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samedi 31 mars 2018

Vent du Nord, un film de de Walid Mattar

Vent du Nord est un premier film et il a toutes les qualités qu'on attend d'un long-métrage.

J'ai eu la chance de le découvrir à sa sortie et de participer à une discussion avec son réalisateur, organisée par le Rex de Chatenay-Malabry (92). Walid Mattar a réussi son pari : démontrer qu'il existe un parallèle entre deux pays différents et la destinée de deux personnages, un ouvrier vivant sur la Côte d'Opale et un tunisien au chômage.

Lui-même est né dans la banlieue de Tunis, exactement là où il a posé ses caméras, et ses images témoignent de la ressemblance (inattendue pour nous) entre les deux paysages.

Ça commence brièvement dans l’ambiance joyeuse d’une fête foraine et de feu d'artifices juste avant que la caméra ne s’arrête sur le visage de Hervé Lepoutre (Philippe Rebbot) qui emporte-pièce des morceaux de cuir dans l’usine de chaussures où il est ouvrier qualifié depuis 32 ans. Ce n'est pas tout le monde qui s'enorgueillir d'une telle longévité ... pourtant elle ne garantit rien quand les patrons veulent délocaliser pour faire encore plus de bénéfices. L'usine va être délocalisée. 
Le réalisateur pointe néanmoins combien le "traitement de faveur" consenti à l'ouvrier n'est pas si généreux qu'il en a l'air : 30 000 euros d’indemnités ... ce n'est même pas 1000 euros par année de travail. Il se fera mal voir de ses collègues qui avaient fait passer la consigne : on ne négocie pas. Henri aurait du mal à refuser ... Il sera le seul ouvrier à se résigner à partir de plein gré.

On découvre le fils à la maison, affalé devant des jeux vidéo, violents, cela va s'en dire. Pour le moment Vincent (Kacey Mottet Klein) réclame un panini et s’engueule avec son paternel : t’occupe pas de ma vie, je m’occupe pas de la tienne.

Hervé n’a comme refuge que le café (univers très masculin) et le PMU comme tentative de ligne d’horizon. Les syndicats organisent une grève et l’occupation de l’usine pour s'opposer à la délocalisation. La police charge, sectionne la chaîne fermant les portes, pulvérise des gaz lacrymogènes, matraque les ouvriers et embarque les plus récalcitrants. Hervé est malgré lui dans le groupe. Tous dans le même panier.

Une fois relâché l’homme doit subir les vexations du Pôle emploi. Quoi faire ? C’est peut-être l’occasion de réaliser un rêve. Hervé pêche pour son plaisir. Il va le faire pour gagner de quoi nourrir sa famille en devenant auto-entrepreneur. C’est parti pour une formation. Sauf que d’une part le métier de pêcheur relève de la Chambre de commerce et que d’autre part il est très cadré. Hervé ne remplit pas les conditions réglementaires. Par chance il n’est pas seul. Il est drôlement soutenu par sa femme Véronique (formidable Corinne Masiero) : Faut que tu te battes, nous on est fiers de toi.

Changement de lieu. Retour à l’usine dont on devine le déménagement. Des machines sont chargées dans un camion, puis un container, qu’une grue dépose sur un cargo qui débarque dans un port méditerranéen. On suit le trajet comme s'il s'agissait d'un dessin animé. C'est pourtant une triste réalité. Un dernier camion finit la course dans la banlieue de Tunis, dans un entrepôt qui deviendra la future usine où nous verrons plus tard des ouvriers effectuer les mêmes tâches que les français, avec plus ou moins de succès.

Hervé n'a pas vraiment le choix. Il s'oriente sur la débrouille. C’est Véronique qui trouve toujours des solutions. Elle va suggérer une association avec leur fils, ce qui aura pour conséquence de l’extirper du canapé. Le jeune qui jusque là ne foutait rien, ne savait rien faire sauf glander en attendant de partir à l’armée dans huit mois va se révéler. 

Véronique négociera aussi la vente du poisson. Suivront de jolies scènes pleines d’espoir où on assiste à la cohésion familiale autour du projet. Hervé transmet sa passion à son fils. La petite entreprise se développe gentiment et ne semble faire que du bonheur autour d’elle. Le trio la font tourner avec un naturel incroyable sans susciter la moindre jalousie.

On verra le couple célébrer l'anniversaire d'Hervé et s'offrir des vacances dans le seul lieu à portée de leur bourse ... en Tunisie, à quelques centaines de mètres de la nouvelle usine, dont ils ignorent la nouvelle adresse.

Un jour la police débarque et la sanction de commerce illégal tombe brutalement. Le bateau est saisie. Les images sont poignantes. On pense au spectacle Justice qui démontre combien une situation peut si vite se dégrader. Hervé retrouvera ses collègues d’infortune en acceptant un mi-temps, consistant à sécuriser la traversée des piétons.

