot vit des moments très heureux, avec sa nièce Emma, lorsqu’il joue du tambour ou quand il assiste avec éblouissement à une projection au planétarium, et ce sera légitime de nous faire entendre Fly me to the moon en musique additionnelle à la toute fin du film. La vérité sort régulièrement de sa bouche. Par exemple sa réponse : être amoureux c'est dormir dans un grand lit.

Implantée sur la Cote d’Opale leur exploitation maraîchère offre l’occasion de filmer un univers marin vivifiant, éloigné des encombrements bruyants et de la grisaille parisienne. Et d’intégrer avec naturel des artistes autistes qui travaillent dans le maraîchage.

La méthodologie agroécologique qui va être enseignée à Pierrot a aussi une fonction métaphorique du soin de la terre comme des hommes, en opposition à la surmédication du début du film.

Comédienne et également autrice, Hélène Médigue a publié en 2010 un récit intitulé Entre deux vies (Flammarion), puis a réalisé en 2012 son premier court-métrage de fiction C’est pas de chance, quoi!, sélectionné dans de nombreux festivals. Elle se tourne ensuite vers le long métrage documentaire, avec notamment On a 20 ans pour changer le monde (2018) et Le Temps de l’écoute (2019), sur la disparition de la médecine générale. Elle s’engage en parallèle pour la cause de l’autisme en créant en 2019 l’association Les Maisons de Vincent, destinée à accueillir des adultes autistes. Une première maison a ouvert à Mers-les-Bains en 2021.

Une place pour Pierrot, un film de Hélène Médigue
Avec Grégory Gadebois, Marie Gillain, Patrick Mille, Mathilde Labarthe, Vincent Elbaz, Nicolas Briançon, Marianne Basler (Mathilde), Atmen  Kelif, Hélène Médigue …
En salles à partir du 10 septembre 2025

vendredi 12 septembre 2025

Moi qui t’aimais, un film de Diane Kurys

Moi qui t'aimais, projeté en clôture du festival Paysages de cinéastes, aura été une véritable heureuse surprise et je ne pense pas être la seule à pouvoir le dire.

D'abord parce que c'est un film qui ne triche pas. Il commence sur une scène de maquillage des deux acteurs principaux, signifiant par là que s'ils vont endosser un rôle ils ne prétendront jamais être Simone, pour Marina Foïs, pas davantage qu'Yves pour Roschdy Zem.

C'est si bon est la chanson qui accompagne ce moment et Marina, alias Simone, précisera dans l'interview qui suivra qu'elle n'a pas été écrite pour l'acteur comme beaucoup de gens le supposent mais qu'il s'agit d'une vieille chanson française. On devine à travers cette anecdote combien la réalisatrice Diane Kurys a effectué un immense travail de documentation. Et de fait elle a lu et regardé pendant plusieurs années tout ce qu'il était possible de s'approprier afin de maitriser le moindre détail.

Nous comprenons que l'entretien a lieu juste après la cérémonie des Oscars au cours de laquelle Simone reçut la statuette (voir en fin de publication quels sont les français à l’avoir eue) et qu'il se déroule dans la maison de location dédiée au couple à Los Angeles, le fameux bungalow 21 qui a fait l'objet d'une pièce de théâtre dont les éléments sont parfaitement semblables, si bien que les dialogues ne m'ont pas surprise.

Je ne sacrifie rien du tout, prétendra la comédienne qui refusera toujours le rôle de victime, en tout cas pas sa carrière (ce qui n'est pas si certain que ça car elle a compris le risque qu'il y a à s'éloigner de Montand le temps d'un tournage. Son séjour à Rome fut fatal et précipita son aventure avec Marilyn Monroe). On s'aime et on s'aime bien dit-elle pour conclure.

