Comment ai-je pu rater Les bijoux de pacotille quand le spectacle s'est joué en janvier au théâtre de Paris Villette?
Je suis pourtant une inconditionnelle du travail de Pauline Bureau aussi bien dans ce qu'elle fait pour un public d'adultes (je garde de La meilleure part des hommes, et ensuite de Mon coeur un souvenir bouleversant) que d'enfants (je conserve de Dormir cent ans un pur éblouissement).
Toujours est-il que j'ai eu la chance de voir la pièce au théâtre du Rond-Point ce soir et que j'en suis sortie totalement saisie par l'intelligence du propos, la justesse de la mise en scène et de la direction d'acteur et l'interprétation de Céline Milliat Baumgartner.
Mes critiques sont reprises par le site Au balcon qui me demandent d'ajouter une note sur 10. Ce spectacle mérite 12 sur 10 parce que 10 ce n'est pas suffisant. Pauline Bureau m'amène systématiquement à mettre en cause les notations !
J'ai découvert la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie : enfin une chose dont je n'ai pas trouvé d'autre exemple jusqu'à présent sur une scène de théâtre.
L'accident est raconté par la comédienne alors que la salle demeure plongée dans un noir absolu. Sa voix est neutre, comme celle que l'on prend pour relater un constat. Le 19 juin 1985, à 3h30 du matin, une voiture sort de la route à l’entrée du tunnel de Saint-Germain-en-Laye. L'homme et la femme ont été découvert nus, enlacés, tout à fait méconnaissables. Seuls une boucle d'oreille jaune et deux bracelets métalliques ont permis leur identification, qui sont restitués à la famille. Les voilà ces bijoux de pacotille qui jalonnent une sérieuse affaire de drame familial.
Chaque mot prend tout son sens puisque le terme de pacotille renvoie à l'époque de l'esclavage et du commerce triangulaire, désignant une marchandise, généralement de très faible valeur, que les colons échangeaient pour acquérir les esclaves noirs.
Quand la scène s'éclaire Céline Milliat Baumgartner, regarde intensément les spectateurs et prend un temps infini avant de s'adresser à nous, d'une voix un peu différente de celle qui nous reste en mémoire. Elle parle de sa mère, une comédienne formidable qui, elle, a fait une école de théâtre et qui n'aurait pas voulu que sa fille soit actrice. Une mère qui embrassait Depardieu dans un film de Truffaut (Elle était 1981 Arlette Coudray dans La femme d'à coté en 1981).
Si on n'a rien lu sur le spectacle pour venir sans aucun a priori voir la pièce on doute immensément du contexte. On est certain qu'il s'agit de théâtre, uniquement de théâtre, et que Céline est "juste" une comédienne à la ressemblance troublante avec la photo que l'on découvre de cette femme, Michèle Baumgartner. Ce qui est indubitable c'est qu'on est en face d'une interprète dont l'hypersensibilité n'a curieusement d'égal que la force. De là à imaginer qu'elle n'est pas un personnage mais la fille du couple accidenté il y a un pas que l'on n'ose pas faire.
Elle dépose sur le sol une simple boite en carton dont on se dit que ça pourrait être une boite à musique, tout en estimant que notre imagination, décidément, est en train de nous jouer un nouveau tour. Mais l'objet devient boite à musique sous nos yeux qui retrouvent leur regard d'enfant.
L'actrice est seule en scène et son art est de nous embarquer dans son monde, parmi les siens, dont elle évoque le souvenir avec une palette d'émotions très complète, jamais larmoyante, dominée par une infinie tendresse et ... beaucoup d'humour.
