Je me souviens parfaitement du récit autobiographique d'Helen Keller, Sourde, muette et aveugle, dont j'ai découvert le parcours exemplaire quand j'étais à peine adolescente.
Sa détermination est exemplaire et j'emploie toujours un ballon en pensant à elle pour faire comprendre à un enfant la notion de longueur d'ondes, en démontrant que le son se propage dans l'air. Il tient le ballon entre ses mains alors que je parle à voix haute et il sent les ondes lui chatouiller la paume de la main. C'est toujours source d'émotion.
Autant vous dire que je suis arrivée pour voir Miracle en Alabama en pensant que je n'aurai aucune surprise ... si ce n'est celle d'assister à un excellent spectacle qui, en somme toute peu de temps, retrace l'essentiel l'histoire vraie du parcours de la jeune femme et de son éducatrice.
James (Julien Crampon) installe l'ambiance en jouant un air country à Jardin alors que le public s'installe. Nous sommes en 1887, au coeur de l'Alabama, un de ces états qui, avec le Mississippi et la Louisiane, n'ont rien perdu de leurs convictions sudistes même si la guerre de Sécession s'est terminée il y a un peu plus de 20 ans.
L'homme y est un dominant. On ne sera pas surpris de cette manière d'appeler le père de famille (excellent Pierre Val qui est aussi l'adaptateur et le metteur en scène) "capitaine" -y compris par son épouse- et de l'entendre vouloir clouer le bec de l'éducatrice parce qu'elle lui résiste. Je ne me souvenais pas de la force de son tempérament. Ce cousin du (grand) général Lee est animé par la loyauté militaire et une promesse est une promesse. Il respectera la sienne de laisser le champ libre à la jeune femme ... pour un temps, et jusqu'à ce qu'elle fasse ses preuves.
Mais pour le moment nous partageons la joie de la famille. Une petite Helen est arrivée, magnifique. Hélas le bébé doit surmonter une belle congestion cérébrale mais la fièvre est tombée et elle semble indemne.
La pièce n'est pas très longue ni bavarde, mais chaque phrase compte, représentant un message, plus ou moins codé. Comme celle-ci : tous ces médecins qui vous guérissent sans savoir de quoi ... il faudra qu'un jour les femmes s'en mêlent.
La mère (Valérie Alane) découvre que sa petite fille est aveugle et sourde. Evidemment elle ne parlera pas ... puisqu'elle n'entend pas.
On fait un bond dans le temps. Helen (ce soir interprétée par Clara Brice) touche et renifle tout ce qui est autour d'elle. Ses tentatives pour comprendre le monde qui l'entoure sont vaines et dérisoires, et quand elle vole des boutons pour réclamer des yeux pour sa poupée on ne voit là que caprice et pas une forme de communication.
La maison des Keller est symbolisée par un relief représentant l'intérieur du foyer, comme dans un plan de coupe, avec au centre du plateau, la table familiale autour de laquelle s'organise toute la vie du foyer.
Un voile de tulle efface le décor conçu par Alain Lagarde lorsqu'il est nécessaire de suggérer que l'action se déroule ailleurs. Sans chercher la reconstitution historique les costumes de Pascale Bordet sont une évocation du style de la fin du XIX° aux Etats-Unis.
On ne peut pas laisser cette petite dans cet état ! Arthur ne croit plus aux miracles, la placer dans un asile serait la solution la plus sage. On essaie pourtant le tout pour le tout, en faisant appel à Anne Sullivan (Stéphanie Hédin, dont je me souviens dans le rôle de Françoise dans le Repas des fauves), éducatrice spécialisée qui, ce n'est pas de chance, est imprégnée d'opinion libérales qui heurteront grandement la famille, sauf le beau-fils James qui, enfin, se sent reconnu et à sa place.
Un des personnages secondaires, la tante Eve (Marie-Christine Robert) participe à l'instauration de l'humour, ce qui allège un propos qui aurait pu vite devenir très moralisateur et contrebalance avec les émotions.
La gouvernante explique que le langage compte plus pour l'esprit que la vue et qu'il est donc essentiel d'apprendre à Helen parler. Cela semble naturel aujourd'hui mais à l'époque c'était purement révolutionnaire. On la voit témoigner de l'empathie pour l'enfant, mais de la pitié jamais, pour celle qu'elle accuse de despotisme. La famille lui cède tout et il est donc indispensable à la soustraire dans un premier temps à cette influence qu'elle estime néfaste. Ai-je besoin de décrire la surprise du capitaine ?
Elle va toutefois obtenir un sursis de quelques jours pour entreprendre son programme. Sans relâche on la voit signer dans la main de la petite fille tous les mots correspondant aux objets qu'elle touche sans parvenir à provoquer le moindre déclic. La tâche est ardue.
