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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mardi 4 décembre 2012

Le Journal d'Anne Frank en création mondiale au théâtre Rive Gauche


Le Théâtre Rive Gauche s'appelait autrefois (en 1986) le Grand Théâtre d'Edgar, avant d'être un cinéma porno et encore plus loin dans le temps un café-concert. C'est Alain Mallet qui en fit un "vrai grand théâtre" en le rebaptisant Rive Gauche en 1994.


Il est aujourd'hui dirigé par un trio autour de Eric-Emmanuel Schmitt, auteur français le plus joué à l'étranger.

Anne Frank figure, de son coté, parmi les vingt auteurs les plus lus au monde. Son Journal, oeuvre unique, et pour cause, a été traduit dans presque toutes les langues. Je me souviens d'avoir vu le manuscrit original avec émotion dans le musée qu'est devenu "la Maison d'Anne Frank", au numéro 267 du canal Prinsengracht d'Amsterdam. Il me semble que c'est le livre le plus lu après la Bible.

C'est autre chose qu'un recueil d'états d'âme comme en font beaucoup d'adolescentes (écrire est alors un passe-temps très féminin). C'est bien davantage qu'un témoignage sur l'enfermement, ou la vie clandestine d'une famille juive pendant la seconde guerre mondiale. C'est malgré tout cela, et plus encore. Parce qu'Anne avait un avis précis sur tout, un humour fin, une maturité hors normes, un vrai talent.

Le succès du livre a depuis longtemps dépassé l'engouement pour le destin "incroyablement" tragique de cette jeune fille. La famille Frank, après avoir tenu bon tout de même plus de deux ans, dans un univers clos, en plein centre ville, donc particulièrement exposé, et en subissant moult restrictions alimentaires, d'eau et d'électricité, a été dénoncée ... par vengeance, ou intérêt ... 

La pièce fait état d'une lettre anonyme. Ce fut un appel téléphonique. Le nom a été inscrit dans les registres nazis, qui furent ensuite détruits. On a appris récemment que ce devait être un ami d'un proche de son père, maitre chanteur et collaborateur. La prime de dénonciation équivalait à 250 € par personne, et ils étaient 8. Otto Frank n'a jamais voulu aborder le sujet, préférant consacrer la totalité de son énergie à la publication du Journal.

Il avait monté à Amsterdam une entreprise spécialisée dans la fabrication d'additifs alimentaires et d'épices, la société Opekta, qui commercialisait notamment de la pectine, une substance gélifiante utilisée comme conservateur dans de nombreuses denrées. En 1941, pour échapper aux lois antijuives, il transféra la propriété juridique à un prête-nom néerlandais, Jan Gies, lequel venait de se marier avec Miep, entrée comme secrétaire chez Opekta en 1933 et promue à un poste administratif important depuis.

C'est surtout Miep qui assurera la sécurité des Frank et de leurs amis pendant leur clandestinité qui démarre plus brutalement que prévu en juillet 1942, alors que Margot, la soeur d'Anne, vient de recevoir sa convocation pour le service du travail obligatoire, épisode que la pièce reprend évidemment. 

Le journal s'achève quelques jours avant l'arrestation de la famille Frank, en 1944. Anne mourra du typhus dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Seul Otto Frank a survécu. Le "journal" a été récupéré par Miep dans l'Annexe, après l'arrestation des Frank. Des feuilles volantes tombées à terre et le fameux cahier à couverture blanche et rouge reçu pour son treizième anniversaire. Elle a toujours affirmé ne pas l'avoir lu, en réservant la primeur à Otto Frank, seul survivant de la famille, qui le publie par la suite.

Miep, centenaire, est décédée en 2010. Elle a souvent déclaré qu'elle l'aurait détruit si elle avait eu connaissance du contenu parce que Anne avait écrit certains passages sans concessions à l'égard de sa mère ou de son père. Otto Frank fit quelques coupes dans le texte original.

Le musée a été ouvert le 3 mai 1960 grâce à une souscription publique, trois ans après qu'une fondation eut été créée pour protéger la propriété de promoteurs qui voulaient démolir le pâté de maisons. Dans la mesure où tout ce qui était contenu dans l'Annexe avait été dispersé, Otto Frank a consenti à ce que le public puisse la visiter à condition que les pièces demeurent vides, pour mieux signifier l'absence définitive de ses occupants.

