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dimanche 25 mars 2018

Seuls les enfants savent aimer de Cali, au Cherche Midi

Seuls les enfants savent aimer, c'est écrit page 65 (...) Seuls les enfants meurent d'amour. (...) A chaque seconde le coeur d'un enfant explose.

Sans doute le coeur de Cali n'a pas encore cicatrisé puisque à près de cinquante ans il publie ce livre qui, même s'il est présenté comme un roman, est un cri d'amour déchirant : Tu me manques à crever, maman. Jusqu'à quand vas-tu mourir ? (p38)

Ce qui est difficile à percer c'est si Cali a écrit avec les yeux de cet enfant de 6 ans qui regarde le cortège funéraire de sa mère passer sous sa fenêtre ou si ses mots sont ceux d'un adulte. Le fait qu'il n'ait pas signé le livre de son vrai patronyme, Bruno Caliciuri, mais de son nom d'artiste fait pencher du côté de la seconde hypothèse qui, forcément, relève moins de l'intime. Cependant je considérerai le texte comme un récit, par respect pour l'homme dont la perte d'une maman si jeune est forcément un grand traumatisme.

Je l'ai rencontré un soir de 2011, dans une toute petite salle de banlieue. Il était venu au Pédiluve soutenir une jeune artiste, Lise, et nous avait fait la surprise de surgir en plein récital. Plus récemment c'est le chanteur MontparnassE qui m'a dit combien il avait été encourageant pour lui. Il lui a offert une chanson au titre ô combien symbolique : Ecoute-moi jusqu'au bout.
L'artiste surprend parce que, jusqu'à présent, il nous avait habitué à une certaine euphorie, mobilisant l'attention d'une salle entière, se jetant depuis la scène dans les bras de son public, ... même si on aurait pu deviner la fracture derrière le point d'interrogation de son grand succès C'est quand le bonheur ?

On a envie de lui répondre qu'il faut pour cela avoir terminé le travail de deuil qui, chez lui dure l'éternité. Il n'a pas manqué de réconfort chez son pépé et sa mémé dont il se souvient des gâteaux de semoule (p. 86). Le lecteur trouvera qu'il a bien de la chance d'avoir reçu autant d'amour malgré ses colères d'enfant intolérant à la frustration. On a tous rêvé d'avoir un grand-père capable d'affirmer qu'il s'est chopé des poux (p. 88) pour éviter la honte à son petiot.

Il n'a pas manqué non plus de peines puisqu'on a volé son Setter irlandais et que Igor, le chien adoré de son grand ami Alec, est mort. Lui même frôle la mort en avalant de travers un bonbon après avoir réchappé de justesse à une péritonite (p. 59).

On voit une enfance se dérouler au petit bonheur la chance, ou le contraire ... Le gamin a pleinement conscience que sa vie n'est pas "normale" et il fait avec. Comme il peut et en cela son témoignage est extrêmement sensible. Il est né à une époque où l'on pensait protéger les enfants en leur cachant les drames. Françoise Dolto n'avait pas encore alerté les adultes sur le fait que les enfants comprennent tout, pour peu qu'on prenne le temps de leur parler avec des mots justes.

Le petit Bruno devenu adulte écrit avec ironie : tout le monde sait bien que le mensonge, c'est comme la mort, ça n'existe pas. (p. 14). C'est bien parce que cet enterrement qu'on lui cache est une forme de tromperie. Il donne à la petite chatte qu'il reçoit en cadeau le prénom de sa mère Mireille, mais il emploie en public un Mimi plus discret (p. 121). L'enfant a bien saisi les enjeux. Et on devine combien il a pu être sensible au chagrin de son papa ... inconsolable, qui se réfugie dans l'alcool. 

Quoiqu'il en soit le petit Bruno a raison : le chagrin n'est pas un papillon prisonnier. Il ne s'envole pas (p. 94). On ne peut pas grand chose contre le destin. Les mains de son grand-père sont bienfaisantes, capables de soigner tout, ou presque, mais pas le cancer de sa mère. L'oiseau qu'il a visé incidemment avec la carabine à plomb est bel et bien tombé, et il n'aurait pas fallu pousser Jean-Pierre Bini en dehors de sa piscine. Il conçoit de tout cela une vive culpabilité.

Sa mémé espagnole lui chantait cette berceuse célèbre aussi dans toute l'Amérique latine : Duerme, duerme, negrito, Que tu mama está en el campo, (...) Y si negro no se duerme, Viene diablo blanco, Y ¡zas ! Le come la patita.

Le message est clair, l'enfant doit vivre sans se préoccuper des soucis du monde des adultes : Dors, dors, enfant noir, Pendant que ta mère est aux champs, (...) Et si le noir ne s'endort pas, Viendra le diable blanc, Et patatras ! Il te mangera ta petite patte.

Par chance Bruno est un enfant plein de vitalité, nourri de l'amour de sa maman et de la force des sentiments qui unissaient ses parents, encouragé par celui de ses grands-parents, (fort aujourd'hui de l'amour de Caroline, la mère de ses deux derniers enfants), alors malgré tout il joue, réussit à se lier d'amitié, et place de grands espoirs dans une danse catalane pour se rapprocher d'une petite fille dont il est déjà amoureux, une certaine Carol Bobé qui ne s'intéressera pas longtemps à lui.

Cali est resté fidèle à sa maman, à toute sa famille ... à cette Carol qu'il a revue et soutenue jusqu'à ses derniers jours, l'enjoignant à tenir parce que (ou puisque) il parlait d'elle dans ce roman qui lui est dédié. Elle est morte le jour de la remise du manuscrit à l'éditeur. Mais elle existe toujours dans les coeurs.

On souhaite à Cali que ce roman l'ait aidé dans ce travail de deuil indispensable, et qui ne signifie pas l'oubli mais peut-être la fin des pleurs ... ceux là même qu'il nous confie dans sa chanson :
Maman nous regarde du fond de sa photo
Ça fait mille ans qu'elle traîne sa robe jaune à carreaux
Je ne peux pas pleurer plus que ça
Seuls les enfants savent aimer, de Cali (Cherche Midi) en librairie depuis le 18 janvier 2018

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