Nous voilà ensuite de retour en France, dans leur appartement surnommé la Roulotte, au 15 de la place Dauphine, une ancienne petite librairie transformée en duplex par le couple en 1951 et qui est restituée plus vraie que nature. Simone détestait cuisiner et ne préparait jamais les repas. Elle était donc idéalement située à côté d'un restaurant qui s’appelle maintenant Le caveau du palais et où plusieurs photos évoquent toujours le duo mythique qui y fut si souvent attablé.
On y voit Simone tricoter en faisant répéter un rôle à Yves. Cette situation ne m'étonne pas car je me souviens d'elle, tricotant à l'écran (je crois qu'il s'agit des Diaboliques, dans une scène se déroulant au bord d’une piscine) pas plus que je ne sois pas surprise que cela agace Montand, à cause du bruit des aiguilles et surtout sans doute de sa capacité à faire deux choses en même temps alors qu'il peine à mémoriser ses dialogues. Alors il raille : Fait du tricot ! Faut faire ce qu'on sait faire !

J'en ai rien à foutre de ma gueule prétendra Simone qui fut tout de même d'une beauté totalement comparable à celle de Marilyn dans Casque d'or (elle était alors aussi blonde que l’actrice américaine) et qui restera longtemps hantée par cette liaison.

Moi qui t’aimais est un biopic s’étendant sur les douze dernières années du célèbre couple : Simone Signoret (1921-1985) et Yves Montand (1921-1991. Il a été présenté dans la section  "Cannes Classics" du Festival de Cannes 2025. Diane Kurys a retravaillé avec Martine Moriconi, avec qui elle avait écrit le formidable scénario de Sagan (2008) et il leur fallu cinq années pour celui-ci, en s’inspirant pour les premières années par le livre de Simone Signoret, La nostalgie n’est plus ce qu’elle était (1976). Elle a  resollicité Philippe Sarde pour la musique, 35 ans après le film La Baule-les-Pins (1990).

Nous y reverrons aussi, mais leurs noms de famille ne sont pas cités, Claude (Sautet) et le personnage de Paul dans le film Vincent, François, Paul et les autres où Paul et interprété par Serge Reggiani qui restera l'ami fidèle et le confident de la comédienne, et puis François (Périer). Gravitent aussi autour du couple le plus célèbre de l’époque, Nadine (Trintignant), Alain (Corneau, le futur mari de Nadine), Jean-Louis (Trintignant, qui vit alors une histoire d'amour avec Romy Schneider).

Le titre du film est emprunté à la chanson, Les Feuilles mortes écrite par Jacques Prévert. Il comporte une certaine ambiguïté puisque si ce sont des mots que chantait Montand il est vraisemblable que les sentiments de Simone étaient plus forts, en tout cas si on prend en considération la somme des infidélités du mari, et en dépit de cette affirmation : Elle l’aimait plus que tout, il l’aimait plus que toutes les autres.

Qui pourrait juger images et dialogues ? Je veux bien croire que Diane Kurys a effectué un immense travail de documentions et je pense qu’il faut visionner un tel film pour ce qu’il est, une oeuvre comportant une certaine part de fiction et qui est interprétée par des comédiens qui ne cherchent pas à copier leur modèle mais à en restituer le caractère. A commencer par Roschdy Zem et Marina Foïs mais aussi Thierry de Peretti (Serge Reggiani), Vincent Colombe (François), Raphaëlle Rousseau (Catherine Allégret), Sébastien Pouderoux (Alain Corneau), Leonor Oberson (Nadine Trintignant), Timothée de Fombelle (Jean-Louis Trintignant) et Cécile Brune qui est Marcelle, la fidèle employée de maison.

Si on part du principe qu’il serait inopportun de remettre en cause les dialogues on acceptera de voir en Montand un homme égoïste, souvent de mauvaise foi (ce qui n’a pas manqué de faire régulièrement réagir le public), n’ayant aucun frein à reconnaître "Moi, je mens tout le temps".

