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lundi 17 décembre 2012

Viktor Lazlo et Billie Holiday

J'aurais pu titrer Viktor Lazlo est Billie Holiday. C'est en tout cas la très forte impression qu'elle provoque sur la scène du Théâtre Rive Gauche où je suis allée l'entendre.

Elle connait parfaitement l'univers de la chanteuse de jazz. My name is Billie Holiday est aussi bien l'intitulé d'un album que d'un spectacle, et même d'un roman qu'elle vient de publier aux éditions Albin Michel.

De Viktor Lazlo chacun se souvient des grands succès comme Canoë rose et Pleurer des rivières (l'adaptation de Cry me a river) qui annonçait sa prédilection pour le jazz. L'album qu'elle consacre aux standards de Billie Holiday est de la même veine. Il serait impropre de parler à ce propos de "reprises" tant l'interprétation est personnelle et très réussie.

Tout s'est fait parallèlement. Le spectacle a été créé en Belgique il y a un an mais la mise en scène d'Eric-Emmanuel Schmitt est plus aboutie que la première version. Entourée d'un pianiste, un contrebassiste, un saxophoniste et un batteur, Viktor Lazlo interprète davantage de titres que dans l'album, et cela dans une ambiance presque comédie musicale.
On perd la notion du temps et de l'époque quand elle apparait en pantalon et petit pull. Je me souviens de photos de ma mère pareillement vêtue dans les années cinquante. Les musiciens sont installés à jardin; elle est à cour, dans un fauteuil confortable. Et nous voilà vite propulsés dans un club de jazz.

Cà démarre prestement avec Them there eyes chantée aussi par Diana Ross ou Frank Sinatra. La vie étincelle, pétille. Sa voix respire la joie de vivre et l'optimisme. Tout semble facile avec Easy living (qui est aussi Summertime).
Pourtant tout ne va pas être rose. On sent pointer la mélancolie avec The man I love. Le grand amour existe-t-il ? Billie, alias Viktor joue la dure en borsalino, veste, et cigare et poursuit sur la veine optimiste : You go to my head ... comme des bulles, encore des bulles, dans une flute de champagne.

Elle nous livre les faits les plus essentiels : une mère qui se comporte comme un mac, un viol à onze ans qui lui laisse un sentiment de culpabilité, un père gazé en 1914 qui ne sera jamais trompettiste. Elle accueille les chagrins avec Goodmorning Heartache, simplement assise devant un fond bleu, symbolique du blues qui l'habite. Peut-on survivre et chanter malgré une enfance saccagée ? Et les excès en tous genres aussi. (page 114) Vivre avec sérénité ? Pas si sûr, car elle nous le dit avec fatalisme : on ne peut pas remettre le dentifrice dans le tube.

Dans le roman elle écrit à propos de cette chanson (page 83) assieds-toi, peine de coeur, comme on inviterait un intrus à prendre place parce qu'on sait qu'il est là pour un moment et qu'on ne le délogera pas.

Le passé j'y peux rien, le présent je m'éclate, le futur sera une ombre. Mais chassons la mélancolie. On passe au rouge et vive le swing ! Quelle force de caractère il faut pour chanter alors Love for sale. La voici dans une atmosphère urbaine, devant un mur de briques, à vendre puisqu'elle est noire et qu'à cette époque là on ne mélange pas le blanc avec la couleur. Les affiches le précisent : white only ou au contraire for colored. Même si on s'appelle Orson Welles.

Strange Fruit, faisant référence à la pendaison de deux noirs à un arbre, est sans doute le titre le plus violent. C'était aussi le titre d'une oeuvre que j'ai vue il y a quelques semaines à l'Espace culturel Vuitton dans le cadre de l'exposition Journeys.

On assiste presque à une forme de mimétisme même si ce n'est pas cette carte là qui est jouée. C'est troublant à l'extrême, jusqu'au duo virtuel avec l'originale sur Georgia on my mind. Le même gardénia dans les cheveux. Ne lui manquent que les deux rangs de perles pour compléter l'illusion. Mais ce n'est précisément pas l'effet recherché. Viktor garde sa personnalité tout au long de la soirée et c'est ce qu'on apprécie.

L'humour revient. Elle se démultiplie avec Me, Myself And I et c'est en longue robe de velours qu'elle donne My Man, la chanson fétiche de Mistinguett au début du vingtième siècle, et celle de Barbra Streisand beaucoup plus tard. L'amour est sublime, même s'il est sans espoir. Mais le plus émouvant c'est encore sa façon d'évoquer les enfants. Avec notamment God bless the child dont Billie Holiday a écrit elle-même les paroles.
L'amour, toujours, avec Let's do it, let's fall in love. Un très beau spectacle qui donne envie de lire le roman, et réciproquement. Malgré des phrases comme j'ai grandi avec le sentiment permanent d'avoir usurpé ma place (page 28) le livre n'est pas davantage autobiographique sur elle même que sur la dame au nom de vacances orthographié autrement. C'est un vrai travail d'écriture et on le goûte sans se poser de questions.

Sauf une ... si j'avais eu l'occasion de rencontrer Viktor Lazlo je lui aurais demandé la recette du poulet feux de la rampe (page 141) dont je suis certaine que c'est un plat de famille. Il y a des choses qui ne s'inventent pas.

My name is Billie Holiday, de Viktor Lazlo, Albin Michel, 177 pages, 16 euros.
Et jusqu'au 19 janvier à 19 heures, au Théâtre Rive gauche, 6 rue de la Gaité, 75014 Paris

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