On assiste aussi aux crises d'angoisse, ponctuées de cris d'enfant, que provoque le souvenir de sa propre enfance, marquée par la mort de sa mère, son placement en institut, et sa propre rééducation pour guérir de ses problèmes oculaires. Elle est jeune, avec peu d'expérience mais elle connait le monde du handicap. Elle sait que la surprotection n'est pas une aide : vous l'aimez trop pour pouvoir l'aider dit-elle aux parents.
C'est la mère qui donne l'indice déterminant en lui apprenant qu'Helen prononçait le mot eau à six mois, prouvant combien elle était intelligente. Il est resté dans son cerveau. Anne le réactivera en versant de l'eau sur sa main tout en signant le terme. Ce moment est déterminant. A l'instar d'une clé dans une serrure, ouvrant le cerveau de la petite fille à la communication en lui permettant de comprendre qu'un mot fait relation avec l'objet (ou la personne) qu'il désigne.
Le spectacle a un intérêt humain et historique car Helen Keller a eu une importance qui marquera le XIX° siècle (autant que Napoléon) en raison de ses nombreux engagements en faveur des personnes handicapées, et contre la Première Guerre Mondiale. Il rend hommage au rôle tenu par Anne Sullivan qui restera auprès d'elle pendant 49 ans. Il a aussi une résonance contemporaine quand on songe qu'en idolâtrant leurs enfants, et en ne leur opposant aucune barrière, les parents créent ces petits despotes qu'Anne désignaient comme inaptes à grandir et à se développer. Entrer dans les apprentissages n'est pas automatique du tout et il faut avoir l'esprit concentré pour cela.
Signalons Miracle en Alabama qui est le film qu'Arthur Penn a réalisé sur ce sujet en 1962 pour ceux qui voudront en savoir plus sur cette histoire qui, je le rappelle est tout à fait authentique. Je recommande enfin la lecture du livre écrit par Helen Keller elle-même.
Sa détermination est exemplaire et j'emploie toujours un ballon en pensant à elle pour faire comprendre à un enfant la notion de longueur d'ondes, en démontrant que le son se propage dans l'air. Il tient le ballon entre ses mains alors que je parle à voix haute et il sent les ondes lui chatouiller la paume de la main. C'est toujours source d'émotion.
Autant vous dire que je suis arrivée pour voir Miracle en Alabama en pensant que je n'aurai aucune surprise ... si ce n'est celle d'assister à un excellent spectacle qui, en somme toute peu de temps, retrace l'essentiel l'histoire vraie du parcours de la jeune femme et de son éducatrice.
James (Julien Crampon) installe l'ambiance en jouant un air country à Jardin alors que le public s'installe. Nous sommes en 1887, au coeur de l'Alabama, un de ces états qui, avec le Mississippi et la Louisiane, n'ont rien perdu de leurs convictions sudistes même si la guerre de Sécession s'est terminée il y a un peu plus de 20 ans.
L'homme y est un dominant. On ne sera pas surpris de cette manière d'appeler le père de famille (excellent Pierre Val qui est aussi l'adaptateur et le metteur en scène) "capitaine" -y compris par son épouse- et de l'entendre vouloir clouer le bec de l'éducatrice parce qu'elle lui résiste. Je ne me souvenais pas de la force de son tempérament. Ce cousin du (grand) général Lee est animé par la loyauté militaire et une promesse est une promesse. Il respectera la sienne de laisser le champ libre à la jeune femme ... pour un temps, et jusqu'à ce qu'elle fasse ses preuves.
Mais pour le moment nous partageons la joie de la famille. Une petite Helen est arrivée, magnifique. Hélas le bébé doit surmonter une belle congestion cérébrale mais la fièvre est tombée et elle semble indemne.
La pièce n'est pas très longue ni bavarde, mais chaque phrase compte, représentant un message, plus ou moins codé. Comme celle-ci : tous ces médecins qui vous guérissent sans savoir de quoi ... il faudra qu'un jour les femmes s'en mêlent.
La mère (Valérie Alane) découvre que sa petite fille est aveugle et sourde. Evidemment elle ne parlera pas ... puisqu'elle n'entend pas.
On fait un bond dans le temps. Helen (ce soir interprétée par Clara Brice) touche et renifle tout ce qui est autour d'elle. Ses tentatives pour comprendre le monde qui l'entoure sont vaines et dérisoires, et quand elle vole des boutons pour réclamer des yeux pour sa poupée on ne voit là que caprice et pas une forme de communication.