S’il est vrai, et ça l’est sans doute car Diane Kurys savait que chaque phrase serait décortiquée, la réflexion d’Yves le soir de la remise des Césars est assez significative de sa jalousie. Apprenant la nouvelle devant la télévision il note On lui a donné le César (pour La vie devant soi en 1978 dont Simone eut le grand courage d’accepter le challenge d’endosser le rôle de madame Rosa), ce qui blesse Catherine, la fille de Simone (qu’Yves avait adoptée) qui, furieuse, interroge : donné ou gagné ?

On comprend qu’on lui reproche de "ne pas savoir partager la lumière". Mais on peut aussi admettre que ni pour elle ni pour lui il n’a été facile de passer de Casque d'Or à La vie devant soi. Etre l'amant de Casque d'Or, c'était facile, mais il a fallu beaucoup d'amour pour aimer Madame Rosa.

L’amour est une donnée relative … entre Simone qui se défend : Ça me plait bien d'avoir un homme qui plait bien … et Yves qui crâne …  On se dispute, ça prouve qu'on est vivant. Entre elle qui se plaint : T'as pas arrêté de me quitter, et lui qui répond : Oui mais je suis toujours revenu.

Toujours, certes, mais jamais définitivement. Il épousera Carole Amiel (qui ne fut pas la première, mais sans doute la dernière) deux ans après le décès de Simone mais il la connaissait depuis plus de treize ans même si leur liaison n’avait pas démarré dès la première rencontre … à La Colombe d’or, hotel iconique de Saint-paul-de-Vence où il séjournait souvent avec Simone et dont Diane Kurys nous offre de belles séquences.

Sans doute est-il exact qu’il ne pouvait pas vivre sans elle. Des moments heureux nous sont montrés comme la grandiose fête d'anniversaire de Simone au caviar chez Prunier. Mais il est probablement exact aussi qu’il ait raillé qu’on devrait faire un film sur nos engueulades, ce serait drôle.

La réalisatrice s’y est en quelque sorte employée mais elle ne passe pas sous silence les engagements politiques du couple et leurs déceptions à propos de l’URSS lorsque la tristesse qu’ils perçoivent dans le regard des gens leur démontre qu’ils se sont fourvoyés.

Simone meurt 20 septembre 85 et Yves 6 ans plus tard. Le film s'achève sur la musique de la chanson d'Hélène des Choses de la vie (encore un film de Sautet) dont les paroles sont d’une cruauté acide :

L'histoire n'est plus à suivre et j'ai fermé le livre
Le soleil n'y entrera plus
Tu ne m'aimes plus

Moi qui t'aimais, réalisé par Diane Kurys
Scénario de Diane Kurys et Martine Moriconi
Avec Roschdy Zem, Marina Foïs, Thierry de Peretti, Vincent Colombe, Raphaëlle Rousseau, Cécile Brune, Sébastien Pouderoux, Leonor Oberson, Timothée de Fombelle, Yuval Rozman, Nicolas Grandhomme, Marine Arena …
En salles le 1er octobre 2025

jeudi 11 septembre 2025

Les courts-métrages à l'honneur au 23 ème festival Paysages de cinéastes 2025

(Mise à jour le 13 septembre 2025)
Le festival Paysages de cinéastes a toujours comporté une compétition de courts-métrages. Ce format est essentiel parce que TOUS les réalisateurs/trices ont commencé par un ou plusieurs courts et ensuite parce que souvent un court devient une long quelques années plus tard. C’est donc un autre des points forts du festival que de mettre l’accent sur ce format.

On ne dira jamais assez qu’aucun long ne sort pas ex-nihilo. La réalisation d’un ou plusieurs courts précède toujours celle d’un long-métrage en début de carrière d’un réalisateur. Voulez-vous un scoop ? Ce sera le cas de Qu’importe la distance, de Léo Fontaine, produit par Offshore et distribué par Manifest, primé l’an dernier au festival, racontant l’itinéraire d’une mère qui rend visite à son fils en prison pour la première fois qui sera donc prochainement un long-métrage.

Son premier, l’excellent Jeunesse mon amour, distribué par Wayna Pitch, avait été remarqué en avril 2024 pour la justesse de sa façon d’aborder les soucis des adolescents au moment du passage à l’âge adulte et leur fidélité aux valeurs de l’amitié.

La compétition était programmée en soirée le mardi 9 septembre et les six films retenus par Carline Diallo, la déléguée générale du festival, avaient touts été réalisés par des femmes. Ils se sont avérés ne porter que sur des sujets sérieux tenant à la condition féminine et nous sommes repartis avec la certitude qu’il faut beaucoup de force aux femmes pour résister dans un monde hostile. Ils ont été projetés dans l’ordre suivant :

1- Kaminhu de Marie Vieillevie
 - France - 14 min - 2024
 - Joanna, une jeune voyageuse française, parcourt seule les îles capverdiennes avec son sac à dos et son carnet de croquis. Elle s’arrête dans le village de pêcheurs de Santiago. Elle se fond parmi les habitants et rencontre Lito, un jeune pêcheur qui l'incite à prolonger son séjour.

Ce court avait été sélectionné pour le Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand, Regards d'Afrique 2025 et figurait dans la sélection des courts-métrages en compétition pour les Césars 2025. C’est un bijou de film d’animation qu’on doit à une dessinatrice, Marie Vieillevie, venant d’une famille d’artistes peintres, qui est fan de musique brésilienne et de danse forró et qui a elle-même effectué des voyages en solitaire en particulier au Cap-Vert. Elle y a enregistré sur place des voix d’habitants et d’autres sons, et ajouté des morceaux de guitare d’un auteur-compositeur lui aussi cap-verdien.

Ce projet est né il y a dix ans de son désir de combiner voyage et cinéma, tout en soulevant des questions restées sans réponses à la suite d’un long périple dans l’archipel, en particulier la difficulté de toute rencontre en raison de l’histoire coloniale tout en interrogent le mythe du voyageur avec toute la poésie possible et une extrême délicatesse, qui s’exprime en particulier dans le choix des couleurs, très inspiré par les paysages, et du titre de son oeuvre, Kaminhu, qui signifie traduire  "cheminen créole capverdien.

La seule objection que je ferais est que tout n’est malheureusement pas traduit 

2 - Histoires de vacances de Malika Zaïri
 - France / Maroc - 11 min - 2024 
C'est bientôt les vacances d'été. Comme chaque année, la famille El Badiri, se prépare à passer deux mois de vacances dans leur maison à Marrakech, leur ville d'origine. Cette année, les filles de la famille refusent de s'y rendre, laissant leur mère dans l'impasse. Celle-ci est attachée au regard des autres, au qu’en dira-t-on mais finira par comprendre la position de ses filles et par mesurer l’horreur de ce qu’elles ont vécu.

Pour en écrire le scénario, la réalisatrice, Malika Zaïri, venue à la projection avec son équipe, nous confiera qu’elle s’est inspirée de la vie de sa propre soeur et de plusieurs amies victimes de violences sexuelles, lesquelles existent partout, y compris au Maroc. Comme elle nous le dira avant de nous quitter : Ne baissez pas la garde quand vous partez fatigués en vacances. La menace est plus proche qu’on ne pense.

3- Le Grand Calao de Zoé Cauwet
 - France - 27 min - 2024
 - Aujourd'hui est un jour de grande chaleur, comme souvent à Ouagadougou. Mais c'est aussi une journée toute particulière pour ce groupe de femmes. Une sortie longtemps attendue, un moment de découverte et de pause dans le tumulte du monde et de la vie pas facile d’un groupe de femmes.

Chaque détail est réfléchi, jusqu’aux avertissements qu’on lit sur le mur du centre aquatique. Le thème des violences conjugales est traité ici d’une manière originale et le résultat est joyeux et pourtant nostalgique : aujourd’hui chacune doit vivre sa belle vie et je souhaite qu’on soit encore en vie l’an prochain.

