Bourrasque est un de ces spectacles dont on mesure la chance qu'ils existent. Parce que Nathalie Bécue a fait un travail d'écriture très réussi, librement adapté de la pièce L’Ombre de la vallée, en reprenant l’argument tout en modifiant les enjeux et la portée.
Elle place le spectateur au plus près de l'atmosphère poétique qui a imprégné l'Irlande que John Millington Synge (1871-1909) nous a fait découvrir au XIX° siècle ... et qui est encore très vivante grâce à la modernité de la mise en scène de Félix Prader.
La distribution est habile, avec Nathalie Bécue, qui interprète Alice burke, et trois autres comédiens, Pierre-Alain Chapuis (Daniel Burke), Théo Chedeville (Michaël Dara) et Philippe Smith (John), tous différents, qui permettent d'apporter des points de vue parfois déroutants, maintenant le spectateur quasiment en haleine comme s'il était au coeur d'un thriller.
Le caractère primitif de la vie sociale si particulière des îles d’Aran en deviendrait presque "normal" dans un décor rustique, simple et familier.
Par un soir de violente tempête, que l'on entendra rugir derrière la verrière, Alice Burke veille son mari défunt, l’âpre et ombrageux fermier Dan Burke, comme le veut la coutume dans cette contrée reculée. Silence dans la chaumière isolée quand à la porte frappe un inconnu, nomade des collines, cueilleur d’histoires (Synge) qui ravive dans l’âme d'Alice la soif d’un ailleurs. Un autre homme bouscule les certitudes d'Alice, Michaël Dara, le marin devenu berger qui vit à quelques lieues et convoite à la fois les biens et la femme ? Et si, soudain, s’éveillait le défunt, chahutant les vivants, que ferait Alice ?
Le mort est sur scène, muet, cela va sans dire, mais bien présent tout de même. Sa femme lui rend hommage malgré les cahots qui ont chahuté sa vie. C'est une femme simple, qui a les pieds sur terre, capable d'un brin de fantaisie que l'on remarque dans le point de tricot du gilet qu'elle porte sur une robe bleu marine. Sans doute réalisé avec la laine de ses moutons.
Les paroles se bousculent au rythme des souvenirs et à la mesure des angoisses qui l'assaillent, comme des ressentiments qu'elle exprime ... toute seule. La tempête qui agite son esprit est semblable à celle qui souffle au dehors. Elle reconnait qu'elle ne sait plus où elle en est et s'assoit près de celui qui fut son homme.
Chaque mort serait une étoile qui scintille dans le ciel ... Au-delà de cette jolie image, Alice est confronté à l'absence de deux beaux enfants partis aux Amériques et aujourd’hui un mari qui part et à qui elle parle comme s'il était vivant et comme elle ne lui a sans doute jamais parlé, parce que jusque là elle n'osait pas. Tout bascule, ça vrille, comment c’est possible, possible, je suis en colère.
Elle refuse puis accueille la réalité et ... l'homme étranger, qui explique sa fonction : je cueille des mots. Et qui fait davantage en analysant les évènements. C'est lui qui le premier a un doute : Il est mort votre copain ! On dirait qu’il fait le mort.
Si effectivement la mort n'était qu'une ruse, pour permettre de débusquer la vérité vraie, à l'instar d'Orgon caché sous la nappe pour confondre Tartuffe.
La langue choisie par Nathalie Bécue est précise, poétique et féroce : Si je désentortille votre charabia. J’ai trop la trouille pour pas y aller... avant de se décider à dérouler ses rêves sous ses pas.
Faisons nous aussi le pas pour ne pas louper ce petit bijou qui se joue au théâtre de la Tempête jusqu'au 15 avril 2018.
Bourrasque de Nathalie BécueMise en scène Félix Prader
Avec Nathalie Bécue (Alice Burke), Pierre-Alain Chapuis (Daniel Burke), Théo Chedeville (Michaël Dara), Philippe Smith (John)
Scénographie et costumes Cécilia Galli
Création sonore Estelle Lembert
Direction des combats François Rostain
Du 16 mars au 15 avril 2018
Du mardi au samedi 20 h 30 dimanche 16 h 30
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Antonia Bozzi
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire