Thérèse Desqueyroux est tiré du roman éponyme de François Mauriac publié en 1927. Il y eut une première adaptation en 1962, avec Emmanuelle Riva et Philippe Noiret dans une réalisation de Georges Franju.
Et depuis cinquante ans, rien ...! L'histoire était quasiment tombée dans les oubliettes. Claude Miller annonçait pourtant régulièrement à ses intimes qu'il avait le projet d'en faire un film. Il estimait que le texte et la figure féminine étaient restés modernes. Il reconnaissait en tout cas les femmes d'aujourd'hui dans la problématique à laquelle se heurtait Thérèse. Et surtout, il comptait bien restituer le climat d’ambiguïté qu'il avait tant apprécié dans le roman, souhaitant mettre le spectateur au travail pour rentrer dans le film.
Il avait choisi le parti-pris de raconter l'histoire de manière chronologique, sans procéder par flash-backs comme l'avait voulu l'écrivain. Il donne ainsi davantage d'importance à la psychologie des personnages qu'à leurs péripéties.
On perçoit des gazouillis d'oiseaux dès les premières images, presqu'immédiatement suivis de bruits de bouche. Les dents croquent dans le chocolat, dans une pomme. Arrivent des bruissements d'insectes, le craquètement des arbres, des claquements d'ailes. Anne et Thérèse se poursuivent à vélo dans la forêt landaise, animées par l'insouciance de l'adolescence. Nous sommes en 1922, dans un lieu-dit joliment nommé l'Espérance.
Le piano surgit après plusieurs minutes, signalant qu'on est entré dans la fiction. Et crac Anne tord le cou d'une palombe en proférant une prophétie sans s'embarrasser du futur : il t'épouse mon frère !
Avril 1928, Thérèse Larroque fait sa déclaration à Bernard Desqueyroux : je vous épouse pour vos pins et vous n'avez pas honte ? Ce qu'il faudrait traduire par une mise en garde : attention, je ne suis pas amoureuse de vous ... Mais Bernard a l'insouciance des jeunes hommes fortunés et de bonne famille. Il s'amuse de cette jeune fille qui réfléchit trop. Il y a tant d'idées dans cette tête !
A cette époque, on arrange les mariages pour réunir les terrains et allier les familles. Thérèse attend autre chose de cette union. Elle voudrait que son mari la délivre de ses pensées et la sauve de tout ce désordre qu'elle a dans la tête. Elle se glissera quand même avec bonne volonté dans le rôle qu'on lui demande de jouer. Qu'importe si le mariage prend des allures d'enterrement, sans musique, avec une avancée à pas comptés comme seuls les croque-morts savent le faire.
Bernard ne sera pas à la hauteur. Il est hypocondriaque et serait bien en peine de se préoccuper des angoisses existentielles de son épouse. Elle est enceinte en octobre. Thérèse ne sera pas plus chanceuse avec son enfant qui préférera toujours sa tante. La jeune femme parait pourtant solide. Sa force masque un manque de volonté. Elle agit en quelque sorte comme téléguidée par son mari tant son désir de vivre "sa vie" ne peut s'exprimer.
Le jeu des comédiens est intense, riche d'une grande épaisseur de non-dits. Gilles Lelouche est touchant, parfois désarmant de candeur, Anaïs Demoustier est pétillante, débordante d'énergie et Audrey Tautou joue la grande mystérieuse.
L'ennui la pousse au crime. C'est aussi bête que cela. Elle voudrait tant qu'il se passe quelque chose ! Le paysage est magnifique mais ça ne suffit pas à remplir ses journées. Il se plaint sans cesse alors qu'il est en parfaite santé, consulte un spécialiste qui prescrit de l'arsenic. Il prend ses gouttes avec une application exaspérante. Elle le prévient. Il ne l'entend pas. Elle ressent un tumulte intérieur qui menace de la détruire mais elle ne dévoile rien de ce qu'elle pense. En somme, il gagnerait à se taire un peu et elle devrait se livrer davantage.
Certes, son geste est condamnable même si la caméra la filme avec tendresse. Plus tard, au moment où la culpabilité éclatera Thérèse donnera comme seule explication : c'est toi qui m'en a donné l'idée ...
Claude Miller a impressionné son équipe par son courage puisqu'il allait à Bordeaux le matin en radiothérapie, revenait tourner l'après-midi. Il a juste eut le temps d'achever le film sans que l'on sache s'il avait conscience que ce serait le dernier. Il n'a évidemment pas eu le loisir d'exprimer ses intentions à l'égard des personnages mais on comprend qu'il aurait assumé son parti-pris positif. Pour des raisons qui dépassent sans doute le féminisme qu'on lui connaissait. Claude Miller était un homme d'engagements. Il était le parrain du festival Paysages de cinéastes de Chatenay-Malabry (92) dont j'ai beaucoup rendu compte sur le blog.
Thérèse Desqueyroux a été présenté hors compétition au Festival de Cannes quelques semaines après sa mort. Je l'ai vu dans la salle du Rex qui porte son nom et comme tous ceux qui étaient là ce soir-là je suis repartie avec mes interrogations. La haine de la bourgeoisie et des conventions exige-t-elle autant de sacrifice ?
1 commentaire:
223Bravo. Vous êtes la seule à parler des sons, de l'intention de Thérèse de trouver une issue dans son mariage, de l'hypocondrie de Bernard.Vous, vous avez vu et entendu ce film et ne déformez pas ce qu'il présente.
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