Elle entreprend dans ce texte (paru en 2015 et dont elle est l'auteure) un long travail de mémoire à travers les objets et photos qu’elle possède pour dresser le portrait de ses parents disparus. Un père souvent absent pour son travail et une mère actrice puis vient le récit d’une enfance presque normale d’une enfant sans parent. Elle a le sens du tragique, mais aussi de la comédie. Elle nous fait rire de bon coeur en nous racontant les avantages qu'il y a à être reconnue comme orpheline, autant dire la star de l'école. Elle est trop drôle lorsqu'elle partage les ruses des enfants gardés pour épuiser les baby-sitters, majoritairement des filles. Il n'y eut qu'un seul garçon, malchanceux car la nuit s'éternise jusqà ce coup de fil au petit matin pour apprendre la terrible nouvelle. Il fut le premier et le dernier ... et pour cause ... ses parents sont morts cette nuit-là.
Céline nous fait cadeau de ses souvenirs, dans l'ordre dans lesquels on peut les dire quand ils vous reviennent à cause d'un mot, ou d'une musique, une idée en enchainant une autre.
Céline raconte cet été là ... au bord de la mer, jouant du bout des pieds avec les vagues qui viennent lui lécher les orteils. Celui qui pense à une illusion ne croit pas aux souvenirs.
Plus tard elle fera des pointes sur un ciel de nuages. Le recours à la video est justifié et le rendu est magnifique, de l'ordre du magique.
Elle rend un hommage magnifique à sa maman qui est, dit-elle, son rêve familier ... Ma mère, c'est comme si je l'avais faite.
Le texte est très beau. Le matériau autobiographique est travaillé avec une force poétique qui lui donne une valeur universelle. Nous avons tous entendu cette litanie Mais comment tu feras quand on ne sera plus là ? Sauf que nos parents ne sont pas partis juste après.
Elle tord les expressions populaires, nous rendant complice de ses tentatives pour ne pas sombrer, en noyant le poisson sans faire déborder le vase. Elle n'hésite pas à employer le futur pour parler du passé. Elle souffle 15 bougies mais elle a toujours 8 ans, cet âge auquel la tragédie est devenue réalité. Elle retire ses bottines de cuir, deux chaussures qui par la force de la pensée magique vont traverser le fonds de scène.
Elle a désormais dépassé l'âge que sa mère avait au moment de l'accident, et nous transmet cette curieuse sensation que d'être plus vieux que ses parents. On sent la petite fille mûrir sans pour t-autant quitter la robe de coton qui demeure intemporelle. Elle sort de ses poches des lettres testamentaires et diverses pièces juridiques dont la lecture est bouleversante.
Elle nous dit sa manie de faire des listes. Pour ne rien oublier ?
Et puis elle chante, a capella, cette si belle chanson d'Arno (qui accompagne aussi le récit que fait Patrick Timsit dans Le livre de ma mère, mais son interprétation est tellement plus juste et plus puissante que la version originale ...)
Il y a toujours une lumière
L'amour je trouve ça toujours
Dans les yeux de ma mère
L'heure des saluts a sonné. La comédienne reçoit une ovation méritée qui, au six ou septième rappel parvient à lui faire verser une larme, cette larme qu'elle promettait quelques minutes plus tôt, sincère et non feinte, cela va de soi.
On aurait voulu que Pauline Bureau vienne saluer elle aussi car ce travail est le fruit d'une équipe.
Les bijoux de pacotilleTexte et interprétation : Céline Milliat Baumgartner
Mise en scène : Pauline Bureau
Scénographie : Emmanuelle Roy
Costumes et accessoires : Alice Touvet
Composition musicale et sonore : Vincent Hulot
Lumières et régie générale : Bruno Brinas
Dramaturgie : Benoîte Bureau
Vidéo : Christophe Touche
Magie : Benoît Dattez
Travail chorégraphique : Cécile Zanibelli
Jusqu'au 31 mars 2018
Du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 15 h 30
Relâche les lundi et le 11 mars
Au théâtre du Rond-Point - 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt - 75008 Paris
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Pierre Grosbois
Et je remercie, à titre posthume, madame de Sévigné à qui j'ai emprunté la série de qualificatifs qu'elle utilisait pour annoncer à sa fille le mariage de la Grande Mademoiselle dans une lettre fameuse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire