Le titre du nouveau roman d'Olivier Bourdeaut ne prête pas au moindre doute. L'action se déroule aux Etats-Unis, en Floride. Le sujet est grave. Certains chapitres sont poignants malgré une écriture toujours teintée de dérision.
On peut estimer que ce n'est pas si grave, que ça se passe loin de chez nous. Mais il suffit de suivre un peu les excès qui se propagent sur les réseaux sociaux pour craindre que le phénomène puisse gagner la France. Ce n'est pas Delphine de Vigan qui me contredira. Les enfants sont rois en est la preuve.
J'ai retrouvé intacte la vivacité de l'écriture de En attendant Bojangles, ce premier roman qui m'avait tant enthousiasmée et à qui on pardonnait quelques maladresses. Florida en a toutes les qualités, la maitrise en plus.
Tout en étant excessif (on le souhaite pour l'héroïne) le récit est parfaitement crédible, même si l'auteur nous met d'emblée en garde par une citation d'Oscar Wilde : Les seules personnes réelles sont celles qui n’ont jamais existé, et si un romancier est assez vil pour aller chercher ses personnages dans la vie de tous les jours, il devrait au moins feindre de les avoir créés lui-même au lieu de se vanter de les avoir copiés.
Florida se présente presque comme un journal dans lequel s'épancherait Elisabeth depuis son enfance. La gamine ne se prive pas de critiquer ses parents qu'elle désigne souvent comme étant la Reine et son Valet. Elle remporte, à 7 ans, sur une idée de sa mère, un trophée de reine de beauté qui marquera le début d'un enfer dans lequel la jeune femme se consumera.
Comme elle est touchante quand elle se critique : je me détestais, mais je voulais qu'on m'aime (p. 21). Du coup elle va se plier aux exigences de sa mère dont elle nous dit qu'elle s’emmerdait, elle m’a transformée en poupée. Elle a joué avec sa poupée pendant quelques années et la poupée en a eu assez. Elle s’est vengée.
Je pourrais m'appuyer sur une autre citation d'Oscar Wilde (qui ne figure pas dans le livre) : Les enfants commencent par aimer leurs parents ; devenus grands, ils les jugent ; quelquefois, ils leur pardonnent.
Mais ne comptez pas sur moi pour vous raconter si l'enfant pardonnera. Je ne vous dirai même pas si au moins elle les aura compris. Ses confidences semblent honnêtes. Ma mère me disait que j'étais très belle et que je n'étais pas trop bête. L'ordre des compliments est important, la forme aussi. Disant cela, elle parait lucide à propos de ses dysfonctionnements mais elle est d'une incroyable perfidie (perversité aussi peut-être). Elle ne fait pas envie, certes, mais elle fait pitié et nous, en tout cas, on est de son côté. On la plaint d'avoir une mère si égoïste, qui n'agit que pour lui faire gagner des trophées, et un père voleur, qui réquisitionne ses revenus.
Comme on la comprend quand elle avoue qu'elle aurait préféré être moche !
Olivier Bourdeaut ne fait aucune concession à ces parents maltraitants prêts à tout pour que leur progéniture monte sur le podium. Elisabeth passe en revue les tricheries odieuses comme l'introduction d'un tenia qui rendra la mini-miss ultra mince. Les artifices sont multiples ; c'est parfois à vomir.
Après les concours de beauté, la gamine se prendra "au jeu de la réussite scolaire" (p. 60) qui provoquera de la jalousie : avant j'étais populaire pour de mauvaises raisons, désormais j'étais impopulaire pour d'autres mauvaises raisons. D'autres addictions suivront.
Olivier Bourdeaut a encore choisi une famille atypique. Cet ouvrage est un livre de la démesure, écrit au vitriol, avec un sens de la dérision XXL. On retrouve le coté déjanté de Bojangles, l'amour en moins. Il prend à parti le lecteur et c'est très agréable, en laissant son héroïne nous appâter d'injonctions, du type : soyez patients, … sous-entendu je vous dirai tout mais pas tout de suite. Sachez quand même que les surprises seront au rendez-vous.
La vie est une farce, dit-elle, il faut croire que j'aime en être le sujet (p. 135).
Les analyses psychologiques et sociologies sont fines. Il est juste de penser que le malheur des uns ne doit pas compenser les soucis des autres. Comme on aurait eu envie, quand nous étions enfants, de répondre à nos parents que s'il y a bien une théorie qui me gonfle, c'est celle du pire ailleurs. Tu es malheureuse? Pense aux enfants du Nigeria, petite privilégiée. Oui oui, c'est vrai ça, mais ça ne tient pas. Personne ne console un type qui a la grippe en lui parlant des cancéreux, au pire ça mérite un éclat de rire, au mieux un pain dans la gueule. C'est inaudible comme discours. La théorie du pire ailleurs est la négation du bon sens et de l'ambition. Si je me compare tout le temps aux petits Nigérians, j'accepte ma condition toute ma vie et je ferme ma gueule toute la journée. Je regarde mes pieds et j'attends que la vie passe, qu'elle m'écrase (p. 139).
L'auteur avait un peu plus tôt avancé le même propos, auquel il avait donné un autre nom : C'est moche mais c'est comme ça. Vous connaissez la théorie du mort-kilomètre ? Un mort à un kilomètre vous touche plus que mille morts à mille kilomètres. Eh bien à douze ans et demi, trois mille morts à mille kilomètres vous touchent moins qu'un déjeuner avec vos parents qui s'engueulent tout le temps. L'impact de deux avions sur une tour fait moins mal qu'une grosse gifle. (p. 55)
Et pourtant il ose dire le contraire (p. 221) quand César lance à Elisabeth : tu sais quoi, t'as qu'à l'écrire, ta vie, les gens adorent çà, lire les malheurs des autres, ça les fat bander de voir combien les autres ont dégusté.
Le roman est truffé de références à des oeuvres littéraires ou cinématographiques qui surgissent toujours fort à propos. Elisabeth nous confie ses péripéties avec un humour fou.
Faire rêver puis dégouter. Plaire puis ne plus plaire. Déplaire. Etre belle et rebelle. Gâtée, pourrie jusqu'à l'os, au sens propre. Attention il n'y aura pas de happy end. Malgré cela Florida est un vrai page-turner dont je me suis régalée.
Florida d'Olivier Bourdeaut, Éditions Finitude, en librairie depuis le 4 mars 2021
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