4 - Cura Sana de Lucía G. Romero
 - Espagne - 19 min - 2024 - VOST
 - Jessica est envoyée par sa mère pour aller chercher de la nourriture pour sa famille auprès d’une association caritative. Le temps presse et elle part avec sa petite soeur Alma. Les deux filles sont marquées par la violence de leur père et ont besoin de décompresser. Elles vont décider de profiter de la Noche de San Juan avec leurs amis, malgré les contraintes imposées par leur mère. Entre rires et tensions, elles tentent d'échapper, le temps d'une soirée, à une réalité familiale difficile que le spectateur perçoit malgré la saturation d’images de couleurs vives.

Le film a été présenté à la Berlinale en section Génération.

5 - Turnaround de Aisling Byrne
Ireland - 17 min - 2024
 - À la suite d'un deuil soudain et tragique, une femme de ménage de l'ouest de Cork doit décider si elle va garder un secret bien caché tout en naviguant dans les pressions rapides de l’entretien d'une propriété touristique. La résolution du cas de conscience équivaut à faire demi-tour symbolique, un de plus que ceux que lui impose la gestionnaire du AirBandB dont elle a la charge. Le film combine ainsi plusieurs thématiques et aborde aussi frontalement la question des migrants.

6 - Nzela de Prescilia Follin 
- France - 4 min - 2025 
- Brefs mais très intenses, les mots d'Ysé tentent de fissurer le silence d'une mémoire oubliée que la réalisatrice a recueillie auprès de femmes qu’elle rencontre au cours de séances photo ou d’ateliers sur la confiance et l’estime de soi. Il a remporté le Prix Thérèse Clerc au festival de courts féministe de Montreuil.

Vous aurez certainement deviné que le court gagnant de Paysages de cinéastes est Turnaround. C’est un film déjà très abouti qui contient tout à fait les germes d’un grand film et auquel j’ai trouvé de multiples qualités.
Une seconde soirée a mis les courts-métrages à l’honneur, avec un peu plus de légèreté, quoique … Il s’agissait de la carte blanche accordée à une artiste singulière, multi-facettes et surtout engagée, Sonadie San, qui est aussi la présidente du Jury des femmes. c’est une artiste d'origine hispano-cambodgienne, née à Ivry-sur-Seine. Elle débute par le théâtre avec trois créations originales, avant de se passionner pour la direction d'acteurs, qu'elle exerce entre la France, la Belgique, le Canada (où elle a vécu trois ans), le Cambodge et le Brésil. Au Québec, elle accompagne les rôles principaux du film Scratch, nommé aux prix du Gala Québec Cinéma.

mercredi 10 septembre 2025

Muganga - Celui qui soigne, un film choc de Marie-Hélène Roux

Parce que s’indigner à du sens, Muganga - Celui qui soigne est un de ces films nécessaires qu’il est important de voir pour dénoncer le tragique de la situation des 500 000 femmes (chiffre reconnu par l’ONU) violées dans la région orientale de la République Démocratique du Congo, qu’un des personnages surnomme d’ailleurs la République Dramatique du Congo.

Le scénario est inspiré du livre Panzi, co-écrit par Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière (publié en 2014 aux Editions du Moment). Sans être un biopic il restitue le sauvetage, par ce médecin congolais, de milliers de femmes victimes de violence sexuelle à partir des années 90, ce qu’il a fait au péril de sa vie. Il est d’ailleurs sous protection depuis l’attentat qui l’a visé en 2011.

La réalisatrice, Marie-Hélène Roux, connait très bien l’Afrique. Elle est née au Gabon où elle a tourné le film en 2023. Elle ne nous épargne pas les atrocités perpétrées sur des femmes, des fillettes et même des bébés. Comme le dit la femme de Mukwege avec ironie : Les Hutus sont atrocement inventifs en mutilation. Ce pays est en train de mourir. Le film respire le vrai mais s’il nous permet de saisir le pire il met aussi en avant le meilleur de l’humanité. 

Quelques chiffres sont significatifs : plus de 1100 femmes continuent d’être victimes chaque jour dans des opérations orchestrées avec sauvagerie, et une sur deux est porteuse du VIH. Ce médecin, et son équipe, ont soigné et opéré dans l’hôpital de Panzi plus de 80 000 femmes victimes de violence sexuelle en obtenant 100% de réussite dans leur guérison. Denis Mukwege (Isaach De Bankoléest une des personnalités les plus distinguées au monde, à juste titre, mais ce n’est pas pour autant que les violences cessent, sans doute parce qu’elles sont planifiées pour permettre une surexploitation des richesses du pays en faisant régner la terreur dans les zones d’extraction du coltan, un minerai indispensable à nos téléphones portables. Le sol congolais est un des plus riches du monde alors que sa population est une des plus pauvres. Alors, comme le dit le médecin avec une immense humilité : comment se réjouir des honneurs qui vous sont adressés, même si on a reçu le Prix Nobel de la Paix ? 

Au-delà de la dénonciation de ces massacres, et des bourreaux, le film retrace aussi la collaboration avec cet autre médecin, belge, le docteur Guy-Bernard Cadière (excellent Vincent Macaigne), précurseur dans les techniques de chirurgie minimale invasive, comme la laparoscopie (proche de la cœlioscopie qui permet d’opérer sans ouvrir et donc sans créer de grandes cicatrices supplémentaires). Ensemble, ils vont opérer à quatre mains, portés par la force des femmes.

On ne peut pas occulter ce qui précède et pourtant on est traversé par de très belles émotions parce que tout est « soigné », aussi bien le récit historique que la partie fictionnelle avec des personnages très Att enchantas comme Boussara qui ne veut pas accepter l’enfant qu’elle porte ou Blanche que l’on retrouve régulièrement. Chaque épisode de sa fuite s’inscrit dans une fonction de fil rouge, nous ramenant régulièrement à la dureté de ce que ces femmes subissent. On la voit ébouriffée, fantomatique, traversant des paysages infinis, qui sont souvent floutés, traînant son corps meurtri sur des routes de terre rouge qui n’en finissent pas. Sans doute cette même terre qui recèle les métaux rares.

Je ne donnerai qu’un exemple de la pudeur et de la beauté de certains plans : le corps de Blanche allongé en sécurité entre deux immenses racines d’un arbre de Ceiba, avec son bébé sur sa poitrine. Chaque plan respire l’intelligence ; le montage est précis ; les lumières sont savantes. L’interprétation est formidable par « des comédiens qui ne jouent pas mais qui sont ». Il y a aussi un vrai scénario qui tire le long-métrage plus loin qu’un biopic et où les survivantes ne sont pas victimisées malgré leur passé.

Marie-Hélène Roux y a travaillé pendant 10 ans et a pesé chaque mot afin de leur rendre leur dignité sans pour autant aseptiser le propos. Producteurs et distributeurs sont courageux de la suivre dans ce film pour lequel on ne cesse de la remercier de l’avoir entrepris.

La discussion qui a suivi l’avant-première qui a eu lieu au cinéma Le Rex dans le cadre du festival Paysages de cinéastes le mercredi 10 septembre fut passionnante. Elle s’était munie d’une boîte bien garnie de pansements, portant le nom de  qu’elle a largement distribué en argumentant : « pour soigner il faut regarder en face la blessure avant de mettre le pansement ».

On n’entend pas suffisamment parler de ce conflit qui date de plus de trente ans. Comment agir contre des bourreaux qui infiltrent les plus hautes sphères d’un pays qui va en mourir ? Espérons que cette oeuvre cinématographique puisse changer le cours de l’histoire et que le monde ne reste plus aveugle et indifférent.

Muganga - Celui qui soigne de Marie-Hélène Roux
Avec Isaach De Bankolé, Vincent Macaigne, Manon Bresch, Babetida Sadjo, Déborah Lukumuena …
Prix du public et Prix de la jeunesse au festival du film francophone d'Angoulême 2025 et Prix d’interprétation pour Isaach De Bankolé
Au cinéma le 24 septembre prochain. 

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