La maison des Keller est symbolisée par un relief représentant l'intérieur du foyer, comme dans un plan de coupe, avec au centre du plateau, la table familiale autour de laquelle s'organise toute la vie du foyer.
Un voile de tulle efface le décor conçu par Alain Lagarde lorsqu'il est nécessaire de suggérer que l'action se déroule ailleurs. Sans chercher la reconstitution historique les costumes de Pascale Bordet sont une évocation du style de la fin du XIX° aux Etats-Unis.
On ne peut pas laisser cette petite dans cet état ! Arthur ne croit plus aux miracles, la placer dans un asile serait la solution la plus sage. On essaie pourtant le tout pour le tout, en faisant appel à Anne Sullivan (Stéphanie Hédin, dont je me souviens dans le rôle de Françoise dans le Repas des fauves), éducatrice spécialisée qui, ce n'est pas de chance, est imprégnée d'opinion libérales qui heurteront grandement la famille, sauf le beau-fils James qui, enfin, se sent reconnu et à sa place.
Un des personnages secondaires, la tante Eve (Marie-Christine Robert) participe à l'instauration de l'humour, ce qui allège un propos qui aurait pu vite devenir très moralisateur et contrebalance avec les émotions.
La gouvernante explique que le langage compte plus pour l'esprit que la vue et qu'il est donc essentiel d'apprendre à Helen parler. Cela semble naturel aujourd'hui mais à l'époque c'était purement révolutionnaire. On la voit témoigner de l'empathie pour l'enfant, mais de la pitié jamais, pour celle qu'elle accuse de despotisme. La famille lui cède tout et il est donc indispensable à la soustraire dans un premier temps à cette influence qu'elle estime néfaste. Ai-je besoin de décrire la surprise du capitaine ?
Elle va toutefois obtenir un sursis de quelques jours pour entreprendre son programme. Sans relâche on la voit signer dans la main de la petite fille tous les mots correspondant aux objets qu'elle touche sans parvenir à provoquer le moindre déclic. La tâche est ardue.
On assiste aussi aux crises d'angoisse, ponctuées de cris d'enfant, que provoque le souvenir de sa propre enfance, marquée par la mort de sa mère, son placement en institut, et sa propre rééducation pour guérir de ses problèmes oculaires. Elle est jeune, avec peu d'expérience mais elle connait le monde du handicap. Elle sait que la surprotection n'est pas une aide : vous l'aimez trop pour pouvoir l'aider dit-elle aux parents.
C'est la mère qui donne l'indice déterminant en lui apprenant qu'Helen prononçait le mot eau à six mois, prouvant combien elle était intelligente. Il est resté dans son cerveau. Anne le réactivera en versant de l'eau sur sa main tout en signant le terme. Ce moment est déterminant. A l'instar d'une clé dans une serrure, ouvrant le cerveau de la petite fille à la communication en lui permettant de comprendre qu'un mot fait relation avec l'objet (ou la personne) qu'il désigne.
Le spectacle a un intérêt humain et historique car Helen Keller a eu une importance qui marquera le XIX° siècle (autant que Napoléon) en raison de ses nombreux engagements en faveur des personnes handicapées, et contre la Première Guerre Mondiale. Il rend hommage au rôle tenu par Anne Sullivan qui restera auprès d'elle pendant 49 ans. Il a aussi une résonance contemporaine quand on songe qu'en idolâtrant leurs enfants, et en ne leur opposant aucune barrière, les parents créent ces petits despotes qu'Anne désignaient comme inaptes à grandir et à se développer. Entrer dans les apprentissages n'est pas automatique du tout et il faut avoir l'esprit concentré pour cela.
Signalons Miracle en Alabama qui est le film qu'Arthur Penn a réalisé sur ce sujet en 1962 pour ceux qui voudront en savoir plus sur cette histoire qui, je le rappelle est tout à fait authentique. Je recommande enfin la lecture du livre écrit par Helen Keller elle-même.
Miracle en Alabama de William Gibson
Adaptation et Mise en scène Pierre Val
Assistante à la Mise en scène Sonia Sariel
Scénographie Alain Lagarde
Costumes Pascale Bordet
Lumières Anne-Marie Guerrero
Création sonore Fabrice Kastel
Avec par ordre alphabétique Valérie Alane, Julien Crampon, Stéphanie Hedin, Marie-Christine Robert, Pierre Val et, en alternance, Lilas Mekki et Clara Brice
A partir du 8 février 2018
Au moins jusqu'au 28 avril 2018
Du mardi au samedi à 21h
Matinée samedi à 14h30
Au Théâtre La Bruyère
5 rue la Bruyère - 75009 Paris
Plusieurs représentations sont proposées avec une adaptation pour les sourds et malentendants
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Laurencine Lot
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