De l’autre côté de la mer, la délocalisation ne créé pas davantage de richesse. Foued (Mohamed Amine Hamzaoui), pense trouver avec ce travail qui ne correspond pas à ses qualifications le moyen de soigner sa mère, et surtout de séduire la fille qu'il aime. Mais être payé 125 euros par mois sans sécurité d’emploi c’est de l’esclavage. Et ça ne suffit pas à pour régler toutes les dépenses. Avec en prime une déception amoureuse cuisante.

Foued n’entrevoit de son point de vue qu’une solution. Émigrer, clandestinement, vers l’Europe, où il est persuadé que la vie est plus facile. On le verra débarquer à Dunkerque, joyeux d’avoir réussi ... ignorant que l’herbe n'est pas plus verte. Elle est sèche partout dorénavant. Mais pour l’heure un feu d’artifices explose dans le ciel. Le spectateur comprend que la boucle est bouclée. Les trajectoires de Hervé et Foued se ressemblent et se répondent.
Les gens sont liés par le milieu social. Walid Mattar trouve la délocalisation profondément injuste et il a choisi le parti-pris de traiter la question par l’absurde. Il a construit le scénario comme une tranche de vie autour de deux ouvriers, l’un qui aspire à une histoire d’amour et l’autre qui se heurte à son fils. L'écriture comme la manière de filmer situent habilement le film entre documentaire et fiction. Sa préparation a té complexe et a pris en tout 4 ans/4 ans et demi.

Il n'a pas voulu introduire la question du religieux, à part la scène du thé et de la mouche, mais de manière sobre. On sait que la dictature a instauré un tourisme de masse (ce qui n'est pas original) et une économie très sensible au tourisme. La séquence des vacances dans un "grand" hôtel a toute sa place.

Il a particulièrement pensé le casting. Le rôle de Véronique a été écrit en sachant que Corinne Masiero l'interpréterait. Philippe Rebbot s’imposait, pour sa capacité à porter le rôle de l'ouvrier. Le jour de la perquisition et de la saisie du bateau il était triste toute la journée. Mais c'est un comédien capable aussi de ramener une certaine légèreté et de fait, certaines scènes sont malgré tout désopilantes.

Kacey Mottet Klein n'a que 17 ans, mais trente ans d’âge mental, nous confie le réalisateur. Il joue avec un naturel confondant et une facilité impressionnante (on peut lui prédire un avenir semblable à celui de Benoît Poelvoorde). Les seconds rôles sont majoritairement interprétés par des comédiens dont c'est la première expérience cinématographique. Leur présence est très forte. Cela se voit particulièrement avec le patron du café.

Mohamed Amine Hamzaoui est un rappeur connu en Tunisie. C’est son visage qui a intéressé le réalisateur. Tous ont le point commun de jouer beaucoup avec leurs émotions.

Le titre, Le vent du Nord c’est le souffle qui va dans le sens de la délocalisation, très froid, dangereux pour les pêcheurs. On ne peut rien faire contre le vent.

Walid Mattar a souligné combien le Maghreb a une vision dégradée de l’Europe alors qu'il ne faut pas confondre l’Occident et les occidentaux. Il s'insurge contre l'exploitation de l'homme. On utilise la misère des gens qui n’ont pas de droits. Payer un ouvrier 125 euros par mois, et sans aucune sécurité, ce n’est pas un emploi, c’est de l’esclavage et le travail dans cette usine est dégradant. Et on peut supposer que bientôt la délocalisation se poursuivra dans la même logique vers le Maroc et d'autres pays.

Il a tenu à ce que les dialogues tunisiens reflètent la réalité. Ils sont crus parce que c’est comme ça qu’on parle dans le pays, surtout les jeunes. Tant pis si des gens quittent la salle parce qu’ils ne sont pas prêts à se voir dans le miroir.

Le film a fait une belle sortie en Tunisie où Mohamed Amine Hamzaoui est très connu. Il a reçu trois prix. Malgré tout il n'a pas fait beaucoup d'entrées, tout simplement parce qu’il y a peu de salles de cinéma qui ont subsisté après la révolution. Les cinémas ont périclité pour plusieurs raisons. Ils se sont tournés vers la programmation de films érotiques ou pornographiques et ont été mal fréquentés. La dictature en a fermé beaucoup. De 90 on est passé à 15. Il y a peu de protection des droits d’auteur. Les DVD piratés ont tué les salles. Le succès de la parabole a donné le coup final.

Le réalisateur ébranle les certitudes d'un côté comme de l'autre de la Méditerranée. Il le fait avec humour, ce qui rend le film très sympathique. Les deux hommes  ne sont pas dans la même situation mais ils sont proches par leurs émotions. A-t-on le choix ou non de son destin ? La question est posée. Entre utopie et désillusions soufflée par la bourrasque de la mondialisation.

Vent du Nord, un film de Walid Mattar
Avec Philippe Rebbot (Hervé Lepoutre), Corinne Masiero (Véronique Lepoutre), Mohamed Amine Hamzaoui (Foued Ben Slimane), Kacey Mottet Klein (Vincent Lepoutre)
Drame, Belge, Français, Tunisien
Date de sortie 28 mars 2018 (1h 29 min)

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