J'avais été choquée par cela, ne reconnaissant pas les lieux qu'Anne décrivait dans son Journal. Egalement par l'afflux des visiteurs venus comme en pèlerinage. Cet espace vide faisait écho à ma traversée du camp d'Auschwitz qui lui semblait en parfait état de marche, autre illogisme, mais inversé.
Eric-Emmanuel Schmitt a écrit une pièce qui fonctionne parfaitement en faisant le lien entre l'après et les mois passés dans la cachette. Le plateau rend admirablement compte de l'exiguïté des lieux. A cour, l'extension naturelle de la scène permet de placer le bureau d'Otto Frank et Francis Huster fait l'aller retour entre le père âgé et celui qui vécut à l'Annexe.

Cet endroit est situé devant la porte mobile qui masquait l'escalier conduisant à la cachette, derrière des étagères encombrées de dossiers administratifs.

Le spectacle commence en rappelant le désarroi d'Otto Frank en 1945, quand, revenu des camps, il attend tous les jours ses deux filles sur le quai de la gare d’Amsterdam. Le visage d'Anne occupe un voile qui fait écran au décor. Bientôt joyeux, mais muet, il disparait dans un nuage de vapeur.

J'ai retrouvé l'atmosphère du Journal que vous connaissez sans doute. La force de la pièce est de ne pas en être une copie mais de révéler particulièrement la psychologie des protagonistes. Le décor, les costumes, les éclairages, la mise en scène, tout concourt à la qualité du spectacle.

Les comédiens sont formidables de naturel et voilà la recette du succès. Parce qu'il n'est pas utile d'appuyer sur ce qui pourrait apitoyer en provoquant un flot de larmes inutiles. Francis Huster exprime le regret du père de s'être agacé de voir son enfant écrire aux dépends de ses études, de l'avoir grondé inconsidérément, de lui avoir offert l'enfermement, la solitude et la peur mais il le fait en retenue.

La vitalité d'Anne explose. Roxane Duran, 19 ans, révélée par le film de Michaël Haneke, le Ruban blanc, est une interprète tout à fait crédible malgré son âge qui renforce au contraire la maturité de la jeune fille. Même si Anne restera le symbole d'un génocide, c'est son humour, son à-propos et son intelligence qui dominent. Elle nous fait rire quand elle refuse de parler allemand parce que cette langue est une façon de brailler

Elle espérait qu'un jour sa famille et ses amis pourraient êtres considérés comme des êtres vivants et pas des juifs. C'est ce qui nous est offert au Théâtre Rive Gauche et le petit clown peut se réjouir de voir son rêve réalisé. 

LE JOURNAL D’ANNE FRANK
Du 5 septembre 2012 au 31 mars 2013 au Théâtre Rive gauche, 6 rue de la Gaité, 75014 Paris
Une pièce de Eric-Emmanuel Schmitt d’après Le Journal d'Anne Frank, avec la permission du Fonds Anne Frank (Bâle)
Avec par ordre d’entrée en scène : Francis Huster, Gaïa Weiss, Roxane Duran, Odile Cohen, Katia Miran, Charlotte Kady, Yann Babilee Keogh, Bertrand Usclat, Yann Goven
Mise en Scène : Steve Suissa Collaboratrice artistique : Céline Billès-Izac
Décors : Stéfanie Jarre Costumes : Sylvie Pensa
Lumières : Jérôme Almeras Son : Alexandre Lessertisseur
Casting : Agathe Hassenforder
Du 5 septembre 2012 au 31 mars 2013, du mardi au samedi à 21h, matinées le samedi et le dimanche à 15h30, 01 43 35 32 31

Dernière critique d'un ouvrage d'Eric-Emmanuel Schmitt sur A bride abattue : la femme au miroir

1 commentaire:

Chantal a dit…

Bravo pour cet article poignant qui, en cette période de pré-fêtes, nous redonne le vrai sens de la vie, du racisme et de la mort.

Merci MARIE-CLAIRE de nous apporter toutes ces lueurs qui posent question dans le monde d'aujourd'hui.

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